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Femmes en Poésie

15 janvier 2025

Andrée Chedid (1920- 2011) : Tant de corps et tant d’âme

 

 

Tant de corps et tant d’âme

 

I

Captifs de l’étrange machine

Qui nous mène de vie à trépas

En quel lieu de ce corps en fonction

De ce sang qui déambule

Se fixe l’être

 

Bâti d’élans de songes de regards

Qui parle les langues du silence

Qui devance mots et pensées ?

 

Qui prononce notre mort

Qui instaure notre vie

Qui présence ou absence

Dans la mêlée des vallées et des gouffres

Nous prodigue

Cette sarabande de rixes et de roses

Nous assigne

Ce pêle-mêle de discordes et d’harmonies ?

 

Qui

Tissant ensemble

Tant de corps et tant d’âme

Nous imprègne de passé

Nous génère un avenir ?

 

II

Plus loin que tes membres

Plus haut que ton front

Plus libre que racines

Tu t’émancipes de l’arbre de chair

Vers les récits du monde

Vers l’image inventée

 

Hors des marges quotidiennes

Où tu vécus fièvres et moissons

Soleils ou mélancolies

Tu t’élances

Une fois de plus

Débauchant l’espérance

 

III

L’esprit s’aventure

Tandis qu’en sourdine

Le corps tout à sa trame

Poursuit de secrètes et mortelles visées

 

Spectateur ahuri

Nous déchiffrons soudain

Sur nos peaux      en nos charpentes

Les croquis de l’âge

Tout ce grené       tout ce tracé

Tous ces naufrages

Que nous n’avons pas conduits

Ces mêmes érosions ces mêmes crépuscules

Qu’aucune chair n’a jamais fuies

 

Le temps triomphe des temps

Soumis au projet sans failles

De l’impassible métronome

Le corps       lentement       se déconstruit

 

Tournant autour du pieu

Où s’embrochent nos destins

Il nous reste la parole

Faite d’argiles et de souffles

Il nous reste le chant

Fortifié d’autres chants

Alluvions qui progressent

Vers l’horizon sans appel

 

In, « L’atelier imaginaire. Poésies »

Editions l’Age d’Homme, Lausanne (Suisse) ;1990

Voir aussi :

Le cœur naviguant (26/01/2017)  

L’escapade des saisons (06/03/2017)

Je t’aime, hostile oiseau (13/04/2017)

Par-delà les mots… (12/10/2017)

Voix multiples (13/10/2018)

Regarder l’enfance (12/10/2019)

Démarche (16/01/2021)

A quatre temps (16/01/2022)

Jeunesse (16/01/2023)

Marées (16/01/2024)  

11 janvier 2025

Yu Xiuhua / 余秀华 (1976 -) : Je t’aime

 

 Je t’aime

 

chaque jour se cramponner puiser l’eau, faire à manger, prendre en leur temps

     les remèdes

s’exposer à la lumière quand brille le soleil

sécher une peau d’orange

boire en alternant les feuilles à infuser

chrysanthème, jasmin, rose, citron

leur beauté semble conduire vers le printemps

c’est pourquoi je tasse encore et encore

la neige dans mon cœur

parce qu’elle est trop pure, trop proche du renouveau

 

dans la cour balayée, je lis ton poème

notre condition humaine

incertaine comme un moineau qui, furtif, vient de passer

tandis que brille la lumière

je ne suis pas douée pour les grands chagrins

si je t’envoyais un livre, ce ne serait pas un recueil de poèmes

mais des pages qui te parleraient  des plantes, des céréales

pour te révéler la différence entre le grain et l’ivraie

 

te montrer du printemps

l’ardente frayeur dans l’ivraie

 

 

Traduit du chinois par Brigitte Guilbaud

In, Yu Xiuhua : « La femme sur le toit »

Editions Picquier, Mas de Ver, 13631, Arles

 

Voir aussi :

Deux voix dans la nuit (08/01/2024)

9 janvier 2025

Evelyne Trouillot (1954 -) : Sans parapluie de retour

©ile-en-ile.org

Sans parapluie de retour

(Extraits)

 

Plus rien ne demeure

si ce n’est ton haleine

aux alentours de mon rire

J’ai habillé la nuit

de choses tendres

mais qui peut effacer

le profil calciné

des clairs de lune ?

