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Femmes en Poésie

13 juin 2025

Kari Unksova / Кари Васильевна Унксова (1941 – 1983) : « Le ciel qui se lave... »

 

 

 

 

Le ciel qui se lave et scintille d’un rêve de ciel

 

La voûte qui s’ouvre le bleu tout timide un œil rond

 

Le bois de bouleau se blanchit de sa peau de mortel

 

Ce rire – à côté – des fracas rougeoyants bûcherons

 

La source s’épuise à chercher le début de son chant

 

La mort charbonneuse – à côté – se cachant nous hachant

 

Le tremble appelant dans les loques du vent le coucou

 

Les aulnes saignant,oranger « je meurs pas, moi, c’est tout ! »

 

Coucou sur sa branche perché immobile têtu

 

La mort bûche à bûche à côté qui éclate et qui tue

 

Copeaux feux follets brins de feu et bravaches sans mort

 

Des Je et des Tu – et voici l’hippodrome – le port.

 

Chevaux récoltables tassés à plein bord de vivier

 

Là-bas vermillon des casaques la vieille a crié

 

Brasier rouge et or des récoltes tonnerre et hourrah

 

Sabots par-dessus les barrières « Tu peux, tu pourras »

 

Ces maigres chevaux comme ils tremblent leur sexe est tout

 

noir

 

Ils cachent la peur dans leur ventre la peur à ne pas voir  

 

Mais quand et comment pour la hache quand viendra son tour

 

Chevaux leur manège la hache le jour est si lourd

 

 

 

Traduit du russe par André Markowicz

 

In, Kari Unksova : « La Russie l’Eté »

 

Editions Mesure, 2021 

 

 

Voir aussi :

 

Stances classiques / КЛАССИЧЕСКИЕ СТАНСЫ (06/06/2024) 
 

8 juin 2025

Françoise Morvan (1958 -) : Pluie (1)

 

 

Pluie

 

 

Comme on dit que la pluie murmure

 

L’enfant mussé dans sa maison de plumes

 

Sous la soie rouge au fond du vieux grenier

 

Sent une femme immense qui l’entoure

 


 
 
Femme en blouse à fleurs mauves et mêlées de nuages

 

Flottant dans le parfum léger des chèvrefeuilles

 

Poussé avant la pluie par un souffle de vent

 

Et la chanson se perd au fil de l’air

 


 
 
Sous les arceaux fins de la porcelaine

 

Glisse un ruban de soie ponceau

 

Ciel de Verlaine après la pluie

 

Mauve et gris tourterelle

 


 
 
Jouant à voir le jour à travers les fougères

 

On a soudain l’enfance et le ciel gris

 

La pluie légère aussi sur les pois de senteur

 

Et les soieries et les jeux de patience

 


 
 
Miellat des tilleuls

 

Brumée sur les feuilles

 

Pluie sucrée blondeur qui se lèche

 

Au milieu des abeilles

 


 
 
Clameur avant l’averse

 

Eclat des draps qui claquent

 

Gifles de géant dans l’air trouble

 

Où le merle déroule un cri d’alarme

 


 
 
Rouge éclatant de coquelicots

 

L’ogre aux sept femmes

 

A fini d’égoutter ses clés sanguinolentes

 

Au revers du talus mouillé

 


 
 
Pris de folie les enfants sages

 

Sortent pieds nus danser dans la prairie

 

Couronnés d’orage et d’éclairs violets

 

Renards rendus à leur rage de joie

 


 

Tout au fond du ciel jaune un vieux soleil

 

Tremble à l’instant de sombrer dans le noir

 

Et quand l’orage crève un cri grandit

 

Hourvari de rage arraché aux morts

 


 
 
Lueurs de feu aiguisant les lames

 

Dans la cour assombrie du vieux manoir

 

Les faux semblent dressées contre le ciel

 

Et le silence est noir comme un bloc de basalte

 


 
 
Amère et douce endeuillée de musc

 

La pluie filtrant sur les fleurs de troène

 

Laisse affleurer serti dans l’air humide

 

Un chrême à blancheur d’organdi

 


 
 
La pluie sur les melons d’eau douce

 

L’odeur sucrée du foin qui fume

 

Mêlée au tabac blond des femmes

 

Voilant et dévoilant les confidences

 


 
 
Les pruniers que l’on dit mirobolants

 

Inclinés sous la pluie laissent reluire

 

Au miroir du ciel leurs menus cœurs rouges

 

Plus durs que des cœurs de poupée

 


 
 
Même broderie sur le sable

 

Pattes d’oiseaux feuilles de pluie

 

Fin plumetis qu’une botte écrase

 

Comme un visage sous un bloc de boue

 


 
 
Le vent de pluie berçant la balançoire

 

Emporte la fumée des feux de fanes

 

Vers l’ouest où vont les bohémiens

 

Avec les ors de la fête éteinte 

 


 
 
La faux sur ce grand paysage

 

Ne fait qu’une ondée grise

 

Le vent de pluie passant sur les fougères

 

S’efface avec ce bruit furtif qui s’évapore

 

....................................................................................


