Femmes en Poésie

17 mai 2023

Saphô / Σαπφώ (Vers 1630 – Vers 1580 av. J.C.) : Ode à Aphrodite

133011600_o[1]Peinture d'Alexandre Isailoff,1889

 

Ode à Aphrodite

 

Aphrodite au char banc tiré par des colombes,

Ô terrible, ô rusée, ô tourment des humains,

Empêche que mon âme et mon corps ne succombent ;

          Je tends vers toi mes mains.

 

Fais halte en plein espace et dis : « Qui donc est-elle ?

Je prendrai ton parti ; son cœur sera brisé.

Elle courra vers toi, et tu la verras telle

          Qu’un jouet méprisé.

 

A son tour de souffrir, à son tour de connaître

Les pleurs, l’attente vaine, et les tristes aveux,

Et de t’aimer, Sappho, malgré soi, et peut-être

          Plus que tu ne le veux... »

 

 

Traduit du grec par Marguerite Yourcenar,

In, « La couronne et la lyre,

Anthologie de la poésie grecque ancienne »

Editions Gallimard, 1979

Voir aussi :

 « Je t’ai possédée, ô fille de Kuprôs ! » (22/02/2017)

Aphrodite / εἰς Ἀφροδίτην (30/03/2017)

A une aimée (10/05/2017)

Nocturnes (14/05/201919)

 « Et je ne reverrai jamais... » (13/05/2020)

« ... Rien n’est plus beau... » (13/05/2021)

Je serai toujours vierge (27/06/2021)

« Je ne change point... » 19/05/2022)

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13 mai 2023

Zoé Karèlli / Ζωής Καρέλλης (1901 – 1998) : Imagination du moi / Φαντασία του εγώ

Zoe_Karelli[1]

 

Imagination du moi

 

Parfois les pas du temps

s’arrêtent et le silence alors

s’installe, tantôt terrible

odieux obscur et plein d’angoisse

épais inéluctable

tantôt plus clair, apparaissant

pétri de lumière

pur, infini, limpide

et léger, si léger

que tu ne peux rester

là non plus

dans toute cette lumière

soudaine intense

que tu donnes et reçois

qui te brûle

au moment de calme

où le temps s’arrête

et le silence attend lumineux

et le temps attend lui aussi

que tu t’effaces

*

Immobile à tous les pas

sans un geste j’accomplis

une foule de gestes je sens

le moindre geste

                            plaisir

tu es du temps le terrible

principe où se rencontrent

privation et multitude

angoisse durable le temps

inlassable inexorable

où j’endure, tout dure

où je me trouve, je me retrouve

et vois

à travers l’espace du temps

le temps du corps, qui prend corps.

 

 

Traduit du grec par Michel Volkovitch

in, « Anthologie de la poésie grecque contemporaine, 1945 – 2000 »

Editions Gallimard (Poésie), 2000

 

Φαντασία του εγώ

 

 

Κάποτε τα βήματα του χρόνου

παύουν και τότε η σιωπή

γίνεται, πότε φοβερή κι απαίσια

γεμάτη σκοτάδι, έννοια

πυκνή αναπότρεπτη μοίρα,

πότε ξανοίγει, φαίνεται,

φανερώνεται ουσία φωτός

άπειρη, καθαρότατη, διάφανη,

τόσο ελαφριά, ελαφρότατη,

που δεν μπορείς

ούτ’ αυτού να σταθείς

καθώς φέγγεις, φέγγεσαι

έξαφνα οξύτατα,

καίεσαι από φως,

τη στιγμή της ησυχίας,

της παύσης του χρόνου

κι η φεγγερή σιωπή περιμένει,

στέκεται ο χρόνος και περιμένει,

για να εξαφανιστείς.

*

Ακίνητος σ’ όλα τα βλέμματα

είμαι δίχως κίνηση εκτελώ

πλήθος κινήσεις αισθάνομαι

την κίνηση πάσα

ηδονή

του χρόνου είσαι η φοβερή

αρχή εκεί συναντάται

η στέρηση και το πλήθος μεγάλο

έννοια διάρκειας ο χρόνος

διαρκεί ακατάβλητος αμετάβλητος

εκεί όπου αρκούμαι, διαρκούμε

εκεί ανευρίσκομαι, βρίσκομαι

ξανά και βλέπω

μέσ’ απ’ τον χώρο του χρόνου,

τον χρόνο του σώματος σώμα.

