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Femmes en Poésie
7 octobre 2024

Josée Lapeyrère (1944 – 2007) : La quinze chevaux (1)

 

La quinze chevaux

 

cela commence avec le trait noir

 

noir de corbeau     bleu saumon

puis noir    noir de fumée.

 

là      tout

en haut   du chemin debout

sur l’herbe verte   suivie

par des canards bleus rouges

 

la femme       en robe noire

 

regarde    ouvrant les blés   montant

vers elle               la voiture qui

brille

 

détachant sa figure    ces chemins d’

air       les mots qui tournent        pour

la faire exister

 

 

le trait noir        où

 

s’écrase   une image   noirs

morceaux de couleur    quelques

lettres respirent    encore

 

puis se défont      la phrase

est détressée

 

               rien    nulle    chose

encore       là       vient       la femme

en noir    qui se détourne    monte

vers la maison suivie d’

une troupe de geais et

de poules faisanes

 

 

 

déchirés          les mots vont

pour la retenir       pour qu’

elle ne cesse de regarder ce

qui lui arrive             la voiture

qui la tient                          contre

l’herbe verte

 

et qui la trace

 

mais     elle ne veut plus

savoir     son corps bleui par

l’air     disparaît   entre les

haies

 

 

 

la femme    toute     en

noir   revient

 

           forme verte contre

le vert           morceau d’herbe

découpé      mal collé     (une salade

dans la luzerne)

 

                                       elle va s’

agrandissant      occupe tout

l’espace     elle ramasse

quelque chose      qu’on ne voit

pas dans l’herbe     le couteau

ou le fruit      ou la lettre tombée

de sa poche ou        rien     qui

l’a fait revenir

 

maintenant       il n’y a

plus besoin    de penser

aux fenêtres    il    y   a

ce    qui    n’est   pas

dit       qui tombe    autour

dessine    écarte   retient

la course    et la retourne

encore

 

 

 

elle insiste

                elle s’assied

dans l’herbe      défie ce

qui la regarde           la voiture

montant vers elle       et qui

la fait centrale

 

pourquoi     ne cessez-vous de

venir   et me retenir      contre

cette herbe       clouée       par

la lumière de vos phares

en plein jour ?

 

 

 

quand   vous n’étiez    pas

là    je ne connaissais pas

mes gestes     maintenant

mon corps se désempare

je sens les angles

les courbes   qui le lient

ce que je trace dans l’air

 

qu’est-ce qui me tient

m’enlace à vous

qui ne cessez de venir

dans cette voiture

qui luit       ?

toute dorée

 

la voiture        c’est un miroir

éclaboussé    par les    blés qu’

elle déplace    jusqu’à l’herbe

là-haut         où

 

la femme est assise

prise   dedans le vert

 

 

on ne voit plus sa tête

mais seulement    oscillants

la crête des coqs     et quelques

becs de canards jaunes

(    tilleul   plus  rose prussien)

 

 

le bruit du moteur     soudain

l’entoure     elle se dresse

chavire s’appuie   sur le tracé

du chemin        où la voiture noyée

se démêle    des blés

.....................................................

 

In, Revue « Po&sie, N°37 »

Belin éditeur, 1986

Voir aussi :

L’autre – Entre là et ici (11/10/2021)

Moments donnés ou Physiologie des Muses (17/10/2022)

 Exercices en vol - De là à ici (11/10/2023)

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