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Femmes en Poésie
11 octobre 2021

Josée Lapeyrère (1944 – 2007) : L’autre – Entre là et ici

lapeyrere[1]

 

L’autre – Entre là et ici

(1972)

 

à Joaquin Pacheco

 

Un soleil de justice

 

juste aujourd’hui

au monde   seul   et seule et tous

et l’on dit sans savoir que

c’est ainsi

soit-il   lui autre pour

donner cela   non le dissoudre

lui   pour l’espace

 

(ainsi   on avance aux dépens des maisons)

 

œil s’ouvre   au prix de

se révolte   s’arrache   fait deuil de

quelques voiles   laisse derrière

malles dans les greniers   valises

dans les hôtels meublés

                                        (mais

se souvient lesquels   l’obscure lumière

de la sieste   un enlisement moite 

et aucune envie de sortir)

 

puis   mais   emporte un deux trois livres

la chaleur échangée   sur le corps

la trace   impressions dans la peau

formes du corps donnèrent forme au corps

identité au mot

 

voyage   là ou la mort présente   et

clarté

 

 

 

l’horizon unanime

 

   plus de fête

   et  de  ses  lumières    la   croyance   en   lambeaux  n’en

veut plus retenir que le clignotement immuable de l’étoile

polaire    épars    sur le voyage

 

   la clairvoyance ne serait plus publique    elle se souvient

de son enlisement d’alors    mais elle est désespoir dont la

violence à dénuder se souvient des mots    sa place

 

   plus de fête

   mais la reconnaissance   et le partage   d’un beau visage

jamais vu jamais à voir

   douloureusement   le regard s’entrevoit en se dépassant

   ils aiment par ce qu’ils voient n’être que dans l’absence

 

   le plus proche est celui qui sut regarder   ailleurs

   et  la  fête  qui  vit  d’être seulement l’horizon   laisse à

contempler l’abîme où vient naître le mot

 

l’approche mue

 

la peur fait halte   considère la distance

les traces d’un délit   le corps de

ce désir   ce qui revient de là

où l’autre

 

et la douleur en fraude

(les obstacles déposés par la main aveugle

aussi)

 

 

l’histoire fiat des plis qui se frôlent

tremblements – comme à la terre

quand s’ouvre à nouveau

un vide s’enfante en souvenir

de qui

des cris s’absentent

les préparatifs du voyage

vers l’autre

ce qui ordonne hier à

demain

 

 

 

les lèvres   notre blessure

nue   bordée par

les mots   bulles

avant d’éclater   blessés

déjà

ont accroché la lumière

traces de ce passage

sur l’autre   reflets

de son pouvoir

 

ainsi   le dialogue

 

 

parfois les mots se terrent

ni buée   ni halo

le silence s’emplit   naît de

ce qu’il retient

du doigt   montre le temps

 

(l’ange passe mais ne s’arrête pas)

 

la fidélité aux aguets

on retient sa respiration pour

ne pas priver l’écoute de

ce que croise le silence

 

 

muette   la bouche manifeste

un secret   plus sa frontière

et

l’absence du traître

pour quelque temps

se taire   ainsi

à la limite de la peau

le silence témoigne de

ce qui ne sera

si

 

 

 

quand au secret

il a   pour lui   pour être   une paume frontière

clos comme un œuf intact

se laisse voir en ses limites seules

les contours de l’envers   ce qui

sera   parce que là-bas

 

(et l’astrologue en cartes   en a peur)

 

à déclarer ses taies   l’œil

non serein   se rouvre   se reconnaît

et se serre la main

 

 

 

la séparation

seul   et   silence

quelque part se tait pour

là   où   s’écoute le malentendu

c’est

la place de l’adieu

ce que n’emporte pas le temps

 

retenue au-dessus du flot

la marque de

ce qui s’en va

comme un point à

la ligne   ouvre à

l’autre   aussi

une rencontre différée

dont un seul à la fois

connaît le lieu

de l’autre   qui ne sait

peut-être pas

 

 

L’autre

à s’emparer de ses seuls murs

on y dépose

ce qui ne sera pas

à notre insu

 

à ne pas voir ce qui est

seul    un corps inexiste

exilé    du regard

tant peuplé d’étrangers

qui n’ont pu y entrer

 

 

(ainsi le mort   les yeux couverts

seule la peau se donne

la paupière   emmure

ce qui est parti

où   )

 

mais Ulysse    revenant

nu

non repérable si ce n’est en

sa seule présence

hors des habits et masques dont

l’avait revêtu l’absence

 

 

 

La limite des mots

après la bouche   l’oreille

autre

(le désir agit mais cherche les mots

à niveau)

 

la parole porte le souvenir

de plénitude et le danger

mêlés

(il n’y a pas de simultanéité

les mots avancent avec le temps

et comptent sur un autre

parfois

en résonance)

 

à dire

on se présent au risque

 

(ainsi on dénature entre

bouche   et   oreille)

 

entendre

savoir ce qui engage

nous lie

 

 

ils se séparent   présence absoute

pour enfin se parler de l’espace

ce qui est non paru   jusque-là

le regard

 

loin

comme hors frontière   vraiment là-bas

mais plus proche de   que jamais

nus

un impossible à voir tel

 

(il ressemble à un visage que je ne connais pas)

 

à posséder leurs propres territoires

ils ne seront jamais plus près

 

 

 

le centre à partit d’où accueille et va

le lieu qui ne cesse de     (

faire le vide   un espace pour    )

 

couper autour des mots

fantômes qui ne rendent gorge

car   aucun ne suffirait pour explorer

ce qui se contredit

 

un soir   quelqu’un   une heure

arrache à la faim   ouvre aux flancs

éclate les ramifications de la phrase

offre les silences

(les chemins ne mènent nulle part

détournent l’ombre au-delà de la peau)

 

et sous la lumière blanche   la retenue   ce désert

qui déclare que l’horizon est né     et

change                     et le mot

 

sentir ce qui fait creux menant là où

l’œil se quitte sous le soleil droit

avec lequel il lutte ni l’un ni l’autre

pour gagner   mais donner champ à

ce qui se contredit    ensemble

 

 

 

à l’aube

l’évidence de la fidélité

contre les feux étagés du ciel

les arbres brûlent

 

Là est ici

In, « Cahiers de poésie, 2 »

Editions Gallimard, 1976

Voir aussi :

Moments donnés ou Physiologie des Muses (17/10/2022)

 Exercices en vol - De là à ici (11/10/2023)

La quinze chevaux (1 et 2) (07/10/2024)

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