Josée Lapeyrère (1944 – 2007) : La quinze chevaux (2)
Josée Lapeyrère à Paris en 2004
La quinze chevaux
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allongée
dans l’herbe elle
laisse les bruits venir elle
découpe avec du
bleu les feuilles vertes dans
la voiture qui brille il
y a peut-être un homme ou
deux non pas deux avec un
chapeau et des lunettes noires
et des fusils pas de femme
ou presque une autre
les liens
ne sont pas décidés tournent
sans se nouer
ils attendent
ce qui leur arrive
eux
qui tiennent par un lien d’
air la femme et l’homme à
la voiture comment les faire
venir encore ? jusqu’à ce que
leur absence n’enferme plus
nos pas
suivis tirés par les
mots nouant arrondies les
phrases il nous faut recenser
encore les liens remonter
encore le chemin entre les blés
et le descendre emportés par
le moteur qui bruisse
se croisent ce qui nous
entraîne et nous fait
revenir là les temps
se superposent les boucles
se courbent en se nouant
mais
ils s’éloignent tous deux
déjà je les aperçois à
peine légers signes noir
et doré sur les blés déjà
ils se font trace marquant
la source le lieu
des larmes
elle revient
vers la maison elle est noire
contre le noir seul un geste
la distingue puis tout est
sombre et déserté
il continue de suivre la route
courbe bruits du moteur reflets
dorés découpent le chemin
je le perds de vue je vois
seulement les blés la route
qui défilent sous des phares
ayant perdu leur voiture
leurs corps s’étaient presque
défaits dans le paysage et
voici qu’ils reviennent
dans la nuit qui avance
elle s’endort sur le drap
gardée par le bruit du
moteur qui ne cesse de di
viser son rêve parfois
cela s’arrête elle ouvre
les yeux sur le noir alors
plein
il a les mains gantées sur
le volant les phares ne cessent
d’ouvrir des segments lumineux
à la route bordée par les blés
sombres où se jettent les chats
affolés il s’arrête éteint
les phares descend de
la voiture les blés désormais
dorés coupent la route noire
à son
réveil les bords
des volets sont dorés
envie de les laisser
fuire les laisser
dormir en travers de
l’après-midi elle sur
l’herbe presque noire lui
dans la voiture à l’ombre
d’une haie dans un chemin
latéral ( entre dossier
et volant les jambes
allongées sur la banquette )
et
regarder
le jeune homme qui court
et tient un pinceau trempé
de couleur verte qui laisse
comme des touffes sur l’herbe
plus claire un homme court
derrière lui il crie
on n’entend pas le bruit de sa voix
on ne les voit plus
ils ont disparu de l’autre côté
de la maison le chat dans
l’herbe dort près du cadavre
d’une souris beige que l’enfant
va enterrer au milieu des rosiers
traçant la tombe ovale avec
des cailloux blancs
In, Revue « Po&sie, N°37 »
Belin éditeur, 1986
Voir aussi :
L’autre – Entre là et ici (11/10/2021)
Moments donnés ou Physiologie des Muses (17/10/2022)
Exercices en vol - De là à ici (11/10/2023)
La quinze chevaux (1) (07/10/24)