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06 mai 2023

Esperanza López Parada (1962 -) : Stèle d’un marcheur inconnu / Estela de un caminante desconocido

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Stèle d’un marcheur inconnu

 

Pensif, sans rien révéler de ses origines,

de quel lieu ses parents, de quelle province son autel,

malade et pareil à un dieu dans l’incertain,

dans l’achèvement muet, cet homme est parvenu ici

et ici, il se repose, en un point ignoré

situé entre l’adieu aux siens et la nuit.

Ici il se couche, silencieux et ultime,

dans le temps épuisé de son voyage.

 

 

Traduit de l’espagnol par Claude de Frayssinet

In, « Poésie espagnole. Anthologie (1945 – 1990) »

Actes Sud / Editions Unesco, 1995

 

Estela de un caminante desconocido

Pensativo, sin declarar su origen,

ni donde sus padres, en qué provincia su altar,

enfermo y semejante a un dios en lo incerto,

en lo acabadamente mudo, este hombre llegó hasta aquí

y aquí descansa, en un punto ignorado

entre la despedida de los suyos y la noche.

Aquí se acuesta, callado y último

y en el tiempo agotado de su viaje.

 

 

Los tres días

Editorial Pre-Textos, Valencia, 1994

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04 mai 2023

Marcela Delpastre (1925 – 1998) : Prélude / Preludi

132914614_m[1]photo : La vie quercynoise

 

Prélude

 

     Que vous écoutiez, que vous n’écoutiez pas, qu’est-ce que cela me fait ?

     Celui qui passe, qu’il écoute ou qu’il passe, qu’est-ce que cela me fait ?

     Si vous écoutez le vent, quand il souffle dans les hêtres et quand il brame

dans l’air ;

     si vous savez écouter le vent, quand il mène ses nuages comme de grands

oiseaux de mer, et quand il brame dans l’air avec sa gorge de gel ;

     si vous avez parfois entendu la fontaine et le fleuve et la feuille pleurer, le

murmure de l’herbe mûrir dans les prés,

     vous pouvez savoir ce que j’ai à dire.

     Vous le savez déjà.

 

Traduit de l’occitan par Marcelle Delpastre,

in, Revue « Poésie 1, N° 79-80, Septembre - Octobre 1980 »

Editions Armand Colin, 1980

 

Preludi

      Qu’escotetz, qu’escotet zpas, que quò me fai ?

     Queu que passa, qu’escote o que passe, que quò me fai ?

     Si escotatz lo vent, quand bufa dins los faus e quand brama dins l’aire ;

     si sabetz escotar lo vent, quand mena sas nivols coma de grands ausels de

mar, e quand brama dins l’aire emb sa gòrja de giau ;

    si avetz auvit per cas la font e la granda aiga e la fuelha purar, lo marmus de

l’erba madura en los prats,

     podetz saber çò qu’ai a dire.

     Zo sabetz desja.

 

Saumes pagans

Institut d’Etudes Occitanes, 24430 Marsac sur L'Isle, 1974

 

Voir aussi :

« Entre toutes choses... » / « Entre tot... » (01/05/2020)

« Comme l’eau va un jour... » / « Coma l’aiga que vai, un jorn... » (01/05/2021)

Le pays mort / Lo pais mòr (01/05/2022)

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23 avril 2023

Marie-Josée Christien (1957 -) : « La terre durcie... »

moton362[1]

 

La terre durcie

craque

comme du papier de soie

la clarté liquide

que le froid change en glace

se coagule

en terres évanouies

 

le soleil éparpille

le frisson noir du corbeau

sur la neige

 

 l’hiver exalte

une force immatérielle.

 

                *

 

Le frisson de l’air

secoue

l’effervescence végétale

 

Entre celui qui regarde

et cela qui se fait regarder

une ligne d’ombre

s’ouvre et se ferme

infranchissable.

