Heather Dohollau (1925 – 2013) : Fleurs
Fleurs
ROTHKO ET LES IRIS
De l’un à l’autre
les yeux repassent
le tableau et les fleurs
comme un écoute
les couleurs ont à dire
elles sont de force égale
leurs mots font mal
car quelque part
mais où
chacun est l’autre
IPOMEE
UNE FLEUR BLEUE
Le matin tôt les teintes de rose
s’innervent de bleu un entonnoir délicat
à gorge de neige boit le ciel et brûle
d’une flamme miroir pour vers le soir
se cueillir en ses braises
LILAS
Sur la table le lilas crée son chemin
là où son parfum a envahi l’air
ces fleurs minuscules en forme de croix
ont fait une bénédiction de l’espace
nos mouvements sont ralentis comme par l’eau
et cependant nous touchons à l’autre rive
LYS DE LA VALLEE
Parfum inviolé ces clochettes blanches
emportées perdues dans de verts fourreaux
qui comme la rame d’Ulysse évoquent l’eau
où trempent les longues tiges dans de la terre étroite
POIS DE SENTEUR
Ici le papillon se fait pétale
et tremble au bord de soi
où seul le parfum suit les voies de l’air
PIVOINE
C’est encore l’avant-naissance
l’intra monde les courbes serrées
de pétales entre soi mais là où les fils d’ombre
supposent un chemin attendent en labyrinthe
les plis du jour
SERINGA
Tourelle de loin
de colombes de près
de billets dépliés
d’une blancheur froissée
odorante une poussière
d’or
IRIS
Les hautes fleurs qui semblent annoncer
des nouvelles par la terre dont les mots
s’arrêtent au regard
PERSONNAGES DANS DES INTERIEURS
(un domaine enchanté)
Dans les quatre grands panneaux peints pour la bibliothèque de Docteur
Vasquez – miroirs qui gardent les présences - Vuillard a couvert toutes les
surfaces d’une même densité de motifs. Ce vêtement à mille-fleurs rapiécé
par les espaces suggère une perméabilité à l’intérieur d’une clôture, car une
seule respiration parcourt ces correspondances qui perdurent. Et aucune main
ne déborde ces abris magiques pour questionner le temps au dehors, là où la vie
tressaille aux carrefours devant les chemins frais.
LA ROSE
Seule en elle-même
tenue de verre
sur sa longue tige
sans souffle
elle brûle le temps
LE MIMOSA EN HIVER
Le jaune très pâle comme un appel de neige
avec les teints de vert que garde le froid
des perles infimes se tenant sur des fils
à peine visible contre le rideau clair
et toute cette splendeur pour le peu du temps.
SUR UNE GRAVURE DE ROBIN TANNER
Ici les jonquilles
font une haie de grâce
un chant silencieux
là où chaque fleur
partage sa seule présence
en gamme de l’être
et si ces tendres voix
aux tons solaires
pénètrent au paradis
par tracements sombres
un temps serein
découvre en cheminant
leur face de gloire
Devant la fenêtre le pommier est en fleur
à la hauteur de la chambre les pas des yeux
pour tenir contre soi cette robe brodée
au sombre du temps avec pour lumière
la passion de cette fête ce superflu
sans mesure de regard un amour d’ange
ou est-ce la Chine ? Si pour un Fils du ciel
un corbeau freux fait tomber de son noir
des pétales blancs et de ces nœuds défaits
éclaire le chemin
LE NOM DE LA ROSE
Un jardin dans une île
en clos oblique y pénétrer
pour être défait de soi
ici dans le royaume de la rose
les parfums ont des voix
chacune unique un concert
pour les aveugles prêtant vue
les sons révèlent le multiple
d’un monde son infini
où tout se trouve si l’absence
est une porte
THE DAISY GIRL
Une salle de classe
et sur un mur toi
petite fille pensive
dans une robe blanche
qui chante les couleurs
tenant dans ta main lasse
les fleurs fraîchement peintes
l’image écran de l’adulte
de l’enfant
qui devient plus tard
ta vision propre
quand sur une vielle carte postale
un soleil tardif
fait lever les brumes du pré
Un regard d’ambre
Editions Folle Avoine, 35137 Bédée, 2008
Voir aussi :
« Matière de lumière les murs… » (14/01/2017)
« Si pour vivre il suffit de toucher la terre… » (11/02/2017)
La terre âgée (21/03/2017)
L’après-midi à Bréhat (28/04/2017)
Mère bleue (05/03/2018)
L’ombre au soleil (05/03/19)
Le tertre blanc (05/03/20)
Paulina à Orta (05/03/2021)
Lieux (06/03/2022)