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Femmes en Poésie
21 mars 2017

Heather Dohollau (1925 – 2013) : La terre âgée

 

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 La terre âgée

 

LA MEMOIRE

 

Une photographie prise cet été

Montre une femme aux cheveux blancs

Dans une chaise longue

Pieds nus au paradis

Et là dedans dehors

Je la rejoins

Au soleil d’un matin

Où la terre

Un instant se retourne

Et prend encore

Sa jeunesse dans ses bras

 

LA PRAIRIE

 

Un tablier d’herbe

Où les arbres font signe

S’y tenant sur les bords

Chacun ayant tracé à sa place

Un paraphe royal

Le bleu du ciel

Caresse et contient

Où le terrain tombe

En face la montagne

Nous mêle aux fleurs

De son regard

 

LES SOURCES

 

Se faufilant plus bas

Leur musique clôt

Un cadre d’espace

Nous maintenant au bord

De ce qui tombe

La maison dans leurs bras

Persiste et signe

Le droit à l’éphémère

De ce qui dure

Un leurre de lumière

Brille et se sauve

 

LA NEIGE

 

Les arbres après la neige

Souffle coupé par la blancheur

Les prégnances de la page

Où les mots semblent naître

Avant la lettre

Les mains secouent les branches

Qui se relèvent

Les oiseaux en se posant

Plient leurs ailes

Et tracent à l’encre de l’ombre

Leurs pas en chemin

 

LA PIERRE

 

Ramassée sur la route un temps de neige

Et tenue à la main ne pèse pas lourd

Ses dessins d’arbres semblent tracés à la craie

Et blanc sur noir en paysage d’hiver

Aux champs les quelques arbres de l’osier

Secouent les brandons de leur chevelure

En pantomime de fuite mais dans cette mer

Où tout se tient en îlot hors l’écume

Seulement cette pierre partage le rêve de l’autre

Et lui fait signe

 

LA MONTAGNE

 

Visible - invisible présence qui fait don

D’un face à face où toute proportion tombe

Avènement de l’humain qui se hisse

Et par ses yeux s’étale en conséquence

Dérision d’un reflet et sa gloire

Le bout du miroir tout le long du chemin

Narguant les dieux

Ou est-ce que l’inversion tente ?

La montagne fixe la fleur de son regard

Se penche aux fenêtres

Et couche son ombre à l’étoile d’un feu

 

LES ARBRES

 

L’anonymat des sapins, vague sur vague

Des chênes, des châtaigniers, et maintenant

Un sorbier des oiseaux, un cèdre bleu

Liquidambar et ginko biloba

D’un petit bois intime et clairsemé

Une poésie de noms tremble dans les feuilles

Pour l’oiseau prophète et un vent sans peur

Et sans reproche...

Portfolio insolite d’images rares

Une lecture sur la montagne pour un dieu

Vivant à même les pages

 

                                                               Le Papillard.

 

 

FIRE BOAT

 

C’est étrange que ce soit là-bas

Que cela se tient

Que l’eau brûle en effigie

Sur ce lieu de traversée

Presque mort au regard

Sauf pour les marées

Vu du pays si peu réel de mon enfance

L’Empire du Soleil blanc

Chanté par Larbaud

De la côte en face

Et maintenant ce rouge

En oriflamme

S’identifier à l’autre

Pour le combattre

En prendre ses forces

Mon ennemi superbe

Je crie ton  nom !

 

 

 

Quand vient avec le soleil

Le sourire de l’ombre

Le chemin trace la figure

De sa fuite

Où tremble la rose de rien

 

 

 

Vous avez parlé d’un voyage à Venise

- le hasard fait la rime avec votre nom

Et maintenant cela ne peut se faire

Autrement qu’en rêve mais je vous vois

Heureuse, un matin tôt de soleil frais

Au marché de Santa Maria Formosa

Les couleurs et les odeurs et les bruits

De la petite place autour de l’église basse

Où Rilke trouva gravés dans le marbre

Les mots nés d’un tel désir de vie

Que sous ses doigts les lettres

Furent ligne de lèvres et le froid souffle

 

 

 

Le linge du jour étendu sur des fils

De la Vierge, les Parques hésitent

De près le matin montre une pupille sombre

Les chants des oiseaux utilisent les mots

D’un langage privé où les choses se montrent

Sous l’application zélée d’un baume

Adoucisseur du nom. Sourire sans bord

 

* * *

 

De mon lit

Tant qu’il fait encore jour

Je vois les martinets

Des battements d’ailes suivis de longues glissades

Nous – enfants sur nos vélos – fîmes de même

Qui eurent la terre pour ciel

* * *

 

L’air ce matin a l’odeur de la Perse

Une royale frugalité mesure les règnes

Et les rose troublent de leur souffle léger

Un paradis de peu

 

Une maison blanche pareille aux autres

Dans une rue au nom de poète

Celui du paradis perdu et retrouvé

Et déjà un vent – mais venu d’où ?

Qui isolait comme dans une mer

Et déjà je cherchais un bateau

Pour être de l’autre côté

 

Un bateau de plumes dans une boîte en fer

Comptées le soir pour préparer le matin

Et le tracé dans une encre arc-en-ciel

De la venue provisoire du réel

 

Les bateaux des livres portaient loin

Et des fois une chute de la terre

Faisant voir à l’instar des mots

Une entrée par-derrière où nous sommes

Mais de face les anges furent les heures

 

Et je voyais au travers d’une grille

Où les bateaux buvards des yeux

S’imbibaient des eaux fictives

Et saturés perdaient le jour

 

Mais si tout n’était que perte

Par le passage des glaives

Et en chaque être se courbait

L’eau lisse de sa chute

Il y avait aussi les jardins

Avec la bénédiction des murs

Où le vent, de ses lèvres

Soufflait l’heure

Par l’horloge des graines

 

Et parfois ces paysages étoiles

Ressemblaient à ceux de là-bas

Et dans une même lumière

Je lisais l’un par l’autre

 

Mais à quelle distance peut-on lire

Entre les lignes ? Celle qui voit

Les deux bords d’un fleuve

Et tresse de l’un à l’autre

Une natte très claire

De fleurs semblables

 

Une navette sur un fleuve

Qui est la vie

Où ces traversées font

Que l’entre-deux

Est et n’est pas

Le chemin

 

 

 

Vivre en souvenir de soi

Passé par le peigne des autres

Le peigne – la peine ? – erreur de l’étrangère

Et par les lieux. Colorées de mémoire

Où par les peintres eux-mêmes

Vallées du Titien avec les monts bleus

Et celle de Poussin cernées de hauts rochers

Terminés tendrement par le corps d’un dieu

Le spectre des couleurs sur le blanc intact

De la dernière page. Fraîcheur qui se déplie

Dans l’air irisé d’un arc-en-ciel

Où la promesse tremble. Un bouquet de quatre saisons

A la main de celle qui se penche encore

 

La terre âgée.

Editions Folle avoine, 1996

 

Voir aussi :

« Matière de lumière les murs… » (14/01/2017)  

« Si pour vivre il suffit de toucher la terre… » (11//02/2017)

L’après-midi à Bréhat (28/04/2017)

Mère bleue (05/03/2018)

L’ombre au soleil (05/03/19)

Le tertre blanc (05/03/2020)

Paulina à Orta (05/03/2021)

Lieux (06/03/2022)

Fleurs 05/03/2023)

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