Déwé Gorodey(1949 - 2022) : Fille perdue
Fille perdue
Tu sors de ce bar
les yeux déchirés devant ton âme en miettes
Tu n’es plus toi au fond de la case
endormie sur la natte tressée de tes doigts
perdus cette nuit dans ta chevelure
que tu veux arracher parce que tu as trop bu
parce que le bidasse de la nuit dernière
a pris l’avion dans l’après-midi de Tontouta (1)
Tu me regardes et j’ai honte
Tu viens vers moi avec ton chagrin ta peine
de sœur de femme de ponoche (2)
Je m’enfuis de la ville
je te fuis sœur de ma chair
Je ne veux point te connaître
Je ne veux point te toucher
Tout ça parce que leurs livres ont dit
« C’est une fille perdue
c’est une pute »
Sœur de ma chair
pourquoi te connaître ?
ce soir je t’évite
je me sauve je rentre à la maison
Je prends un miroir
et l’image qu’il me renvoie
est ton visage
C’est le mien que je cherchais
(Montpellier, 4 décembre 1972)
(1) Tontouta : L’aéroport de Nouvelle-Calédonie
(2) Ponoche : Femme kanake (connotation méprisante)
Revue « Poésie 1, N° 116, Mars-Avril 1984 »
Le Cherche-Midi éditeur, 1984
Voir aussi :
Et les prospectus (25/10/2018)
Nuits nues (25/10/2019)
Nuits blanches (22/10/2020)
Nuits taboues (22/10/2021)