................................

 

J’ai posé mes rêves sur la pointe du lit

pour que ne tremble point

la poussière de nos yeux

 

Pays de boues incandescentes

et de pétales en croix

Amour d’écumes de déraison

apprends- moi à marcher à petits pas

car la pluie s’impatiente

et les fleurs se rebellent

Pays de soleils irréels

le ciel attend

ton signal pour arrimer les étoiles

................................

 

Villes d’anses et de fleurs

un enfant du pays

sur la route

couché

cœur en l’air

soleil éclaboussé

côté malheur

Villes éphémérides

un petit  prénom

brutal

de griffes et d’entrailles

s’est endormi

sous les dalles

les poings fermés

Qui portera le deuil ?

 

A ma fenêtre

un oiseau à tire-d’aile

J’ai mal aux cheveux gris

................................

 

Entre mots et néant

l’encre trébuche

devant l’angoisse de naître

Comment garder

le poids de ta main

au chaud dans cette blessure

exclusivement mienne ?

 

Amour des espaces interdits

rejoins-moi

en marge de ce qui fut

................................

 

Au bout du regard

ma tendresse décrochée

au mal-être de la terre

son ombre sous mes pieds

mes reniements

mes envies de fuite

et mes deux bras ouverts

Tant de trous dans le ciel

de haines et de chimères

 

Face aux espaces

régulateurs

des consciences et des rues

Sursaute en moi

nid précaire bec ouvert

un petit oiseau téméraire

 

Qui ose encore aimer ce pays

et le dire ?

................................

 

Il me vient parfois la pudeur

de la mer

devant le sable

................................

 

Soleil sanglant

d’aubes défaites

de l’enfance à la mer

des montagnes au grand port

A jamais m’éclater en toi

des collines aux chaussées

de la peur

au bleu immense de ton ciel

désarroi des yeux ballants

 

 

Sans parapluie de retour

Port-au -Prince, 2001

7 janvier 2025

Louise Glück (1943 - 2023) : Minuit / Midnight

 

 

Minuit

 

Enfin la nuit m’enveloppait ;

Je flottais dessus, peut-être dedans,

ou elle me portait comme une rivière porte

un bateau, et en même temps

elle tourbillonnait au-dessus de moi,

parsemée d’étoiles mais néanmoins obscure.

 

C’était pour des moments comme celui-là que je vivais.

Je sentais que j’étais mystérieusement soulevée au-dessus du monde

de telle sorte que l’action était enfin impossible

ce qui rendait la pensée non seulement possible mais sans limites.

 

Cela n’avait pas de fin. Je sentais que je n’avais pas

besoin de faire quoi que ce soit. Tout

serait fait pour moi, ou me serait fait,

et si ce n’était pas fait, c’est que ce n’était pas

 essentiel.

 

J’étais sur mon balcon.

Dans ma main droite je tenais un verre de whisky

dans lequel deux glaçons fondaient.

 

Le silence était entré en moi.

Il était comme la nuit, et mes souvenirs – ils étaient comme des étoiles

en ceci qu’ils étaient fixes, même si, bien sûr,

si l’on pouvait voir à la façon des astronomes

on verrait que ce sont des feux qui ne s’éteignent jamais, comme les feux de

     l’enfer.

Je posais mon verre sur la rambarde de fer.

 

En contrebas, la rivière scintillait. Comme je l’ai dit,

tout étincelait – les étoiles, les lumières du pont, les grands

immeubles illuminés qui paraissaient s’arrêter à la rivière

puis recommencer, le travail de l’homme

interrompu par la nature. De temps en temps je voyais

les bateaux de plaisance du soir ; comme la nuit était chaude,

ils étaient encore pleins.

 

C’était la grande excursion de mon enfance.