 
 

 

Pluie

 

Editions Mesures, 2021


Voir aussi

:
Retour / Allège (08/06/2021)


Le bois des fables (10/06/2022)


Lucarne / Grèbe (10/06/2023)


Effraie / Roseaux (30/05/24)
 

4 juin 2025

Anise Koltz (1928 - 2023) : Le cirque du soleil

 

 (photos François Aussems)

 

 

Le cirque du soleil


SOIR I

 

Enterrer le jour

 

dans une taupinière

 

et oublier

 

dans laquelle

 

    ------

 

TU ES L’AUTOUR

 

Fonds sur moi dans l’herbe

 

tu es l’autour

 

qui emporte mon sang

 

 

plus haut que la forêt


entends-tu les plaintes

 

de ma joie

 

entre tes serres

 


A MA DROITE

 

Nous croyons tous

 

en un Dieu

 

mais ce qui arrive

 

n’a pas de nom

 


Nous sommes comme des ivrognes

 

devant la nuit -

 

l’un de nous

 

fixe trop longtemps son rêve

 

et devient aveugle

 

un autre

 

 

panse sa vie blessée

 

un troisième protège

 

la forme de cire d’une morte contre le matin

 

qui roule par-dessus les toits 

 

dans un tonneau en feu

 


C’est un nouveau jour

 

assourdissant

 

qui excite la cruauté

 


Un ange déchu 

 

veille à ma droite

 

avec des pierres

 

er des oiseaux morts

 

Parfois la loi se trompe

 

la mort tombe dans le piège

 

dupée comme un gibier

 


ouvrez le brayon

 

rendez la liberté

 

à ce renard enragé

 


nous avons besoin de ses dents

 

de la douceur de son pelage

 

pour aimer

 


AUTOMNE

 

En route avec les oiseaux

 

pour suivre le cirque du soleil

 

où la lumière mugit

 

en sautant dans sa cage

 


en route avec les jongleurs

 

les saltimbanques

 

et les géants de l’ombre

 


en route avec le vent

 

crieur du cirque

 

et cornac qui offre ses tresses d’or

 

et suspend des lampions

 

aux arbres

 


en route

 

avant que les dernières affiches

 

programmes

 

et billets d’entées

 

ne soient piétinés

 

dans les rues

 

 

« UBER ALLEN GIPFELN IST RUH »

 

La lune s’envase

 

jusqu’aux yeux

 

elle est à peine visible

 


je veux la guetter 

 

écorcher son ventre blanc

 

et la préparer

 


sa viande a la saveur

 

du poisson de mer

 

    ------

 

REJOINS-MOI

 

Rejoins-moi

 

dans mon lit de feuillage

 


jamais plus 

 

je ne me redresserai

 


nul autre ne verra la clairière

 

qui reste de moi

 


arrache mon écorce

 

je vivrai toujours

 


l’été est l’évangile selon saint Marc

 


MER

 

Je sais claquer de la langue

 

mer

 

je suis un marchand de chevaux

 

tes coups de sabots m’assourdissent

 

mais je te monterai

 

jusqu’à ce que tu t’écroules dans le sable 

 

tu me lécheras les peids 

 

en mourant

 

    ------

 

PLUIE II

 

La pluie 

 

est un grand chien brun

 

 


on le fouette on le chasse

 

à travers les villages

 


mais dans les champs

 

il s’arrête et lèche ses blessures

 


J’AI BESOIN D’’N AUTRE ÂGE

 

J’ai besoin

 

d’un autre âge

 

pour me remettre de toutes mes morts

 

et d’un avenir

 

 

si vieux

 

qu’aucun prophète

 

ne s’en souviendra

 


j’ai fait des adieux

 

à ma mère

 

avant de venir au monde

 

je devais la faire naître

 

cent fois

 

avec un pied bot

 

et un escalier tournant

 

dans le dos

 


SI JE N’IMPLORE AUCUN DIEU

 

Si je n’implore aucun dieu

 

et que mes veines deviennent plus foncées

 

par la plus secrète jouissance

 

qui existait déjà en moi

 

avant de naître

 

si la nuit venue

 

je me débarrasse de mon corps

 

pour interrompre les cours d’eau

 

et si j’invente des rimes

 

pour compter les grains de sable

 


est-ce cela vivre

 


si je possède une muselière

 

pour ma mort

 

et une flûte

 

comme les charmeurs de serpents

 

et que tout reste caché

 

avec le feu d’artifice

 

au-dessus de mes genoux

 


est-ce là mourir

 


