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Femmes en Poésie
27 août 2024

Anne Bihan (1955 -) : Trypique

 

Théâtre de Folle Pensée

 

Tryptique

 

Terre de feu

sourd

et les bruyères

 

atteindre l’intensité

du vert

derrière le toucher sec

 

et sous les pépites

nickélifères

reconnaître la question

qui nous habite

 

La chaussée des pauvres

 

Chaussée n. f. – Long écueil sous-marin.

Vue du large, elle fait obstacle à l’horizon. Haute. Sombre. Tient le Pacifique

en respect. Il s’épuise contre la barrière sur quoi viennent mourir les coques

trop hardies. Peu de passes. Survivre est affaire d’initié. Mais nul besoin ici –

nul désir peut-être -  d’allumer des feux pour attirer des proies hypothétiques.

Se tenir là suffit. Que Dieu protège ceux qui par miracle ou par science 

échappent au désastre. Ils font escale et passent leur route. On s’accommode

de tous les autres, échoués sans crier gare avec des coffres pleins d’inutile à

ras bord et le ventre plus grand que les yeux. Leur embarcation a cessé

d’évidence d’être sécure, brèches colmatées à la va-vite, voiles déchirées,

moteur en rade, liens tout à l’avenant. D’emblée trop lourds en somme pour

ignorer, les voyant tirer leur fardeau, la difficulté que ce sera de reprendre la

mer. Et ce n’est pas les quelques bricoles pillées avec leur accord, au titre du

respect dû à des hôtes soupçonneux mais courtois, qui les rendront plus légers

quand viendra inévitablement l’heure de choisir entre l’habit du voyageur et les

frusques de l’exilé.

Ce jour-là, tandis que pied-nus l’enfant prend sur le sable la mesure du monde,

à leur tour ils s’adossent à la montagne. Quelque chose en eux résiste encore,

un fleuve, la pâque d’un clocher, un coquelicot, le goût des mures, le parfum

 du lilas. Mais elle pèse de toute sa densité, or, fer, sang, nickel, sang, cobalt,

fougère, sang, nickel, sang. Ils apprennent à se tenir là, et qu’il faudra

désormais tenter d’habiter les lumières et les ombres d’une île qui n’en finit

pas, au gré des flux et d’un antique vouloir, d’offrir ou dérober à la marche des

errants sa chaussée des pauvres.

 

Alors doucement leurs épaules se dénouent et, reconnaissant, ils

s’abandonnent. 

 

 

Cette île

l’étreinte du rêve du rêve

des manguiers

dans les narines

 

marcher

plutôt que se perdre

dans l’absence

 

et

 

quand l’océan se fera

visible enfin

prendre le parti

de la pulpe.

 

 

Ton ventre est l’océan

Editions Bruno Doucey, 2011

Voir aussi :

Amer III (25/08/2019)

Amer I (25/08/2020)

Ciels pierres saisons (25/08/2021)

Amer II (25/08/2022)

Graines plumes coquillages (27/08/2023)

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