Le court voyage en train parachevé par un thé de gala au bord de la rivière,

puis ce que ma tante appelait notre promenade,

puis le bateau lui-même qui allait dans un sens et dans l’autre sur l’eau sombre –

 

Les pièces passaient de la main de ma tente à la main du capitaine.

On me tendait mon ticket, chaque fois un nouveau numéro.

Puis le bateau entrait dans le courant.

 

Je tenais la main de mon frère.

Nous regardions les monuments se succéder les uns aux autres

toujours dans le même ordre

de sorte que nous entrions dans le futur

tout en éprouvant de perpétuelles récurrences.

 

Le bateau remontait la rivière et puis la redescendait.

Il se déplaçait dans le temps et ensuite

dans une inversion du temps, même si nous nous dirigions

toujours vers l’avant, la proue creusant continuellement

un chemin dans l’eau.

 

C’était comme une cérémonie religieuse

pendant laquelle l’assemblée se tenait

dans l’attente, dans la contemplation,

et c’était là tout l’enjeu, la contemplation.

 

La ville dérivait à côté de nous,

une moitié à notre droite, une moitié à notre gauche.

 

Regarde comme la ville est belle,

nous disait ma tante. A cause

des lumières allumées, je suppose. Ou peut-être parce que

quelqu’un l’avait dit dans une plaquette imprimée.

 

Après cela nous prenions le dernier train.

Je dormais souvent, même mon frère dormait.

Nous étions des enfants de la campagne, peu habitués à ces intensités.

Les garçons, vous êtes dépensés, disait ma tante,

comme si notre enfance entière était comparable

à une qualité épuisée.

A l’extérieur du train, la chouette appelait.

 

Comme nous étions fatigués quand nous arrivions à la maison.

J’allais au lit avec mes chaussettes.

 

La nuit était très sombre.

La lune se levait.

Je voyais la main de ma tante serrer la rambarde.

 

Dans une grande excitation, applaudissant et acclamant,

les autres grimpaient sur le pont supérieur

pour regarder la terre disparaître dans l’océan –

 

 

Traduit de l’anglais par Rober Benini

in, Louise Glück : « Nuit de foi et de vertu. Edition bilingue »

Editions Gallimard, 2021

 

Midnight

 

At last the night surrounded me;

I floated upon it, perhaps in it,

or it carried me as a river carries

a boat, and at the same time

it swirled above me,

star-studded but dark nevertheless.

 

These were the moments I lived for.

I was, I felt, mysteriously lifted above the world

so that action was at last impossible

which made thought not only possible but limitless.

 

It had no end. I did not, I felt,

need to do anything. Everything

would be done for me, or done to me,

and if it was not done, it was not

essential.

 

I was on my balcony.

In my right hand I held a glass of Scotch

in which two ice cubes were melting.

 

Silence had entered me.

It was like the night, and my memories—they were like stars

in that they were fixed, though of course

if one could see as do the astronomers

one would see they are unending fires, like the fires of hell.

I set my glass on the iron railing.

 

Below, the river sparkled. As I said,

everything glittered—the stars, the bridge lights, the important

illumined buildings that seemed to stop at the river

then resume again, man’s work

interrupted by nature. From time to time I saw

the evening pleasure boats; because the night was warm,

they were still full.

 

This was the great excursion of my childhood.

The short train ride culminating in a gala tea by the river,

then what my aunt called our promenade,

then the boat itself that cruised back and forth over the dark water —

 

The coins in my aunt’s hand passed into the hand of the captain

I was handed my ticket, each time a fresh number.

Then the boat entered the current.

 

I held my brother’s hand.

We watched the monuments succeeding one another

always in the same order

so that we moved into the future

while experiencing perpetual recurrences.

 

The boat traveled up the river and then back again.

It moved through time and then

through a reversal of time, though our direction

was forward always, the prow continuously

breaking a path in the water.

 

It was like a religious ceremony

in which the congregation stood

awaiting, beholding,

and that was the entire point, the beholding.

 

The city drifted by,

half on the right side, half on the left.

 

See how beautiful the city is,

my aunt would say to us. Because

it was lit up, I expect. Or perhaps because

someone had said so in the printed booklet.

 

Afterward we took the last train.

