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Femmes en Poésie
2 mars 2021

Kiki Dimoulá / Κική Δημουλά (1931 - 2020) : Oblivion beach

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Oblivion beach

 

Ce qu'elle en bave, dis donc, l'âme

quand au lieu de dormir elle songe

à des orthographes mafieuses :

l'Homme, par exemple,

pourquoi veut-il à tout prix

s'écrire avec deux m

comme deux poings serrés, pour quoi faire ?

 

Regarde-moi ça, mon vieux, quelle hypocrisie,

à faire dresser les cheveux sur la tête :

tout ce que j'ai subi la nuit,

tout ce qui m'a torturée,

toutes les ténèbres menaçant

de m'emmener encore,

ces terreurs qui me bandaient les yeux

pour m'empêcher de voir où nous allions,

cet Homme aux deux poings serrés,

tout cela maintenant se déguise

en fillette aurore

avec son petit seau

et sa boîte de peintures.

 

Lentement rame le bruit de la mer,

et la mer lentement s'étend

 dans sa laborieuse étendue,

son étendue bernée :

dépecée par la nuit,

il n'en reste pas plus que n'en veut l'ouïe

pas plus qu'une épaulette d'argent

quand apparaît la lune.

Montagnes renversées dans l'ombre encore

casques éparpillés qui surnagent.

Les cimes, vieilles lointainetés bossues,

vague déploiement d'électrocardiogramme,

arythmies de l'altitude et de la pierre.

Mer, montagne, ciel

masse épaisse imbécile.

L'horizon qui voudrait exister

ne saurait pas où poser le pied.

 

Une heure caïque

tirant ses filets remonte

une visibilité vivante frétillante :

le bleu saute sur les vagues

en col blanc,

sur la petite église du village le sel ruisselle,

coupoles écaillées de tuiles,

tirelires pleines de Dieu.

La cloche, haut-de-forme des sons.

Solide, le ding-dong.

 

Le rivage ourlet de travers,

cigales de pierre des galets

dans les broussailles des vagues,

tam-tam du clapotis

castagnettes aquatiques.

Cimetière galet carré

allongé dans la mer,

tam-tam d'inexistence,

oblivion beach,

cimetière allongé dans la mer,

profondeurs demi-sœurs,

ourlet de travers des limites,

rien à faire pour l'égaliser.

Croix plongeuses

et les morts se sont couchés

dans leurs maillots une-pièce en marbre,

et le soleil se souvient d'eux

à peu près.

Et le sable, débauché au cœur dur

n'en fait qu'à sa tête :

je sais, c'est lui qui t'a appris

à glisser comme lui

entre mes doigts,

dune de l’amour. Ai-je bien fermé ?

Tu ne voudrais pas que j'aie laissé ouverte

 la petite porte de ta photo

et que se soit sauvé, envolé

le passage de ton visage ?

 

La lumière klaxonne comme une folle

elle veut doubler.

 

Excellents, mes réflexes :

chaque fois qu'au fond un bateau disparaît  

ma mémoire sécrète les choses profondément disparues.

 

Ah ! la veuve instant, si souvent.

 

 

Traduit du grec par Michel Volkovitch

in, Kiki Dimoula : « Mon dernier corps »

Editions Arfuyen, 2010

 

Voir aussi :

Temps allongé / ΑΝΑΣΚΕΛΟΣ ΧΡΟΝΟΣ (29/03/2020)

Signe de reconnaissance /Σημείο ναγνωρίσεως (03/03/2022)

Choses nouées (Excursion) /Τα δεμένα (Εκδρομή) (02/03/2023)

Mégot à la bouche des cheminées (02/03/2024)

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