Anne Bihan (1955 -) : Ciels pierres saisons
Ciels
pierres
saisons
Folles hirondelles qui peuplent
tes ruelles d’enfance
portées d’automne
entre les poteaux de tous les partir
leurs têtes indigo
striées de trajectoires
et de cris.
Saisons des ciels soirs
pierres promises
dans les étangs
les étoiles tombent
saison de nuages fous
entre les tombes
nuit errant au matin
vers quels rivages ?
saison de terre écalée
ornières à nue
dès l’aube abreuvée
aux lèvres du monde.
Sésame du voyage
paternelle la langue.
L’île n’en finit pas
d’ouvrir ses impasses à d’autres horizons
où de longs doigts de lierre écartèlent les murs
de son corps ponctué de sels et de brisants
tu guettes des nuées
la partance têtue.
Peu avant le printemps
le ciel traîne ses blancheurs migratoires
une dernière branche casse au cerisier
nu la petite chèvre tient jusqu’au matin
dans les friches du jardin une flaque s’attarde
l’oiseau boit la lune
des loups hurlent dans les écorces
les feuilles poussant leurs cornes tiendront jusqu’à
l’automne qui chantonne ?
rien ne s’avoue encore ni
une hirondelle ni le sang du ciel
pas même la faiblesse des crocs sur une chair
chauffée à blanc
c’est peu après l’hiver
inaudible
naît ou meurt sans qu’on sache
un bruit de dents de hordes
d’oubli d’abandon
une absence de saison.
Il semble qu’il fasse beau
sauf
ce geste d’abandon d’une branche
obstinée à la noirceur la nudité
sauf
ce résidu d’ailes broyées ressurgi
de la terre en travail
sauf
ce halètement du souffle
qui convainc de l’inavouable
Posée
libellule mobile vol
d’été
d’ailes arrachées à la terre n’osant
ni le ciel ni
la poussière.
Immobile
insecte sur marche de granit
la fenêtre crisse
dans l’ombre sans pardon
il pleut
l’été achève ses délires à coups de vent lourd
l’âme s’épuise à bras le corps
vivre mot-couteau fièvre sourde
palpitement où point l’orage
inaudible agonie d’une aile
dans un crépitement de clous.
L’enfance rêve au jardin torrent
le ciel en pleure elle glisse
le long des murs oublie
la maison où la lumière vient de s’éteindre
un crapaud furtif annonce la nuit
la terre chuchote
elle marche aux larmes s’évanouit
revient vers le seuil où la mort patiente
les pierres plongent leurs racines
dans la blancheur du matin.
Un jour l’automne
attente de la pluie soir
de la nuit fin des fruits et des histoires
que l’été raconte à l’enfance même si
dans le gris d’octobre palpite un soleil tenace.
Un vol de paupières obscurcit l’horizon
bleus les yeux du père sève des regards
sa mort livre au noir
tu cherches sous les pierres l’étoile
abolie.
L’impatience a défait les fleurs
du jardin monte une douceur frileuse
des marais semblent aux portes
de la maison on perd ses cheveux
une robe d’été change de place
de laineux parfums envahissent la chambre
les signes se font rares tout est à craindre
du ciel à l’eau violente
en tombant les derniers fruits laissent
la voix des morts saisir nos mains.
Blancheurs chavirées de l’automne les nuées
glissent dans les blessures du ciel
les fraisiers sanglants au jardin abandonnent
l’espérance d’une tardive floraison
les arbres sont mouvantes peintures accrochées
aux vitres de l’innocence
sur la cour des enfants s’empoignent pour
ne pas pleurer
dans l’ombre embuée de la nuit
une femme entre
lente saison
Il est des jours sans rives
des jours de paupières sur le ciel bleu
que les oiseaux la nuit
transpercent
dans l’angle mort de l’ombre.
Ne plus savoir s’il a fait froid
si les nuits étaient amères
si dans les rues sourdes
on était de bois
de peur
et le jour finissant
où dans la ferveur d’une aurore
farouchement
s’en remettre à la lumière
du désastre.
Le matin qui s’étonne
de la voûte à grande eau lavée par la douleur
livre aux vents la chambre vide
temps de tirer la porte
sortir de ses gonds
son battant d’amours mortes.
Dans le soir qui comparaît
quelle prière native
scelle la parole ?
Départ
d’entre les murs les tombes
les meubles
les saisons
dan le grand jardin la mère
à l’abandon.
Décalage
dans le ciel courant l’heure du soleil cherche à te rattraper
la nuit craque d’impossibles blancheurs éclairs d’orages
l’avion bat coeur chaud sous l’aile métallique le temps
d’en bas
croît nous saisit s’éloigne
l’enfant dit :
nous irons plus vite que le jour dans la grande nuit.
Nous nous quittons encore bien après le partir
les ponts veines sont tranchés
nos poignets vendangés
la nuit laine appuie sur mes épaules
son larcin de désir.
Ton ventre est l’océan
Editions Bruno Doucey, 2011
Voir aussi :
Amer III (25/08/2019)
Amer I (25/08/2020)
Amer II (25/08/2022)
Graines plumes coquillages (27/08/2023)
Trypique 27/08/2024)