I often slept, even my brother slept.

We were country children, unused to these intensities.

You boys are spent, my aunt said,

as though our whole childhood had about it

an exhausted quality.

Outside the train, the owl was calling.

 

How tired we were when we reached home.

I went to bed with my socks on.

 

The night was very dark.

The moon rose.

I saw my aunt’s hand gripping the railing.

In great excitement, clapping and cheering,

the others climbed onto the upper deck

to watch the land disappear into the ocean 

 

 

Faithful and virtuous night

Farrar, Straus, Giroux, New-York, 2014

Voir aussi :

Parabole / Parable (07/01/2022)

Le passé / The past (06/01/2023)

L’iris sauvage / The Wild Iris (06/01/2024)

2 janvier 2025

Sylvia Plath (1932 – 1963) : Coquelicots... / Poppies...

Sylvia Plath photographiée un mois avant sa mort. Penrodas Collection / Alamy Stock Photo

Coquelicots en juillet

 

Petits coquelicots, petites flammes d'enfer,

N e faites-vous point de mal ?

Vous vacillez. Je ne puis vous toucher.

Je mets mes mains parmi les flammes. Rien ne brûle.

Et cela m’épuise de vous regarder

Vacillant ainsi, ridés et rouge clair, comme la peau d’une bouche.

Une bouche juste en sang.

Bon sang de petites jupes !

Il est des vapeurs que je ne puis toucher.

Où sont vos opiacés, vos capsules nauséeuses ?

Si je pouvais saigner, ou dormir ! —

Si ma bouche pouvait épouser pareille blessure !

Ou vos liqueurs s’infiltrer en moi, dans cette capsule de verre,

Devenant monotone et immobile.

Mais incolore. Incolore.

                                                                                                              20 juillet 1962

 

Coquelicots en octobre

 

Même les nuages de soleil ce matin ne peuvent tenir pareilles jupes.

Ni la femme dans l’ambulance

Dont le cœur rouge s’épanouit à travers son manteau, abasourdi —

U  don, un don d’amour

Absolument offert

Par un ciel

Pâle et enflammé

Allumant ses monoxydes de carbone, par des yeux

Vitreux, pétrifiés sous des chapeaux melons.

Ô mon Dieu, que suis-je

Que ces bouches tardives s’écrient ouvertes

Dans une forêt de gel, dans une aube de bleuets.

                                                                                                              27 octobre 1962

 

 

Traduit de l’américain par Jacqueline Royer-Hearn

In, Revue « Poésie « N° 57 »

Editions Belin, 1991

 

Poppies in july

 

Little poppies, little bell flames,

Do you do no harm?

You flicker. I cannot touch you.

I put my hands among the flames. Nothing burns.

And it exhausts me to watch you

Flickering like that, wrinkly and clear red, like the skin of a mouth.

A mouth just bloodied.

Little bloody skirts !

There are fumes that I cannot touch.

Where are your opiates, your nauseous capsules ?

If I could bleed, or sleep ! —

If my mouth could marry a hurt like that !

Or your liquors seep to me, in this glass capsule,

Dulling and stilling.

But colorless. Colorless.

 

Poppies in october

 

Even the sun-clouds this morning cannot manage such skirts.

Nor the woman in the ambulance

Whose red heart blooms through her coat so astoundingly —

A gift, a love gift

Utterly unasked for

By a sky

Palely and flamily

Igniting its carbon monoxides, by eyes

Dulled to a halt under bowlers.

O my God, what am I

That these late mouths should cry open

In a forest of frost, in a dawn of cornflowers.

 

 

The Collected Poems.

