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Femmes en Poésie
11 février 2025

Danièle Collobert (1940 – 1978) : Dire II (5)

Soirée Action Poétique : Jean-Claude Montel, Franck Vernaille, Danielle Collobert

 

 

Dire II

 


 
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c’est tout- fermer les yeux – les ouvrir – les refermer à nouveau – pas de


vision – pas de couleur - rien à voir – ne pas être – se démettre – écrire le


mot – les yeux fermés – au hasard – dans un coin du papier – sur le sol


peut-être – sur le mur

 


 
aucun lieu pour le mot – dans le sable peut-être – le mieux - tracer un mot


entre deux flux – si on pouvait faire çà – effacer – recommencer sans cesse


le même signe - retrouver à chaque fois l’étonnement – trouver un mot possible


pour çà – un mot ou un son unique – pouvoir s’arrêter -  en finir avec les


histoires de mots sans fin – se débarrasser enfin – supporter enfin le silence


sans rien - sans rien  dire

 


 
mais non – ce qui vient – seulement un mot à peu près - une ébauche – et le


monde plein tout autour – écrasant – le tumulte – le bruit – le bruit partout –

 


 
lié - ne pas pouvoir s’arracher – se débattre dans cette confusion – secouer la


tête dans tous les sens pour ne plus entendre – les bras enfermant la


tête - les mains aux oreilles – affolé – crier – faire monter les cris du plus loin -


du plus profond possible – hurler par moments - pour couvrit tout çà – haleter à


la fin – épuisé - sans souffle – toujours vaincu – toujours envahi

 


 
entendre – écouter – pas moyen de se soustraire – se fondre – obligé d’être


là - on dirait – obligé d’entendre et de parler en même temps – comme si


c’était possible – qui parle – qui écoute – ces mots-là – lesquels – et les bruits –


comment distinguer - supprimer la contradiction – s’enfuir – même pas

 


 
aucun répit – ne plus pouvoir refuser – laisse aller les mots ainsi – comme on


ouvre une vanne – arrive le flot épais – incohérent – énorme chute de mots


emmêlés – bousculés – broyés aussi – méconnaissables – la pâte – les


vomissures – une bouillie sans cesse mâchée - avalée – rejetée jusqu’aux


lèvres infranchissables – ravalée encore – va-et-vient intérieur amer –


insupportable – jusqu’au dégoût parfois – jusqu’au rire

 


 
 
s’endormir pour oublier – sortir du tumulus – trouver une sorte de paix –


quelque part – une sorte de silence – quelque chose d’approchant – pas tout à


fait le silence – bien sûr – mais tout doucement – un murmure – un


gémissement - voilà – ça vient – l’engourdissement – avoir le moyen – la clef


pour ça – il suffit de penser seulement au-delà des murs – à travers eux – voir


le ciel – la mer – se rappeler le vague – la douceur

 


 
déraper dans les souvenirs de pluie le long des docks sur les quais – sur la ville


- ou surles terres rases – les dunes – en bordure de mer – des mots bien


consistants – là – chargés d’images – lourds comme des bateaux pleins -  des


mots-clefs – pour ouvrir des paysages – des départs – et d’autres souvenirs –


avec des mots pour les visages – les mains – un corps - vieilli souvent – le


prochain – bientôt – leurs corps – leurs regards – des mots ouvrants

 


 
s’épuiser très vite au jeu -  les mots lâchés ainsi reviennent – réintègrent les


murs - la tête – rien à faire – plus jamais de vraie fuite au-dehors – de longues


échappées au large -  n’avoir plus la force – plus l’envie – pas de nécessité – ça


reste là – tout près – tout autour – la fin des voyages – bien sûr – on sait –


parfois encore ça reviendra – des envies – de plus en plus légères – fugitives –


des velléités – sourire de moins en moins – seulement du ciel – des murs


blancs - et le regard voilé

 


 
sans le vouloir encore – ou le contraire peut-être – un dernier paysage de ciel


ou de murs blancs – jusqu’à quand cet espoir-là – cette dernière fuite dans le


dernier paysage – y tenir – on y tient encore -  possible encore peut-être  d’y


croire – après la désertion au monde – de l’autre côté des murs – c’est-à-dire


les souvenirs –l’organisation – la confusion -  c’est-à-dire comment on avait


mis tout ensemble – ce qu’il y avait – avant cette chambre lisse et vide – où

 

 


l’on n’est même pas sûrement – peut-être en pensée – comme on dit – toujours


l’incertitude

 


 
immobile – maintenant – dans l’apparence d’espace – la durée irréelle – sans


prise – sans recours

 


 
se glisser des mains -se glisser des mots – toutes images équivalentes –


probablement – pas même pouvoir encore s’inventer – se trouver quelque


chose à se dire à soi-même – le monologue – presque la compréhension –


une tendresse à soi – privé maintenant de ca – presque un désert – sucé –


aspiré de l’intérieur – à chaque instant – disparaître des murs – disparu de


partout–

 


 
un moyen – un compromis – pour continuer à vivre – pour s’apparaître peut-


être encore de temps en temps -  sans image – sans reflet – seulement


s’entendre – le souffle – le cri – les mots – quelquefois - avant de disparaître –


tracer quelque chose – quelque part – pour rien – sans nécessité sûrement – être


là –pourtant – encore –à essayer


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Dire I- II


Editions Seghers / Laffont (Change), 1972


 
Voir aussi :


Là-ramassé (08/04/2017)


Dire II (1) (11/02/2020)


Dire II (2) (11/02/2021)


Dire II (3) (12/02/2022)


Dire II (4) (11/02/2023)

 

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