Saphô / Σαπφώ (vers 1630 – vers 1580 av. J. C.) : A une aimée
A une aimée
Il goûte le bonheur que connaissent les dieux
Celui qui peut auprès de toi
Se tenir et te regarder,
Celui qui peut goûter la douceur de ta voix,
Celui qui peut toucher la magie de ton rire,
Mais moi, ce rire, je le sais,
Il fait fondre mon cœur en moi.
Ah ! moi, sais-tu, si je te vois,
Fût-ce une seconde aussi brève,
Tout à a coup alors sur mes lèvres
Expire sans force ma joie.
Ma langue est là comme brisée,
Et soudain, au cœur de ma chair,
Un feu irrésistible a glissé.
Mes yeux ne voient plus rien de clair,
A mon oreille un bruit a bourdonné.
Je suis de sueur inondée,
Tout mon corps se met à trembler,
Je deviens plus verte que l’herbe,
et presque rien ne manque encore
Pour me sentir comme une morte.
Traduit du grec ancien par Robert Brasillach
In, « Anthologie de la poésie grecque »
Editions Stock, 1950
Il me semble être l’égal des dieux
l’homme qui, assis en face de toi,
écoute, de si près,
la douceur de ta voix
et ce rire qui m’enchante
et fait bondir mon cœur dans ma poitrine ;
dès que je t’aperçois
je ne peux plus prononcer une parole,
ma langue reste immobile,
et sous ma peau soudain circule
un feu subtil ;
mes yeux ne voient plus ;
mes oreilles bourdonnent ;
je me mets à transpirer ;
un frisson fait trembler tout mon corps
et je deviens plus verte que l’herbe
et peu s’en faut que je ne meure....
Traduit du grec par Patrice Baron
In, « Le tour du monde en 80 poèmes. Présenté par Yvon Le Men »
Editions Flammarion, 2009
Le désir
Il m’éblouit, il goûte le bonheur des dieux cet homme qui devant toi prend
place et près de toi écoute, captivé, la douceur de ta voix.
Ah ! ce désir d’aimer qui passe dans ton rire. Et c’est bien pour cela qu’un
spasme étreint mon cœur dans ma poitrine. Car si je te regarde, même un
instant, je ne puis plus parler.
Mais d’abord ma langue est brisée, un feu subtil soudain a couru en frisson
sous ma peau, mes yeux ne me laissent plus voir, un sifflement tournoie
dans mes oreilles.
Une sueur glacée couvre mon corps, et je tremble, tout entière possédée, et je
suis plus verte que l’herbe. Me voici presque morte, je crois.
Mais il faut tout risquer...puisque...
Traduit du grec par Yves Battistini
In, Sapphô : « Odes et fragments »
Editions Gallimard (Poésie), 2005
... Il est pareil aux dieux, l’homme qui te regarde,
Sans craindre ton sourire, et tes yeux, et ta voix,
Moi, je tremble et je sue, et ma face est hagarde
Et mon cœur aux abois...
La chaleur et le froid tour à tour m’envahissent ;
Je ne résiste pas au délire trop fort ;
Et ma gorge s’étrangle et mes genoux fléchissent,
Et je connais la mort.
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Traduit du grec par Marguerite Yourcenar,
In, Marguerite Yourcenar : « La couronne et la lyre »
Editions Gallimard, 1979
Voir aussi :
« Je t’ai possédée, ô fille de Kuprôs ! » (22/02/2017)
Aphrodite / εἰς Ἀφροδίτην (30/03/2017)
Nocturnes (14/05/2019)
« Et je ne reverrai jamais... » (13/05/20)
« ... Rien n’est plus beau... » (13/05/2021)
Je serai toujours vierge (27/06/21)
« Je ne change point... » 19/05/2022)
Ode à Aphrodite (17/05/2023)