Harper & Row, New-York,1981

Voir aussi :

L’agneau de Marie / Mary’s Song (09/03/2017)  

Lettre d’amour / Love letter (16/04/2017)

Berck plage / Berck-plage (12/11/2017)

Wuthering Heights (11/11/2018)

Traversée / Crossing the water (03/01/2024) 

28 décembre 2024

Violette Abou Jalad (19 ? -) : « J'avoue que j'ai aimé... »

© Violette Abou Jalad

 

J'avoue que j'ai aimé plus que de raison

jusqu’à être possédée par le génie de l'amour

j'ai tout parié sur la ronde du désir qui tourne autour de ses blessures

J'ai bu l'enchantement de lèvres lointaines

comme si les eaux accessibles ne pouvaient pas désaltérer

comme si seul l'impossible était un vrai texte

J'écrirai sur toi pour que tu deviennes la distance 

et je t'écrirai pour que je devienne le temps

Je danserai autour de moi-même

La pluie me surprend 

J'enlace dans la glace une tunique qui s’épanouit sur une neige qui brûle 

La chevelure couleur de vin tombe de fatigue 

je danserai autour de moi-même

jusqu'à ce que vienne le temps de ta folie

Je saurai alors que j'ai dansé plus que de raison

 

Traduit de l’arabe par Maram al-Masri

In, « Anthologie des femmes poètes du monde arabe »

Le Temps des Cerises, éditeurs, 2019

26 décembre 2024

Julia Hartwig (1921 – 2017) : « Des temps sont venus... »

Julia Hartwig, chez elle à Varsovie, en 2006. Photo :. Włodzimierz Wasyluk

 

DES TEMPS sont venus pour la

souffrance

des temps sont venus pour l’amour

Si beaux dans cette musique

dans cette dissonance

Nous vivons du souvenir

et de l’oubli

Après l’été l’automne après l’automne

l’hiver

La nature nous enseigne la nécessité

Allez toujours plus profond et plus loin

Personne ne se rappelle vos fautes

et jamais tu ne vérifieras jusqu’au bout

 

Traduit du polonais par Isabelle Macor

In, Revue « Babel heureuse N° 1, mars 2017 »

Gwen Catalá, éditeur, 31000 Toulouse

20 décembre 2024

Beatritz, Comtessa de Dia (vers 1140 - après 1175) : « Il me faut chanter... » / « A chantar m'er... »

 

Il me faut chanter ce que je ne voudrais pas

tant j’ai chagrin de qui je suis l’amie

je l’aime plus qu’aucune chose qui soit

mais pour lui ne valent pitié ni courtoisie

ni ma beauté ni mon prix ni mon esprit

ainsi je suis et trompée et trahie

comme je devrais l’être si j’étais laide

 

Je me console de n’avoir jamais été en faute

ami vers vous en aucune manière

je vous aime plus que jamais Segui Valensa

et j’aime vous avoir vaincu d’amour

mon ami mien vous avez tant de valeur

mais orgueilleux de paroles et d’actes

et si aimable envers tous autres gens

 

Je m’étonne que votre cœur s’orgueille

ami envers moi ma raison de souffrir

il n’est pas juste qu’un autre amour vous prenne

quoiqu’elle puisse vous dire ou vous permettre

souvenez-vous de ce commencement

de notre amour Dieu ne permette pas

qu’en ma faute soit notre séparation

 

La grande noblesse qui vous habite

et le grand prix que vous avez m’inquiètent

car je n’en sais ni lointaine ni proche

qui voulant aimer ne tende vers vous

mais vous ami vous êtes si savant

 

que vous devez reconnaître la plus loyale

et souvenez-vous de notre accord

 

Valoir me devraient mon prix et mon partage

et ma beauté et plus mon cœur fidèle

aussi je vous envoie en votre demeure

cette chanson qu’elle soit mon messager

je veux savoir mon bel et bon ami

pourquoi vous m’êtes si dur et si sauvage

je ne sais si c’est orgueil ou mauvais désir

 

Je veux aussi que tu lui dises messager

que trop d’orgueil a fait mal a beaucoup

 

 

Adapté de l’occitan par Jacques Roubaud

In, « Les Troubadours, Anthologie bilingue », Editions Seghers, 1980

 

