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Femmes en Poésie
27 août 2023

Anne Bihan (1955 -) : Graines plumes coquillages

AVT_Anne-Bihan_4153[1]

 

Graines

               plumes

                            coquillages

 

 

La nuit l’incendie embrase les crêtes

vallée de la Houaïlou

de grands pins se brisent

fin des sentinelles

 

l’écorce des niaoulis

apyres se consume

persiste au matin

leur senteur de goménol

 

temps sous les capuches

d’arrachement des cordylines

de soif au creux des tarodières

de rage de haine d’allumettes

 

le silence des grillons.

 

 

 

 

Regarder

étrangère sous le soleil kanak

 

les sentiers les cases

sans porte       ni fenêtres

 

sourire aux enfants        lumineux

dévastés

 

trou noir quand mes yeux

le quittent.

 

 

 

 

Nuit australe

native

nuit de Kanaky

deviner le son

des canettes

tombées sur les niaoulis

bière de Noël

les branches trinquent

le femmes craignent la dengue

des enfants cognent

jouent aux menottes

sur les rondins.

 

les autres se taisent.

 

 

 

 

S’avancer

déliée des sarments

mortifères

autre

          nue

                   incertaine.

 

 

 

 

Guetter

à la lisère

dans l’écartèlement des formes

sur les rebords

           rebonds

           tréfonds

des rêves altiers de l’autre

la sauvage irruption

de soi irradiée

d’océanes cadences.

 

 

 

 

Paille cendre

bois rongé

sous la lune rouge

cases qui ne naîtront plus

flèche             pirogue

incinérées

 

un enfant vide

son bâton de pluie

 

la montagne en feu

dit adieu au dernier bruissement

d’herbe

                     et d’eau.

 

 

 

 

Se glisser

entre les mâchoires d’un soleil-parure

écorces poils dents plumes

porcelaines murex et bois flotté

 

sous l’abondance cérémonielle et composite

des couvre-chefs

lentement tresser l’organique parade

le fil sans fin d’une autre parole.

 

 

 

 

Gousse longue du flamboyant

sexe d’arbre à foison

qui brûle

tout est cendre ce soir

l’homme dans sa case

l’enfant

le ciel ou la montagne

part en poussière

 

l’igname pleure

l’eau rêvée de l’étrangère.

 

 

 

 

Le feu s’apaise

tout est opaque

qui pleure sur l’arbre en cendres

l’herbe calcinée sous le joug

          du vent ?

 

des souffles dans l’ombre

attisent les braises

        ils aiment le feu

palabrent sous la case

                    nous hors du cercle

 

entrer dans l’ignorance

la trouver douce

 

l’eau cherche la terre

aux frontières du ciel

                     le vide se penche.

 

 

 

 

S’approcher

tamat worwor          le doigt

posé à même le sable     des rêves continus

d’un peuple-tambour

 

ne rien emprisonner du saut

          de l’improbable tour d’où l’enfant

s’élance

 

sur la natte des femmes assembler

monnaie           un collier

de graines    de plumes   de dents   de coquillages.

 

 

 

 

Se tenir

entre            reconnaître

à la source la radicale       étrangeté

de l’autre tous ces autres sans qui

nos visages forêt          sans lumière

impossibles à voir

 

          oser l’ombre debout de l’ignorance

 

se tenir

entre           laisser

aux informes le cirque           mensonger

de l’abrasement universel et lui

préférer les appartenances     plurielles

et jubilatoires

 

           guetter le sens à la racine du geste

 

Se tenir

entre            donner

aux enfants du ciel     des bras

armés de la même innocence et quand

la nuit viendra danser       sur nos épissures

prendre le risque de l’espérance.

 

 

 

 

Pieds nus éprouver au passer des creeks

la patience des pierres

 

à Waraï les enfants dressent  des châteaux

sitôt défaits      sable      volcan pulvérisé

remparts d’ébène ornés de bris de porcelaine

la nuit hésite        la plage vient de loin

à la jointure des eaux remuent les paysages

 

langue la chair de la nouvelle igname

apprivoise d’anciens silences.

 

 

 

 

Traquer       traduire

la diverse parole

 

s’ouvrir aux souffles

du grand dehors sous l’arbre-éventail

 

à l’irruption du voyageur

empruntant l’allée latérale       son pas

os peau muscles ligaments

sans hâte et sans désir d’exploits

à accomplir

 

s’ouvrir

 

à rouge et vert ce vol de perruches

ébouriffant l’aube de lignes

                                   éphémères.

 

 

 

 

Deux ciels s’épousent à la césure des mers

 

de l’un je reconnais la langue goémonière

de l’autre les voix ouvertes à qui suit ses chemins

 

de l’un les pierres debout les nuits de grande lune

de l’autre les vallées qui puisent dans la chaîne

 

de l’un ce fleuve cette île le vent fort ce matin

la pâque du clocher qui sonna pour les miens

le père parti trop tôt la mère dans la violence

d’un novembre d’orage

le chant d’un coquelicot tremblant sur son corsage

 

de l’autre ce Noël flamboyant de soleil

d’amour de joie têtue d’étreintes enfantines

cette petite fille surgie sous ses ombrages

riant sous le manguier

où ses frères jouent à vivre dans d’autres paysages

 

il est des monnaies-plumes

des monnaies-coquillages

papillons notous et passereaux

dents poils de roussette et sapi-sapi

cauris couteaux fibres de cocos

 

deux pays s’étreignent là où je m’assemble

ce cahier est sans retour

 

 

 

 

Soudain l’orient d’une aube

                       l’autre langue en approche.

 

 

 

Etre ni l’un ni

l’autre juste le fil tendu     entre

les rives juste     l’élan

ténu entre les formes singulières

du même     la langue plurielle

et composite                 une jambe

inattendue lancée à l’oblique

d’un ciel     de traîne

 

être la voix blanche qui

tourne et tourne encore     longe

le mur des fous des                      fissurés

estropiés     crucifiés     ramasse

à la Une et derrière la porte insonore

ses chambres aseptisées

des mots savants      des phrases ordinaires

se résout à l’incertaine parole

des songes

 

oser traverser la Ligne où les oiseaux de haut vol

s’écartèlent

 

être ni l’ombre            ni

portée la lumière où noires

et rondes et blanches      vibrent

les cendres sonores de nos cris

partagés     mais la fragile pesanteur

de l’amour                   et la grâce de nos désirs

peuplées de bras de bouches de       chevelures

 

être chaine et trame de la

natte promise où          assis debout bruisse

le monde     et la joie reconquise

des simples     des pauvres     des affligés

des affamés                nommer la soif et l’eau la peine

et la miséricorde           le doux

et la douleur de ce qui en nous

guette                 l’infinie présence

de la source

 

et mains vides s’avancer vers la montagne où l’Enfant

     au semblable

s’abandonne. 

 

 

 

 

Ses joues moirées d’ombre et de soleil

sur la balançoire du pied de letchi

la petite à tue-tête oublie

                                       la nuit brusque

 

voix blanches quand ce qui rôde

en tous lieux vous saisit.

 

 

Ton ventre est l’océan

Editions Bruno Doucey, 2011

Voir aussi :

Amer III (25/08/2019)

Amer I (25/08/2020)

Ciels pierres saisons (25/08/2021)

Amer II (25/08/2022)

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