TOUT PERDRE

 

Aimer 

 

c’est être mortel

 

et lutter contre

 

avec toi

 


pénétrer dans ta chair

 

en nageant

 

m’y mordre

 

et me posséder

 

tout perdre

 

pour continuer

 

à vivre

 

dans une peau 

 

humide et calme

 

comme une grotte

 


TIRE TA BARQUE

 

Tire ta barque

 

à mon rivage

 

ma bouche est enfouie

 

sous les roseaux

 

dans midi brûlant

 


chaque parole s’abat

 

comme un oiseau mort

 

    ------

 

Si tard qu’il se faisait

 

il n’ y avait pas de mort

 

ton corps brûlait

 

comme une lampe

 

et le mien

 

restait ouvert

 

longtemps encore

 


c’était comme en été

 

quand les seuils des portes

 

refroidissent lentement

 

 

QUESTION

 

Les gens qui peuplent mes rêves

 

d’où viennent-ils

 

et le cheval aveugle

 

sous le pommier 

 

auquel je donne le pain de la charité

 


si ses yeux voyaient

 

qui me reconnaîtrait

 

au bruit de mes pas

 

    ------

 

LE SOLEIL

 

Le soleil est un vieil animal domestique

 

le matin il traîne ses membres engourdis

 

à travers la cour

 

et grimpe péniblement dans l’acacia

 


il y est assis pendant des heures

 

et se chauffe

 

au plumage des oiseaux

 


12 6 28

 

Ma naissance

 

n’existe pas

 

c’est un nombre

 

qui ouvre le ventre de ma mère

 

comme un coffre-fort

 

ma mort

 

n’existe pas

 

c’est un mirage

 

en moi il y a une cité déserte

 

avec des puits comblés

 

ne vous y fiez pas

 

 


Traduit de l’allemand par Andrée Sodenkamp

 

In, Anise Koltz : « Le cirque du soleil »

 

Editions Seghers, 1966


Voir aussi : 


Un monde de pierres (I) (08/12/2021)


Un monde de pierres (II) (08/06/2022)


Galaxies intérieures (I) (08/12/2022)


Galaxies intérieures (II) (07/06/2023)


Soleils chauves (08/12/2023)


Je renaîtrai (1) (23/05/2024)


Je renaîtrai (2) (01/12/2024)
 

28 mai 2025

Dalia Riad (19 ? -) : Conversation entre Adam et Eve

 

Adam et Eve, par Lucas Cranach l'Ancien

 

Conversation entre Adam et Eve

 

 

 

 

Je n’ai pas de sablier pour dire le temps

 

Car le sable est encore loin, et le temps est encore loin.

 

Je n’ai pas de souvenirs à faire cacher en contre-bande.

 

Rien à cacher sous les feuilles de figuier du paradis,

 

Pas de sacs ni de paquets,

 

Ni plume ni laine.

 

Eteins le soleil pressé

 

Laisse la lune entrouverte.

 

Prends un bain, par ici, dans le fleuve du vin

 

Et viensdormir.

 

Demain, il y aura des murs.

 

Mes pieds nus deviendront nudité et honte.

 

Demain, le Jugement dernier commencera.

 

Dors, mon amour, car le sable est encore loin, et le péché, lui aussi, est encore loin.

 

Ce soir est la dernière lettre de l’alphabet du paradis

 

Et le « c » du commencement de la vie sur la Terre 

 

 

 

 

Traduit de l’arabe par Maram al-Masri

 

in, « Anthologie des femmes poètes du monde arabe »

 

Le Temps des Cerises, éditeurs, 2019
 

21 mai 2025

Saphô / Σαπφώ (vers 630 – vers 580 av. J. C.) : « Notre Anactoria, Attys, s’en est allée... ».

Mort de Sappho de Miguel Carbonell Selva

 

 

 

Notre Anactoria, Attys, s’en est allée.

 

Gardant de vos beaux jours l’image inconsolée,

 

Elle qu’émerveillait la douceur de ta voix,

 

Qui fit de toi son mile et sa pure ambroisie,

 

Elle habite aujourd’hui dans la lointaine Asie 

 


 
Comme la lune au ciel, calme, suivant sa voie,

 

Changeant la sombre mer en ruisseau de lueurs,

 

Et versant sa rosée au cœur fragrant des fleurs,

 

Pâlit autour de soi les feux vifs des étoiles,

 

Ainsi son beau regard et son front souriant

 

Eclipsent les splendeurs des femmes d’Orient.

