Josée Lapeyrère (1944 – 2007) : La quinze chevaux (1)
La quinze chevaux
cela commence avec le trait noir
noir de corbeau bleu saumon
puis noir noir de fumée.
là tout
en haut du chemin debout
sur l’herbe verte suivie
par des canards bleus rouges
la femme en robe noire
regarde ouvrant les blés montant
vers elle la voiture qui
brille
détachant sa figure ces chemins d’
air les mots qui tournent pour
la faire exister
le trait noir où
s’écrase une image noirs
morceaux de couleur quelques
lettres respirent encore
puis se défont la phrase
est détressée
rien nulle chose
encore là vient la femme
en noir qui se détourne monte
vers la maison suivie d’
une troupe de geais et
de poules faisanes
déchirés les mots vont
pour la retenir pour qu’
elle ne cesse de regarder ce
qui lui arrive la voiture
qui la tient contre
l’herbe verte
et qui la trace
mais elle ne veut plus
savoir son corps bleui par
l’air disparaît entre les
haies
la femme toute en
noir revient
forme verte contre
le vert morceau d’herbe
découpé mal collé (une salade
dans la luzerne)
elle va s’
agrandissant occupe tout
l’espace elle ramasse
quelque chose qu’on ne voit
pas dans l’herbe le couteau
ou le fruit ou la lettre tombée
de sa poche ou rien qui
l’a fait revenir
maintenant il n’y a
plus besoin de penser
aux fenêtres il y a
ce qui n’est pas
dit qui tombe autour
dessine écarte retient
la course et la retourne
encore
elle insiste
elle s’assied
dans l’herbe défie ce
qui la regarde la voiture
montant vers elle et qui
la fait centrale
pourquoi ne cessez-vous de
venir et me retenir contre
cette herbe clouée par
la lumière de vos phares
en plein jour ?
quand vous n’étiez pas
là je ne connaissais pas
mes gestes maintenant
mon corps se désempare
je sens les angles
les courbes qui le lient
ce que je trace dans l’air
qu’est-ce qui me tient
m’enlace à vous
qui ne cessez de venir
dans cette voiture
qui luit ?
toute dorée
la voiture c’est un miroir
éclaboussé par les blés qu’
elle déplace jusqu’à l’herbe
là-haut où
la femme est assise
prise dedans le vert
on ne voit plus sa tête
mais seulement oscillants
la crête des coqs et quelques
becs de canards jaunes
( tilleul plus rose prussien)
le bruit du moteur soudain
l’entoure elle se dresse
chavire s’appuie sur le tracé
du chemin où la voiture noyée
se démêle des blés
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In, Revue « Po&sie, N°37 »
Belin éditeur, 1986
Voir aussi :
L’autre – Entre là et ici (11/10/2021)
Moments donnés ou Physiologie des Muses (17/10/2022)
Exercices en vol - De là à ici (11/10/2023)