Jeanne Mégnen (19 ? -19 ?) : La belle au bois dormant
La belle au bois dormant
Vapeurs de lichen, la morne lente attente
Pèse sur la vallée boisée de hauts termites
La maison basse
entre les monts d’aiguille et de flaques d’acanthe
repose, four clos, dans l’envers des paumes.
Les feuillages, vaincus par la rosée des nuits
agonisent.
L’île est creuse comme ces bois de palmes
Elle dort sans sommeil, elle pleure sans larmes
Des milliers d’yeux criblent sa carapace
Des milliers d’yeux s’affairent sur ses rocs de mousse.
Les fleurs, mortes-nées, tombent sur des mains vides
L’oiseau, tronqué bat des moignons l’eau pestilentielle des rues
L’air, de ses doigts gourds, a étranglé les rires
Le passage incessant des échecs s’enchaîne.
L’appel d’un courrier rebondit sur les dômes
La voix d’acier sur le velours des versants
La voix de liège sur la flamme des balisiers
L’appel sans espoir des mangues assexuées.
La malédiction du courrier sur la terre.
La malédiction persécutée.
Les hommes, écrasés au sol
entendent sous eux sourdre le feu de terre
Des boulets et des chaînes dévalent sur les routes
jusqu’à la mer
épaisse.
La mer est close, elle n’enrôle plus les enfants
Elle retient captifs nos abandons serviles.
Elle est un lac de plomb cerné de lances.
La mer, la mer est enchaînée, vous dis-je.
Que la foudre fasse éclater la noix du sol
Surgir les feux cataleptiques
Des urnes s’écouler le sang d’acier des fauves
Gronder la voix des morts expiatoires
De la mer éventrée, une fusée d’eau pure ira toucher le ciel
Et, retombant, légère sur mes yeux clos
Soulèvera nos paupières comme des portes
Et dispensera la lumière…
Basse – Terre, Mai 1941
Revue « Tropiques, N°3, Octobre 1941 »
Fort-de-France (Martinique), 1941
Voir aussi :
Demain commencera le bruit (30/04/2017)