 

Mais on âme est meurtrie et ses regards se voilent ;

 

Elle t’appelle, Attys, et son cri et sa plainte

 

Arrivent jusqu’à nous, portés par la nuit sainte.

 

 


 
 

Traduit du grec par Marguerite Yourcenar,

 

In, « La couronne et la lyre,

 

Anthologie de la poésie grecque ancienne »

 

Editions Gallimard, 1979

 


 
 
Ô mon Atthis, dans la lointaine Sarde est partie

 

Anactoria qui fut aimée de nous, Mais sa pensée souvent ici revient.


 
 
Comme jadis quand nous vivions ensemble et 

 

qu’elle t’adorait ainsi qu’une déesse apparue

 

ici-bas, et ton chant plus que tout la charmait.


 
 
Maintenant parmi les femmes lydiennes elle resplendit

 

comme, une fois le soleil

 

couché, la lune aux doigts de rose,


 
 
éclipsant tous les astres, sa lumière se ver-

 

se sur la mer salée,

 

sur les prés aussi aux maintes fleurs.


 
 
La rosée alors en gouttes de beauté est éparse,

 

s’épanouissent alors les roses et le délicat cerfeuil

 

et le mélilot parfumé.


 
 
Mais elle en mainte errance, de la douce

 

Atthis elle se souvient, dans le désir,

 

son tendre cœur pour ton destin ; oui, se consume


 
 
D’ailleurs là-bas vers elle d’un cri aigu elle nous le clame

 

     et cet appel

 

inconnu et secret, la nuit nombreuse

 

le redit par-delà les mers... entre nous...

 

 


 
 

 

Traduit du grec ancien par Yves Battistini

In, Sapphô : « Odes et fragments »

Editions Gallimard (Poésie), 2005

L’absente
 
 
O mon Atthis, dans Sardes vit au loin

 

Mnasidika que nous aimons toutes deux,

 

Et sa pensée auprès de nous revient.


 
 
Tu lui paraissais une fée

 

Aux temps où nous vivions ensemble,

 

Nul autre chant ne la charmait.


 
 
Chez les Lydiennes elle luit,

 

Comme, après le soleil couché,

 

 

La lune aux doigts de rose luit.


 
 
Près d’elle tout astre pâlit.

 

Sa clarté sur la mer salée

 

Se verse, et sur les prés fleuris.


 
 
Et la rose sous la rosée,

 

Le fin cerfeuil s’épanouit,

 

Et le mélilot parfumé.   


 
 
Mais elle, elle erre et se souvient

 

D’Atthis en fleurs, son âme est pleine

 

Du désir, cœur lourd de chagrin.


 
 
Et son cri aigu nous appelle.

 

L’appel inconnu et secret,

 

 

La nuit aux multiples oreilles,

 

A travers les mers entre nous,

 

L’a entendu et répété...

 


 
 
 
Traduit du grec par Robert Brasillach,

 

In « Anthologie de la poésie grecque »

 

Editions Stock, 1950

Voir aussi :


 « Je t’ai possédée, ô fille de Kuprôs ! » (22/02/2017)


Aphrodite / εἰς Ἀφροδίτην (30/03/2017)


A une aimée (10/05/2017)


Nocturnes (14/05/2019)


 « Et je ne reverrai jamais... » (13/05/2020)


« ... Rien n’est plus beau... » (13/05/2021)


Je serai toujours vierge (27/06/2021)


« Je ne change point... » 19/05/2022)


Ode à Aphrodite (17/05/2023)


Confidences (16/05/2024)
 

14 mai 2025

Zoé Karèlli / Ζωής Καρέλλης (1901 – 1998) : Le murmure d’Eurydice / Ευρυδίκης ψίθυρος

 

 

Le murmure d’Eurydice


 
 
Ne crois pas...,

 

Viens avec moi. N’insiste pas

 

nous avons tellement cru au corps

 

entendu sa musique passionnée,

 


 
 
mais je ne crois pas au plaisir.

 

La douleur est trop puissante

 

et l’efface.

 

                 Le corps

 

souffre quand il meurt

 

et qu’il lui échoit de perdre 

 

sa gloire entière. Laisse-le.

 


 
 
Le laisser, n’est-ce pas mieux ?

 


 
 
Ne m’entraîne pas, ne me ramène pas

 

aux forces de la vie.

 

La mort qui m’emporta 

 

fut si cruelle.

 

                       Viens avec moi.

 

Tu goûteras au néant, à sa magie.

 

Ton corps parfait touchera toute l’épaisseur

 

de l’inexistence.

