Elen Riot (1976 -) : Seizaine (1-5)
Seizaine
Pour François Rannou
Sicum eve espandat sui, ei esperpalet sunt tui li mien
Nubele si cume cendre espapeilled. (Psautier Oxford, 147, 5)
1. L’île de Margygr
Voilà quelqu’un qui tambourine
Bat la cadence de la main,
Un souffle appelle dans la conque,
Souffle sans voix,
Un « qui va là ? »
Dans l’olifan.
C’est pour ce soir,
L’orage gronde,
Ca va tomber.
Quand la tempête bat les flots
Contre le rivage de l’île
Le calcul de l’ondulante ondine
Donne le là.
Elle glisse sur le dos,
Se tourne, vire
Puis sort de l’eau,
se campe là,
s’ébroue et tousse,
puis elle coupe à travers champ
pour venir t’attendre au tournant.
En dame blanche du chemin
quand l’aube point
à l’horizon,
matin de lait
Ô cieux d’opale,
Cireuse écume
Du petit jour
elle chante à voix de sirène,
et quand tombe le crépuscule
si tu n’es toujours pas venu
elle est lugubre
elle hulule,
près des cabanes
où l’on débarde,
là où les filets des doris
sont à sécher
Sur la grande route de Visby,
Où les cygnes morts ne vont plus,
La bise y siffle et le vent crie.
Or le calcul de l’ondulante
Ondine est fait
Et sans pitié,
Elle est chez elle,
Coques de noix,
Cloches de bois
La nuit, tu sues
Et tu en fais des cauchemars
C’est son calcul que de te suivre
Et de chanter à sa manière
Un chant de guerre
Mimant l’enfer
« Chagrin douleur
Ô désespoir
Je meurs d’amour
Ô cœur de tigre. »
Tu entends encore sur ta tête
Comme un noyé qui s’assourdit
des vagues l’hoquetant écho
ton coeur y cogne
y bat sa coulpe,
lourd comme pierre
tu es coupable
c’est de l’ondine
l’astral calcul
l’ondulant reflet de la lune
sur les grands rocs couverts de glace
quarantièmes rugissants.
2. Volte des jours
Les champs, les prés, se laissent voir
Du haut de la tour des remparts
L’hiver laisse imaginer
dessous la neige un bel été
farandole désordonnée
La saponaire et l’asclépiade
Poussent sauvages dans les prés,
Vont et viennent les paysans
Par les travaux des champs pressés.
Puis soudain voici que paraissent
Les grands frimas, soirs de novembre
La mer se ploie sous un ciel noir
Le capitaine sonne en vain
sa corne de brume bouchée
quand ce vieux grisard s’époumonne,
La grêle sonne le canon
Fouette, mitraille le dos rond
D’un grand champ noir d’où sourd d’un coup
une marée pélagienne.
Il y a bien longtemps que déjà
L’on a rangé les faux, les grains
Les balles de foin engrangées
Luisent dans l’ombre des greniers,
et voilà qu’on creuse en plein champ
de grands sillons que le gel fend
Qu’il garde ouverts comme des gueules
Tombe d’hier, lit de demain
Pour l’an prochain, l’année qui vient.
3. Ebbe
Odyssée de mer littorine
Littorinate obstusata
Tu l’as dit de ta propre voix
Ta littorine odyssée,
Ô mer fertile où le poisson
Se métamorphosa en mer
Qu’on dit alors versicolore,
Toi, peuplée de géants souffleurs,
Tel l’hippocampe Physéthère,
L’apoplectique Tormungan
Toi qu’on peut voir tourner la pierre
En une vague et mille éclats,
Dans ce cloître sans vrai chemin,
Surgissant à l’orée du bois :
L’église Sainte Radegonde
Un autel est dressé pour toi.
Odyssée de mer littorine
Ta littorine odyssée,
C’est elle qui les amena
ces petits coquillages jaunes
Que ma mère à Ouessant trouva,
Mer littorine odysséenne
Et que de la main à la main
Elle me glissa comme une surprise.
Ce sont ces cyprès minuscules
que j’ai vus pour m’endormir
et qui me tinrent compagnie
au bord du lit où je couchais
Soir après soir, nuit après nuit,
Comme un beau jour pour un joueur
un coup de dés a décidé,
a de son destin fait un sort
Pendant et tant et tant d’années.
Mer littorine, œil de cyclope,
Où es-tu si tu n’es plus là ?
Ton œil ouvert mira le ciel
entre 5000 et 2000 ans
Avant l’an zéro de notre ère
Mais tu ignores le zéro
Toi, dans le vide de ton flot
Le lac dit ancylus gonfle
Et puis la mer mastogloia
ainsi du jusant où bientôt
la vague efface l’autre vague,
bientôt une autre vague est là.
J’y pense quand je vois ma mère
devant les pommiers du jardin
qui se demande bien quoi faire
des douze cageots qu’elle a cueillis,
telle, pensive, Déméter
et ses mains couleurs de sinople
virent, virent comme la mer,
vire la mer littorine
la mer littorine vire
du vert au rouge, du rouge au vert.
4. La forteresse Fortinbras
Un souffle passe
Et tu t’éveilles.
C’est le rêve du jour qui monte
La chambre tranquille, où tu dors
Comme un enfant dans son berceau
A poings fermés matin et soir
Matin et soir
A poings fermés
Du sombre soir
Au matin clair
Petit lit blanc, mur vert béryl,
Chambre tranquille, pour le repos
Dont la fenêtre carrée s’ouvre
Sur un grand donjon vers les terres
Là d’où venaient
Par le passé
les paysans
Faux sur l’épaule
Or l’horizon désert s’échappe
Sur la course, l’ultime course
Plus vers le nord, vers le grand nord
Là où partent les grands chaluts
Mer de Barents
Détroit de Behring
Sonne sonne
le carillon
Et les gros murs tiennent encore
Les portes de la forteresse
A chaque porte un bélier
Aux cornes courbes
Attend attend
Un bélier
A chaque porte
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Revue « Babel heureuse, N° 4, automne 2018
Gwen Catalá Éditeur, 31000 Toulouse