Heather Dohollau (1925 – 2013) : Paulina à Orta
Paulina à Orta
Je serai éternellement bleue
Pierre Jean JOUVE
« Paulina 1880 ».
Seul l’unique est l’autre
E. LEVINAS.
Ici au bord du lac est le seul espace
Où partir sur une mer bordée de terre ?
Le soleil et la lune grandissent les heures
En hautes frondaisons bleues aux tiges absentes
Les pentes des jardins hésitant en marches
Etirent le ciel sur une couche mouvante
Surface sans substance réelle où brillent en leurre
Les ailes miroitantes d’un vol suspendu
Et sur le lac une île en pierre de gué
Les yeux se posent en mesure de désir
Et une fois là le regard vers la rive
Fait tenir l’instant dans le cercle des bras
Se penchant au dehors le poids des fleurs
S’abolit sur le bord étroit de l’ombre
Mais l’on doit partir bien avant la nuit
Et lentement à reculons va la barque
Le soleil sur la place une cruche se verse
L’eau de la lumière court de verre en verre
Les jaunes les roses embrasés sur les murs
N’existent que par ce centre grand comme la main
Levée au bout du bras contre ses feux
Pour redonner à l’ombre droit de regard
Car ici c’est une présence qui se meut
Et passe en robe claire entre les tables
Une Venise de lignes droites
Le labyrinthe s’étire en bâtons d’ombre
L’eau est l’aimant par les interstices
Son miroir capte les reflets et les plie
En rubans souples emmêlés par le vent
Qui souffle de mémoire où un visage fuit
Présent et absent comme la lune le jour
Et partout où les fleurs rédiment leur perte
Un seul matin les tient au loin du soir
Les photographies même en noir et blanc
Traduisent les couleurs par la lumière
Les instantanés font leur cinéma
Mais l’entre-deux des images seul respire
A travers les yeux fermés va le chemin
Et Psyché était près d’un vieux palais
Assise en bas des marches en robe rose
Le château enchanté de sa vie
Interdit par la faute d’un regard
De nos impatiences naît un long exil
Mais comment voir ce jour qui est la nuit
Sans brûler l’épaule de l’Amour qui dort ?
Les rayures de la lumière et de l’ombre
Découpent la rue qui monte en marches fictives
Plus haut une église blasonne son espace
De fraîcheur scellée sur le bleu du ciel
Où palpite la noire doublure d’une aile
Mais l’on se tient à présent sur la rive
Comme si la mort habitait trop la terre
Et une fois en bas et près de l’eau
Qui peut présumer voir avec ses yeux
Cet œil du lac
Où plus que tout elle est un à-venir
Dans l’incertitude qui est le chemin
Les mots séparent ici
Où la vie se penche sur elle-même
Et toute la nuit le ciel est sur le lac
L’heure est lourde de présences proches
Aux couleurs des deux mains
Rien ne se passe sauf quand la brise se lève
Et une branche de saule traînant rêveuse ses feuilles
S’informe de l’eau
La terre âgée.
Editions Folle avoine, 1996
Voir aussi :
« Matière de lumière les murs… » (14/01/2017)
« Si pour vivre il suffit de toucher la terre… » (11/02/2017)
La terre âgée (21/03/2017)
L’après-midi à Bréhat (28/04/2017)
Mère bleue (05/03/2018)
L’ombre au soleil (05/03/19)
Le tertre blanc (05/03/20)
Lieux (06/03/2022)
Fleurs 05/03/2023)