 

Tu connaîtras l’oubli comme la pierre,

 

tu éteindras dan l’immobilité

 

ta soif de vie.

 


 
 
Quand on peut aimer la vie à ce point,

 

à ce point croire en elle,

 

rien ne console sinon

 

l’anéantissement infini qu’on nous offre.

 


 
 
             (Orphée se retournant terrifié ne trouva pas 

 

Eurydice. Mais on se demande, pourquoi une 

 

telle mort ?)


 
 

 

Traduit du grec par Michel Volkovitch

 

in, « Anthologie de la poésie grecque contemporaine, 1945 – 2000 »

 

Editions Gallimard (Poésie), 2000 

 


 

Ευρυδίκης ψίθυρος
 

 

Μην πιστεύεις…


 
Μαζί μου να ’ρθεις. Μην επιμένεις


 
στο σώμα πιστέψαμε τόσο πολύ


 
κι ακούσαμε την περίπαθη μουσική του,

 


 
 

όμως μην πιστεύεις στην ηδονή.


 
Είναι τόσο δυνατή η οδύνη


 
που την αποσβήνει.


 
Το σώμα


 
πονεί όταν πεθαίνει,


 
σαν του λαχαίνει την πλήρη του δόξα


 
να χωριστεί. Να τ’ απαρνηθείς.


 
Καλύτερα είναι να τ’ απαρνηθείς;


 
Μη με σέρνεις, μη με παίρνεις πάλι


 
στη δύναμη της ζωής.


 
Ήταν τόσο δριμύς ο θάνατος


 
που με πήρε.


 
Μαζί μου να ’ρθεις.


 
Θα δοκιμάσεις του μηδενός τη μαγεία.


 
Θ’ αγγίξει το τέλειο σώμα σου


 
την πυκνήν ανυπαρξία.


 
Θα γνωρίσεις τη λίθινη λήθη


 
στη δική μου ακινησία


 
θα σβήσεις τη δίψα σου της ζωής.

 


 
 

Όταν τόσο μπορείς τη ζωή να λατρεύεις,


 
στη ζωή τόσο όταν πιστεύεις,


 
μονάχα το μηδέν παρηγορεί


 
στην απέραντη συντριβή που σου δίνει.

 


 
 

(Πετρίτρομος στράφηκε ο Ορφέας και βέβαια δεν βρήκε την Ευρυδίκη…


 
Όμως ρωτιέται κανείς, γιατί πέθανε τέτοιο θάνατο;)

 

 

 

 Voir aussi :


Imagination du moi / Φαντασία του εγώ (16/05/2023)

 

Tristesse de la cité / Ηλυπημένη πολιτεία (09/05/2024)
 

4 mai 2025

Esperanza López Parada (1962 -) : « Nous avons changé le nom ... »

 

 

 

Nous avons changé le nom de cette ville

 

afin que toi, l’illustre défunt, 

 

tu ne puisses  la trouver dans la nuit.

 

Nous avons peint autrement les murs, 

 

le lit que nous occupons,

 

de peur que toi, si pâle maintenant,

 

tu ne t’installes et ne nous effraies

 

avec ton amour pressant qui perce le brouillard..

 

 

 

Traduit de l’espagnol par Claude de Frayssinet

 

In, « Poésie espagnole. Anthologie (1945 – 1990) »

 

Actes Sud / Editions Unesco, 1995

 


 Voir aussi : 


Stèle d’un marcheur inconnu / Estela de un caminante desconocido (06/05/2023)


L’oiseau (26/04/2024)
 

30 avril 2025

Marcela Delpastre (1925 – 1998) : Le miroir / Lo Miralh

 

 

Le miroir


 
 
Tu aurais un visage ? Un corps de chair comme j’en ai ? 

 

Le sang qui monte dans les veines, qui descend. Le sang qui va dans les veines.

 

Si tu avais la même figure ? La peau tendre que le froid travaille, et le grand

 

     fardeau des peines. Deux pieds qui vont d’un champ à l’autre champ.

 

Si tu avais cette bouche et mes dents, bien aiguisées pour le plaisir, qui 

 

     attrapent le vent en s’accrochant dans la soie du jour.

 

Des bras. Deux mains pleines de joie sur l’eau de l’été. Les doigts qui 

 

     connaissent la roche et le sable et la chaleur humaine. Deux bras pour

 

     embrasser.

 

Deux pieds pour courir vers le feu et la chaleur humaine. Si tu avais la chair 

 

     tendre, et le cœur, où chaque épine peut trouver sa place.

 

Pas de pierre si petite qu’elle ne puisse y marquer sa trace. Pas de couteau si 

 

     mal aiguisé qu’il ne puisse en tirer le sang. Pas une parole.