A chantar m'er de so q'ieu no volria      

tant me rancur de lui cui sui amia

car eu l'am mais que nuilla ren que sia

vas lui no.m val merces ni cortesia

ni ma beltatz ni mos pretz ni mos sens

c'atress i.m sui enganad' e trahia

cum degr' esser s'ieu fos desavinens



D'aisso.m conort car anc no fi faillenssa

amics vas vos per nuilla captenensa

ans vo am mais non fetz Seguis Valenssa

e platz mi mout qez eu d'amar vos venssa

lo mieus amics, car etz lo plus valens

mi faitz orguoill en digz et en parvenssa

et si etz francs vas totas autras gens



Meravill me cum vostre cors s'orguoilla

amics vas me per q'ai razon qe.m doilla

non es ges dreitz c'autr' amors vos mi tuoilla

per nuilla ren qe.us diga ni.us acuoilla

e membre vos cals fo.l comensamens

de nostr'amor! Ja Dompnidieus non vuoilla

q'en ma colpa sia.l departimens



Proesa grans q'el vostre cors s'aizina

e lo rics pretz q'avetz, m'en atayna

c'una non sai loindana ni vezina

si vol amar vas vos no si aclina

mas vos amics etz ben tant conoisens

que ben devetz conoisser la plus fina

e membre vos de nostres covinens



Valer mi deu mos pretz e mos paratges

e ma beutatz e plus mos fins coratges

per q'ieu vos mand lai on es vostr' estatges

esta chanson que me sia messatges

e voill saber lo mieus bels amics gens

per que vos m'etz tant fers ni tant salvatges

no sai si s'es orgoills o mals talens



Mas aitan plus vuoill li digas, messatges,

qu'en trop d'orguoill an gran dan maintas gens

Voir aussi :

« Grande peine m’est advenue… » / « Estat ai en greu cossirier » (25/01/2017)

16 décembre 2024

Lily Novy (1885 - 1958) : La tempête

Portrait photographique par August Berthold

 

La tempête

 

Il y a longtemps j’ai quitté le foyer

Comme l’âme quitte le corps.

Une force immense m’a emporté

Dans un ciel immense, agité.

 

Je m’agite quelque part parmi les mondes

Etranges, étrangers.

Je me presse quelque part parmi les souffles

Turbulents, éveillés.

 

La tempête où j’ai tant voulu entrer

Sauvagement m’embrasse ;

Lorsque la foudre a frappé le peuplier,

Jusqu’au tonnerre elle m’a soulevé ;

 

Comme une proie elle m’agite au sein des nuées

Qui sont pour elle un manteau flambant ;

Vous, vergers familiers,

Nous ne nous verrons plus dorénavant.

 

Traduit du slovène par Armand Robin

in, « Poésie non traduite. II »

Editions Gallimard, 1958

14 décembre 2024

Antonia Pozzi (1912 – 1938) : Légère offrande / Lieve offerta

 

Légère offrande

 

Je voudrais que mon âme te fût

légère

comme les extrêmes feuilles

des peupliers qui s’embrasent de soleil

à la cime des troncs emmaillottés

de brume.

 

Je voudrais que mes paroles te conduisent

le long d’une allée déserte, marquée

de fines ombres

jusqu’à une vallée herbeuse, toute de silence,

vers le lac

où tintent les roseaux

au moindre souffle d’air,

où les libellules folâtrent

à la surface de l’eau.

 

Je voudrais que mon âme te fût

légère

que ma poésie te fût passerelle

subtile, stable,

lumineuse

au-dessus des gouffres obscurs de la terre.

 

 

Traduit de l’italien par Geneviève Burckhardt

In, « Italie poétique contemporaine »

Editions du Dauphin, 1968

 

Lieve offerta

 

Vorrei che la mia anima ti fosse

leggera

come la estreme foglie

dei pioppi, che s’accendono di sole

in cima ai tronchi fasciati

di nebbia.

 

Vorrei condurti con le mie parole

per un deserto viale, segnato

d’esili ombre –

fino a una valle d’erboso silenzio,

al lago –

ove tinnisce per un fiato d’aria

il canneto

e le libellule si trastullano

con l’acqua non profonda.

 

Vorrei che la mia anima ti fosse

leggera

che la mia  poesia ti fosse un ponte,

sottile e saldo,

bianco –

sulle oscure voragini della terra

 

Parole

Mondadori editore, Milano, 1948

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