Jeanne Mégnen (19 ? – 19 ?) : Demain, commencera le bruit.
Demain, commencera le bruit
La lumière crie, elle m’épaule.
Le rayon perpétue l’ardeur étale,
Les cordes sont tendues à se rompre…
… Vous vous taisez…
Je me heurte de front à l’arbre décharné.
Parce que tout est muet, j’entends l’air craquer…
Patiente.
Les ailes étendent leur ombre sur nos prés et nous gardent.
Tous les chiens sont rentrés.
Les clochettes marchent en couronne vers la falaise.
Nous porterons nos hardes dans les hangars fleuris du petit jour
alors que tout s’éteint dans la lumière.
Je suis seule sur un roc, et la fumée propage mon espoir
J’avance, parée de toile d’or
ma barque passe, chargée de pierres dans le minerai des eaux, elle évite
l’île de liège perdue sans trace de labours.
… Au loin, l’air a craqué encore dans une brume terne.
Tu pleures, et mes yeux rient à l’arc-en-ciel.
L’espoir blanc tourne vertigineux,
Rien de ce qui est nous ne perd.
L’eau nous porte
Elle hurle dans les serrures.
Au sommet de l’écume se serrent nos entrailles.
La terreur me prend et j’avance à pas de sommeil.
L’air monte et perce les murailles.
La femme a passé ses regards, comme des laines, elle trame la
folie d’un jour.
Il me faut plier des têtes dans un gant de peau vide.
A bras trop longs, un djinn règle l’engrenage de la mort.
Les lèvres écrasent sur des lèvres de pierre un sang
neutralisé par un poison opaque.
Notre barque a gagné en pesanteur.
Les rocs se brisent sur ta poitrine
La voile hennit dans le brouillard
L’eau roule sur ta peau impénétrable,
goutte à goutte emplit l’abîme de mercure.
Deux de ces perles se sont nichées dans mes pupilles
Deux de ces perles se sont posées sur l’aile d’un oiseau
Je ne distingue plus les dômes luisants qui chevauchent.
Le silence grandit désespérément les remparts.
Demain, commencera le bruit.
Paris, Novembre 1939
Revue « Tropiques, N°3, Octobre 1941 »
Fort-de-France ((Martinique), 1941
Voir aussi :
La belle au bois dormant (25/03/2017)