 

Si tu avais un corps de chair que toute chair épie.

 

Le feu, l’eau et le vent, le temps qui passe ; et la mort pour finir, tout ce qui le

 

     blesse.

 

Un corps arraché à tous les vents, mon Dieu, et cette figure où me reconnaître, 

 

     où cracher ma peur comme dans un miroir.

 

Mon Dieu ! Si je te croyais à mon image, pour te jeter dans mon fardeau 

 

     d’éternité entre les bras, pour te noyer comme je suis dans le malheur de

 

     vivre.

Pour te serrer mieux que l’amour, face à face, et te marquer du cuir à l’os, 

 

     comme je suis marqué du cœur à l’âme.

 

Traduit de l’occitan par Marcelle Delpastre


 

Lo miralh


 
 
Auriàs’ na figura ? Un còrs de charn coma ieu ai ?

 

Lo sang que monta en las venas, que davala. Lo sang que vai dins las veinas.

 

Si aviàs la mesma figura ? La peu tendra que lo fred trabalha, e lo grand fais

 

     de las penas. Daus pès que van d’un champ dins l’autre.

 

Si aviàs quela gòrja, e mas dents, plan’ gusadas per lo plaser, e qu’atrapan lo

 

     vent en se crochar dins la seda dau jorn.

 

Daus braç. Doàs mans plenas de jòia sus l’aiga d’estiu. Los dets que 

 

     coneisson la ròcha e lo sable e la chalor umana. Dos braç per embraçar.

 

Dos pès per còrrer.vers lo fuec e la chalor umana.

 

Si aviàs la charn tendra, e lo còr, onte chada espina podrià trobar ss plaça.

 

Pas de peira tan petita que puescha pas lai far sa traça. Pas de coteu tan mau’

 

     fialat que ne’n poguessa tirar lo sang. Pas‘ na paraula.

 

Si aviàs un còrs de charn que tota charn agacha.

 

Lo fuec, l’aiga e lo vent, lo temps que passa ; e la mòrt per’ chabar, tor que lo

 

     bleça.

 

Un còrs desraijat a tots lo vents, mon Dieu, e quela figura onte me reconèisser,

 

     onte escupir ma por coma dis un mirahl.

 

Mon Dieu ! Si te cresià a ma semblança, per te getar mon fais d’eternitat entre 

 

     los braç, per te nejar coma ieu sei dins la malaür de viure.

 

Per te sarrar mielhs que l’amor, fàcia dins fàcia, e te marcar dau cuer à l’òs, 

 

     coma sei marcat, dau còr à l’arma.


 
 

Saumes pagans

 

Institut d’Etudes Occitanes, 24430 Marsac sur L'Isle, 1974

 

Voir aussi : 


« Entre toutes choses... » / « Entre tot... » (01/05/2020)


« Comme l’eau va un jour... » / « Coma l’aiga que vai, un jorn... » (01/05/2021)


Le pays mort / Lo pais mòr (01/05/2022)


Prélude / Preludi (04/05/2023)


Poésie / Poesia (20/04/2024)
 

23 avril 2025

Inger Christensen (1935 - 2009) : Lettre en Avril (I-III)

 

 

Lettre en Avril


 
 
Il y a les paysages que nous avons traversés et que nous avons habités et qui ont

 

rarement été les mêmes en même temps.

 


 
 
Il y a le transport par la conscience de ces paysages et leur transformation en un

 

espace sensible où des lieux très différents s’unissent.

 


 
 
Il y a notre travail avec les images les mots pour rapporter les choses à leur

 

paysage d’origine. Celui qui toujours a été le même en même temps


 
 
I


 
ooooo

 

Un matin tôt : arrivés

 

avant même d’être réveillés.

 

L’air est pâle et un peu frais

 

et froisse un peu sur la peau

 

comme une membrane d’humidité.

 

Nous parlons de la toile d’araignée

 

comment ça se tisse

 

et de la pluie lavant l’eau

 

pendant que nous dormions

 

pendant que nous roulions

 

sur la terre.

 

Nous voilà à la maison

 

dans le grain poussiéreux de l’allée

 

comme parmi les moineaux.

 


 
 
oooo

 

Cette cascade

 

d’images

 

est-ce vraiment une maison.

 

Est-ce vraiment nous

 

qui allons vivre

 

dans cette chute

 

à travers la foule

 

de dieux.

 

Vivre et mettre la table

 

et partager.

 


 
 
o

 

Je défais les valises,

 

quelques bijoux,

 

des jouets,

 

du papier,

 

les objets nécessaires,

 

nichés

 

dans le monde

 

pour un temps.

