Saphô / Σαπφώ (vers 1630 – vers 1580 av. J. C.) : « Et je ne reverrai jamais... »
Et je ne reverrai jamais ma douce Attys.
Mourir est moins cruel que ce sort odieux ;
Et je la vis pleurer au moment des adieux.
Elle disait : « Je pars. Partir est chose dure. »
Je lui dis : « Sois heureuse, et va, car rien ne dure.
Mais souviens-toi toujours combien je t’ai aimée.
Nous tenant par la main, dans la nuit parfumée,
Nous allions à la source ou rôdions par les landes.
J’ai tressé pour ton cou d’entêtantes guirlandes ;
La verveine, la rose et la fraîche hyacinthe
Nouaient sur ton beau sein leur odorante étreinte ;
Les baumes précieux oignaient ton corps charmant
Et jeune. Prés de moi reposant tendrement,
Tu recevais des mains des expertes servantes
Les milles objets que l’art et la mollesse inventent
Pour parer la beauté des filles d’Ionie...
Ô plaisir disparu ! Joie à jamais finie !
L’éperdu rossignol charmait les bois épais,
Et la vie était douce et notre cœur en paix... »
Traduit du grec par Marguerite Yourcenar,
In, « La couronne et la lyre,
Anthologie de la poésie grecque ancienne »
Editions Gallimard, 1979
L’adieu
Sans mentir je voudrais être morte.
En me quittant elle pleurait
bien des larmes. Elle m’a dit :
« Ah ! Quelle épreuve cruelle est la nôtre,
Sapphô, contre mon gré je t’abandonne. »
Et je lui répondais :
« Va et adieu, et souviens-toi
de moi, car tu sais de quels soins nous t’avons poursuivie.
Mais moi, sinon, je veux te
rappeler...
... aussi les beaux jours du passé :
les couronnes, souvent, de violettes
et de roses ensemble, de crocus,
dont tu ornais ton front, près de moi,
et les guirlandes odorantes, leurs fleurs entrelacées,
que tu jetais
autour de ta gorge fragile,
toute l’huile parfumée
l’onguent précieux dont
tu frottais ton corps, comme une reine.
Et sur les lits moelleux
dans mes bras, tendrement
tu chassais hors de toi ton désir altéré.
Aux saintes rites...
jamais...
nous ne faisions défaut, nous n’étions pas absentes
pour le bosquet sacré
... et la danse
...et le bruit... »
Traduit du grec ancien par Yves Battistini
In, Sapphô : « Odes et fragments »
Editions Gallimard (Poésie), 2005
Les Adieux
Athis n’est point sur ses pas retournée.
Vraiment, je voudrais être morte.
En me quittant, elle pleurait,
Elle pleurait et me disait :
«Ah ! Saphô, terrible est ma peine.
C’est malgré moi que je m’en vais... »
Et je lui répondais moi-même :
« Pars en joie, souviens-toi de moi.
Ah ! tu sais bien combien je t’aime !
« Sinon, je veux te rappeler
Nos heures si belles, si chères
(Les as-tu vraiment oubliées ?)
« Les couronnes de violettes,
Et la rose avec le safran,
Près de moi, tressées su ta tête,
« Les guirlandes entrelacées,
Autour de ta gorge fragile,
Les fleurs adorables mêlées,
« Et le parfum mystérieux,
Les flacons de parfum royal,
Qui inondaient tes beaux cheveux,
« Et l’heure où, sur un lit couchée,
Mollement et entre mes bras,
Tu calmais ta soif altérée... »
Traduit du grec par Robert Brasillach
in, « Anthologie de la poésie grecque »
Editions Stock, 1950
Voir aussi :
« Je t’ai possédée, ô fille de Kuprôs ! » (22/02/2017)
Aphrodite / εἰς Ἀφροδίτην (30/03/2017)
A une aimée (10/05/2017)
Nocturnes (14/05/201919)
« ... Rien n’est plus beau... » (13/05/2021)
Je serai toujours vierge (27/06/21)
« Je ne change point... » 19/05/2022)
Ode à Aphrodite (17/05/2023)
Confidences (16/05/2024)