 

février 91

 

 

Revue « le nouvel Ecriterres, N°5, printemps 1991 »

29720, Plonéour-Lanvern, 1991

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08 avril 2023

Esther Tellermann (1947 -) : Allons plus bas

e

 

Allons plus bas

 

     Vite

naviguons

       peignons

nos faces et

dispersons le sel

allons plus bas

là où la terre

oscille et se soumet

     en cendres

où tombent

      la fièvre

      et les dieux.

 

 

     Là

dans les résines

se sont figées

      les voix

       ô

forêts qui

vous effacent

gonflent

       le souvenir.

 

 

           Et

j’attendrai

la déchirure

des lacs tièdes

et des nuits d’en

      dessous

      franchirai

      la mémoire

d’une porte qui            

          s’ouvre

   je perdrai

à nouveau.

 

 

Les espaces

comme en toi

je creuse

cherche les calcites

éclats d’onyx

frontières

de ce côté du

monde

vents nous auraient

     couchés

puis rousseur

nous couvre

avec le cri

et les fosses.

 

 

Plus rien

façades criblées

    et renoncules

un coquelicot

    d’argent

brises sentant les

    feux

vergers de cuivre

cachant

    la tubéreuse

    noire

et les seuils.

 

 

Des champs où

furent laissés

une main qui

      tremble

un regard d’au-delà

      le monde

il m’entre   il

      ne ment pas

      il

      brûle

dans le chaume

afin de retenir

veut nommer

      nomme

ne s’éteint pas.

 

 

Raconte

le trop de nuits

et de senteurs

     là

de ce côté du monde

le trop de rouge

et de bouches

et les bruits de

     tessons

qui enflent

dans le glas

remugle d’infinis

et d’entrailles

     rien.

 

 

    Raconte

comme

l’attente est

    bourreau

et corde

    comme

il fallut taire

    l’appel

    gorgé

arracher

    l’humide.

 

 

Car comment

avons-nous été

      saisis 

avons perdu

au milieu des

      verts

et des linges

des mots-éboulis

      comment

tournons-nous entre

des grains de lumière

des cercles

d’aucun vol

de nos semelles

      de métal ?

 

 

Ne voulions

d’autres races

chassées

elles frôlent     se

greffent

ne sont pas toi

             mais

gens qui creusent

vont au dessous

sous les coulées de

glaise    alourdissent

    l’ombre

 

 

Peut-être

il en fut

              un

qui ne ment pas

il se tient

    droit

au bord    des

levées du monde

en lisière

des minerais

et des tufs

il nomme

veut nommer

ne s’éteins pas.

 

 

Il veille

ceux de dessous et

ceux qui partent

      tombent

sous les coulées

de glaise

insèrent dans le

      cri

      le havre

se hissent sur les

      rails

dans les barques

      les pelles.

 

 

Donne leur un

reste de lumière

parole occupée

de vents

un mot-étincelle

cousant les voix

quand soudain

nuit

        se renverse

un demain de

        neige sur

        le rouge.

 

In, Revue « Conséquence,#2 »,2017

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04 avril 2023

Cartographie Messyl (19 ? -) : Stellaire

132718627[1]

 

Stellaire

 

A la lune blanche

Heures floues dans le cou de la nuit

qui se sait cicatrices

et morsures des papiers égarés

J’observe les étoiles absentes blanchir le temps

ce temps de cicatrices sur la face

Feu le ciel et morsures de la lune

J’entends le loup

ses pas d’errance déposent sur la face

cachée la lune blanche qui nourrit

 

TOUTES LES OMBRES

dans

le

cou

CICATRICES

 

Heures contées à la face du temps

Morsures floues du feu

dans la gueule du loup

La trace dans le cou des étoiles

Ce temps de nuit sur la face blanchit

Cette trace blanche bouche

et mots cousus de lune

à pas de loup les étoiles dans le ciel

 

TES PAS

 

 

Fractale

Sans Crispation éditions, 22000 Saint-Brieuc, 2021  

Voir aussi :

Le verbe (04/04/2022)

 

 

 

 

 

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25 mars 2023

Elizabeth Barrett Browning (1806 – 1861) : « Si pour toi je quitte tout... » / « If I leave all for thee... »

Elizabeth_Barrett_Browning[1]

 

XXXV

 

Si pour toi je quitte tout, en échange

Seras-tu tout pour moi ? N’aurais-je point

Regret du baiser que chacun reçoit

A son tour, et ne trouverais-je étrange

Levant la tête de voir de nouveaux murs ?