 

Et pendant que tu dessines

 

et dresse la carte

 

de continents entiers

 

entre le lit

 

et la table,

 

le labyrinthe tourne

 

dans sa suspension

 

et le fil

 

qui ne fait jamais sortir

 

et trouve un moment

 

dehors.

 


 
 
oo

 

Jaillissant subitement

 

la lumière nous voile

 

tout à fait.

 

Le soleil est rond

 

comme la pomme est verte

 

et ils montent et retombent.

 


 
 
ooo

 

Déjà dans la rue

 

l’argent serré

 

dans la main,

 

et le monde est une boulangerie blanche

 

où nous nous réveillons trop tôt

 

et rêvons trop tard

 

et où des courants de pensées

 

écrues et inutilisées

 

s’approchent au plus près de la vérité

 

longtemps avant d’être pensés.

 


 
 

II


 
 
ooo

 

Des pigeons inquiets partout

 

et la crainte du poème

 

qui, effrayé,

 

s’envole

 

au moindre

 

mouvement,

 

Je distribue des miettes

 

que les mots s’assoient

 

calmement.

 

Bientôt


 
rien

 

qu’une picorée

 

après la moindre

 

petite miette

 

de sens

 

sans phrase

 

et cruelle.;

 

Bientôt rien

 

qu’une paix régulière

 

violente.

 


 
 
oo

 

Jaillissant subitement

 

la lumière

 

s’étouffe
 

dans son cri

 

 

quand nous naissons.

 

Mais plus absurde

 

et beau

 

comme pour une image rémanente

 

de chagrin

 

les yeux écoutent

 

la lumière,

 

blanche et liquide

 

comme le lait.

 

Et, pendant que nous buvons,

 

nous entendons la soif

 

s’étancher.

 


 
 
ooooo

 

Sur la terrasse,

 

le crépuscule ouvre ses vannes

 

et tout se confond

 

avec soi-même.

 

Et tes questions

 

sur la toile d’araignée

 

et la pluie lavant l’eau,

 

peut-être

 

mais je ne sais pas

 

si la rosée se rappelle.

 

La rosée qui, l’été,

 

duvetait la toile si douce

 

comme seule une merveille peut l’être ;

 

apprit ce qu’est le travail,

 

que c’était comme ca,

 

comme le mot rosée

 

et autrement lu en miroir

 

le nom d’un dieu.

 


 
 
oooo

 

Tout remis

 

ce que j’ai pensé

 

et pardonné

 


 

au monde

 

de nouveau.

 

Cette maison

 

comme une coquille

 

de baisers affinée

 

et sans étonnement.

 

Seulement si sonore

 

comme un chuchotement

 

à travers la foule

 

de feuilles,

 

un tout autre endroit

 

sur un arbre

 

qu’un autre contemple

 

dans le lointain,

 

peut-être d’un bus

 

à l’arrêt.


 
 
o

 

Sinon hiver et été

 

et hiver encore

 

passé en compagnie

 

de quelque chose d’aussi simple

 

qu’une grenade

 

complètement

 

désincarnée

 

et qui ne dtt

 

rien.

 

Et pendant que tu dors

 

Et dresses la carte

 

de continents entiers

 

le long des berges

 

du fleuve sommeil

 

je défais la grenade

 

de son papier lilas

 

et la coupe

 

en deux.

 

Elle ressemble

 

à in autre cerveau

 

que le nôtre.

 

Qui sait

 

si la grenade

 

sait en elle-même

 

que son nom

 

est autre.

 

Qui sait

 

si mon nom

 

peut-être

 

est un autre

 

que moi.

 

Je pense

 

donc je suis une partie

 

du labyrinthe.

 

Verbiage consolateur

 

et espoir d’une issue.

 

Car il n’y a que le fleuve

 

et ses deux larges berges.

 

Sur l’une

 

récit, idylle

 

et l’esprit enragé

 

d’explication

 

et de fin.

 

Sur l’autre

 

la seule explication


 
qui s’étend

 

et qui s’étend

 

et qui s’étend

 

jusque

 

dans elle-même.

 


 
 
III


 
 
o

 

Ainsi le silence est si calme ici.

 

Un peu comme le bruit d’une ampoule

 

quand son filament brûle,

 

mais la lumière n’est pas allumée du tout.

 

Seuls le calme et la pluie de tout à l’heure

 

que mon oreille n’arrive pas à se rappeler,

 

distillée, datée

 

et désincarnée.

 


 
 
oooo

 

Seuls les restes d’un chuchotement électrique

 

dans la maison,

 

pendant que d’elle-même

 

la chambre s’arrête et attend

 

ma lettre.

