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Femmes en Poésie
20 juin 2024

Elen Riot (1976 -) : Seizaine (1-5)

Seizaine

Pour François Rannou

 

Sicum eve espandat sui, ei esperpalet sunt tui li mien

Nubele si cume cendre espapeilled. (Psautier Oxford, 147, 5)

 

1. L’île de Margygr

Voilà quelqu’un qui tambourine

Bat la cadence de la main,

Un souffle appelle dans la conque,

Souffle sans voix,

Un « qui va là ? »

Dans l’olifan.

C’est pour ce soir,

L’orage gronde,

Ca va tomber.

Quand la tempête bat les flots

Contre le rivage de l’île

Le calcul de l’ondulante ondine

Donne le là.

Elle glisse sur le dos,

Se tourne, vire

Puis sort de l’eau,

se campe là,

s’ébroue et tousse,

puis elle coupe à travers champ

pour venir t’attendre au tournant.

En dame blanche du chemin

quand l’aube point

à l’horizon,

matin de lait

Ô cieux d’opale,

Cireuse écume

Du petit jour

elle chante à voix de sirène,

et quand tombe le crépuscule

si tu n’es toujours pas venu

elle est lugubre

elle hulule,

près des cabanes

où l’on débarde,

là où les filets des doris

sont à sécher

Sur la grande route de Visby,

Où les cygnes morts ne vont plus,

La bise y siffle et le vent crie.

 

Or le calcul de l’ondulante

Ondine est fait

Et sans pitié,

Elle est chez elle,

Coques de noix,

Cloches de bois

La nuit, tu sues

Et tu en fais des cauchemars

C’est son calcul que de te suivre

Et de chanter à sa manière

Un chant de guerre

Mimant l’enfer

« Chagrin douleur

Ô désespoir

Je meurs d’amour

Ô cœur de tigre. »

Tu entends encore sur ta tête

Comme un noyé qui s’assourdit

des vagues l’hoquetant écho

ton coeur y cogne

y bat sa coulpe,

lourd comme pierre

tu es coupable

c’est de l’ondine

l’astral calcul

l’ondulant reflet de la lune

sur les grands rocs couverts de glace

quarantièmes rugissants.

 

2. Volte des jours

Les champs, les prés, se laissent voir

Du haut de la tour des remparts

L’hiver laisse imaginer

dessous la neige un bel été

farandole désordonnée

La saponaire et l’asclépiade

Poussent sauvages dans les prés,

Vont et viennent les paysans

Par les travaux des champs pressés.

Puis soudain voici que paraissent

Les grands frimas, soirs de novembre

La mer se ploie sous un ciel noir

Le capitaine sonne en vain

sa corne de brume bouchée

quand ce vieux grisard s’époumonne,

La grêle sonne le canon

Fouette, mitraille le dos rond

D’un grand champ noir d’où sourd d’un coup

une marée pélagienne.

Il y a bien longtemps que déjà

L’on a rangé les faux, les grains

Les balles de foin engrangées

Luisent dans l’ombre des greniers,

et voilà qu’on creuse en plein champ

de grands sillons que le gel fend

Qu’il garde ouverts comme des gueules

Tombe d’hier, lit de demain

Pour l’an prochain, l’année qui vient.

 

3. Ebbe

Odyssée de mer littorine

Littorinate obstusata

Tu l’as dit de ta propre voix

Ta littorine odyssée,

Ô mer fertile où le poisson

Se métamorphosa en mer

Qu’on dit alors versicolore,

Toi, peuplée de géants souffleurs,

Tel l’hippocampe Physéthère,

L’apoplectique Tormungan

Toi qu’on peut voir tourner la pierre

En une vague et mille éclats,

Dans ce cloître sans vrai chemin,

Surgissant à l’orée du bois :

L’église Sainte Radegonde

Un autel est dressé pour toi.

Odyssée de mer littorine

Ta littorine odyssée,

C’est elle qui les amena

ces petits coquillages jaunes

Que ma mère à Ouessant trouva,

Mer littorine odysséenne

Et que de la main à la main

Elle me glissa comme une surprise.

Ce sont ces cyprès minuscules

que j’ai vus pour m’endormir

et qui me tinrent compagnie

au bord du lit où je couchais

Soir après soir, nuit après nuit,

Comme un beau jour pour un joueur

un coup de dés a décidé,

a de son destin fait un sort

Pendant et tant et tant d’années.

Mer littorine, œil de cyclope,

Où es-tu si tu n’es plus là ?

Ton œil ouvert mira le ciel

entre 5000 et 2000 ans

Avant l’an zéro de notre ère

Mais tu ignores le zéro

Toi, dans le vide de ton flot

Le lac dit ancylus gonfle

Et puis la mer mastogloia

ainsi du jusant où bientôt

la vague efface l’autre vague,

bientôt une autre vague est là.

J’y pense quand je vois ma mère

devant les pommiers du jardin

qui se demande bien quoi faire

des douze cageots qu’elle a cueillis,

telle, pensive, Déméter

et ses mains couleurs de sinople

virent, virent comme la mer,

vire la mer littorine

la mer littorine vire

du vert au rouge, du rouge au vert.

 

4. La forteresse Fortinbras

Un souffle passe

Et tu t’éveilles.

C’est le rêve du jour qui monte

La chambre tranquille, où tu dors

Comme un enfant dans son berceau

A poings fermés matin et soir

Matin et soir

A poings fermés

Du sombre soir

Au matin clair

Petit lit blanc, mur vert béryl,

Chambre tranquille, pour le repos

Dont la fenêtre carrée s’ouvre

Sur un grand donjon vers les terres

Là d’où venaient

Par le passé

les paysans

Faux sur l’épaule

Or l’horizon désert s’échappe

Sur la course, l’ultime course

Plus vers le nord, vers le grand nord

Là où partent les grands chaluts

Mer de Barents

Détroit de Behring

Sonne sonne

le carillon

Et les gros murs tiennent encore

Les portes de la forteresse

A chaque porte un bélier

Aux cornes courbes

Attend attend

Un bélier

A chaque porte

.....................................

 

 

Revue « Babel heureuse, N° 4, automne 2018

Gwen Catalá Éditeur, 31000 Toulouse

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