Comment... une autre maison que celle-ci ?

Combleras-tu cette place auprès de moi

Pleines de trop tendres yeux pour changer ?

C’est le plus dur. Si vaincre l’amour est

Eprouvant, vaincre la peine plus afflige ;

Car la peine est amour et peine aussi.

Las, j’ai souffert et suis rude à aimer.

Mais aime-moi – veux-tu ? Ouvre ton cœur,

Et drape en lui les ailes de ta colombe.

 

Traduit de l’anglais par Lauraine Jungelson

In, Elizabeth Browning : « Sonnets portugais et autres poèmes »

Editions Gallimard (Poésie), 1994

 

XXXV

If I leave all for thee, wilt thou exchange

And be all to me? Shall I never miss

Home-talk and blessing and the common kiss

That comes to each in turn, nor count it strange,

When I look up, to drop on a new range

Of walls and floors ... another home than this?

Nay, wilt thou fill that place by me which is

Filled by dead eyes too tender to know change?

That's hardest. If to conquer love, has tried,

To conquer grief, tries more ... as all things prove;

For grief indeed is love and grief beside.

Alas, I have grieved so I am hard to love.

Yet love me—wilt thou? Open thine heart wide,

And fold within, the wet wings of thy dove.

 

Poems

Chapman and Hal Publishers, London, 1850

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21 mars 2023

Inger Christensen (1935 - 2009) : Le for intérieur

 

 

artworks-000582823268-m7rfet-t500x500[1] Inger Christensen, le 5 décembre 1969

 

Le for intérieur

 

L’obscurité gargouille à travers pays et poumons

le vent rebat les lieux communs

le lieu dans la bouche où les cris font la queue

le lieu où l’espoir refuse de mourir

nous trahissent silencieux et inertes

dans le monde où tout est valeur

nous prêtent des paroles

que rien n’est valable

 

L’obscurité entre et sort de la tête

rien n’y entre, rien n’en sort

les arbres ramifient chaque branche du sang,

oxygènent l’inquiétude de nuit et de vent

la nuit et le vent du néant

 

Je dois bien l’avouer dans le for intérieur

assis derrière l’œil tu songes peut-être

à la première rencontre, au soleil, au jamais empêcher

je dois bien l’avouer maintenant

que l’ombre est méchante, que nuit et moi

que nous et que je et je

et demande

 

L’obscurité se concentre sur la tour supérieure

la porte du cerveau est déjà forcée

qu’avons-nous, que nous manque-t-il,

qu’est-ce, où sommes-nous et que voyons-nous

avec l’angoisse du phare avec l’angoisse du phare

que sommes-nous, nous nous agrippons

Sur la mer deux cœurs allument leur feu de détresse

 

Traduit du danois par Janine et Karl Poulsen

in, « Lumière »

Les cahiers de Royaumont,1989

Voir aussi :

Lumière (21/03/2021)

Il (21/03/2022)

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16 mars 2023

Li Qingzhao / 李清照 (1084 – vers 1155) : Sur le chemin entre Suzhou et Xiuzhou

 

 

132622765[1]
encre et couleur sur papier, sur rouleau par Liu Lingcan (1907 - 1989) 

 

Sur le chemin entre Suzhou et Xiuzhou

 

En une nuit le soleil de plomb s’est changé en incessante pluie,

Me tirant de mes rêves, le froid mouille les pans de mon habit.

Nulle tristesse pourtant de ces toits qui suintent, de ces lits tout humides,

Mais une immense joie que les ruisseaux débordent en des rivières profondes.

Sur mille lis, les épis des rizières auront vives couleurs,

A la cinquième veille, les feuilles des paulownias résonnent bellement.

Si moi qui n’ai nul champ joyeusement je danse,

Que dire de ces cœurs qui, entre les parcelles, espèrent la moisson !

 

Traduit du chinois par Stéphane Feuillas

in, « Anthologie de la poésie chinoise »

Editions Gallimard (La Pléiade), 2015

Voir aussi :

Amour et mélancolie (17/03/2021)

Tristesse de la séparation (17/03/2022)

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