 

Cher étonnement disparu,

 

je dois créer mon propre étonnement

 

ou rester soumise

 

à la même disparition

 

dans la langue

 

comme au plus tard dans la mort.

 

Sans comprendre

 

et sans comparer.

 


 
 
oooo

 

De nouveau dans la rue

 

et au-dessus de la porte une tête

 

la bouche béante

 

qui avale chaque mot

 

que l’on dit.

 

Et pendant que cette figure

 

badaude de pierre

 

nous regarde

 

avec la même

 

apathie passionnée

 

que celle nécessaire

 

pour répéter le monde

 

nous marchons

 

avec la plus grande

 

exactitude

 

entre les crottes de pigeon

 

et les clochards morts

 

qui respirent

 

comme si

 

nous avions égard

 

à la déguenillée

 

liberté réunie

 

en faisant éclater

 

la dernière

 

chaîne introvertie

 

et rester contraints

 

à tout ramener

 

en arrière

 

à soi-même.

 

Ainsi il y a dans la cour

 

chaque nuit pendant que nous dormons

 

un palmier.

 


 
 
oo

 

Le palmier est fort

 

comme le vent est vert.

 

La fureur qu’à l’époque

 

nous appelons sacrée.

 

La langue qui à l’époque

 

avait un sens.

 

L’avenir qui à l’époque

 

retombait

 

sur nous-mêmes.

 

L’indifférence maintenant

 

que moi-même j’ai fait

 

le tour du soleil

 

quarante-quatre fois.

 

L’indifférence maintenant

 

que le circuit fermé

 

ouvre ses portes.

 

L’indifférence

 

dans cette vision du monde

 

insupportable.

 

Apprends-moi à répéter

 

l’avenir maintenant

 

que nous naissons.

 

Que mon âme s’envole

 

dans son vol

 

au cœur

 

de la cime bruissante.

 

Que les œufs luisent

 

d’une lumière rémanente

 

comme un soleil laiteux.

 

Que le vent soit vert

 

que la douleur s’éteigne.

 


 
Ooooo

 

Mais je ne sais pas,

 

ça fait peut-être

 

plusieurs kilomètres

 

pour atteindre la prochaine araignée.

 

Nous démarrons et longtemps

 

avant le lever du soleil


 
 nous sommes en dehors de la ville.

 

Et ici en route pendant notre marche

 

pendant que nous suivons

 

la terre

 

qui tourne de sa propre

 

allure oscillante

 

comme des animaux

 

à travers la brume,

 

les âmes
 

sont tissées

 

comme le monde

 

autour de nous.

 


 
 

 

Traduit du danois par Janine et Karl Poulsen

 

In, Inger Christensen :« La Vallée des papillons & Lettre en avril »

 

Editions Rehauts,2018

 

 

Voir aussi : 

 

Lumière (21/03/2021)

 

Il (21/03/2022)

 

Le for intérieur (21/03/2023)

 

La vallée des papillons (22/03/2025)
 

19 avril 2025

Myriam Nowicka (1958 -) : « Tu ne prends pas l’ascenseur... »

 

 

 

Tu ne prends pas l’ascenseur remarques-tu

 

il y a tant de poussière dans l’escalier

 

non pas l’ascenseur

 

je n’aime pas me sentir enfermée

 

j’ai une peur panique d’étouffer

 

je me souviens grand-mère

 

était asthmatique

 

elle revenait de loin d’un pays qui n’a pas de nom

 

du fin fond de l’abîme peut-être

 

de l’inconcevable à coup sûr et elle prononçait d’étranges paroles

 

des paroles suffoquées

 

Je suis issue d’un peuple qui fut asphyxié dans certaines chambres de l’Europe

 

des cellules hermétiquement closes étaient emplies de gaz

 

les murs portent encore les traces des ongles des suppliciés

 

qui labourèrent le béton de leurs doigts

 

 


A Varsovie dans le quartier chic et très paisible de Rozbrat

 

je me souviens

 

grand-mère ses crises d’asthme les pas du médecin

 

l’affolement de grand-père qui n’était pas mon grand-père

 

car grand-père avait disparu dans l’une de ces cellules hermétiquement closes

 

puis il n’en était resté que des cendres mêlées à la terre de Pologne

 

 


Je me souviens 

 

les paroles suffoquées

 

il fait gris un peu froid moins que d’habitude à Varsovie en février

 

dans la cage d’escalier je passe le doigt sur la poussière de la rampe

 

et j’ouvre la fenêtre

 

 

 

 

Traduit du polonais par Isabelle Macor

 

In, Revue « Babel heureuse N° 1, mars 2017 »

 

Gwen Catalá, éditeur, 31000 Toulouse     
 

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