Andrée Chedid (1920 – 2011) : Démarche
Démarche
Nul n’a vécu le fond d’une rose
l’espace d’un océan
Ou le lieu de son corps
Nul n’entrevoit l’écart entre le nœud et l’écorce
Ne démêle l’écheveau de l’ombre et de la fleur
Les nuits martèlent nos clairières
Le jour abreuve nos ravins
Nul chemin n’est plus heurté que le nôtre
Mais nul plus souverain
In, « De tout les lieux du Français »
Fondation d’Hauvilliers pour le dialogue des cultures, 1975
Voir aussi :
Le cœur naviguant (26/01/2017)
L’escapade des saisons (06/03/2017)
Je t’aime, hostile oiseau (13/04/2017)
Par-delà les mots… (12/10/2017)
Voix multiples (13/10/2018)
Regarder l’enfance (12/10/2019)
Gilberte H. Dallas (1918 – 1960) : « La bannière de mon corps... »
C
La bannière de mon corps flotte au vent brandebourgeois.
Une vieille femme veut entrer dans ma chambre, je
la vois à travers la porte, sa main de feutre rouge
appuyant en vain sur le loquet ; des parcelles de
ses cris me parviennent comme la chanson
barbare d'un violon reprisant la nuit ;
Je vais lui glisser une rose sous la porte.
une rose de sang noir, peut-être partira-t-elle ?
Et je pourrai me vautrer dans le hamac de
mûrier mais sa voix hoquète : Ophélie
Je m'appelle Ophélie, ouvrez-moi, O-phé-lie…
— Que m'importent ses contorsions grotesques
Quel mensonge me porte-t-elle ? Pourquoi ne
me le tend-elle pas à travers ces feuilles de
sable comme elle me tend son nom… Ophélie,
Ophélie, son ombre ricoche dans l'aura de
mon crépuscule. Ophélie, sa voix grince comme
la crécelle des lépreux, phélie, phélie …
Alphabets de Soleils
Editions Seghers, 1952
Voir aussi :
« Des soleils noirs… » (19/04/2017)
« J’ai plongé mon avide soif… » (12/01/2018)
« Les ancolies d’ébène... » (12/01/2019)
A Vincent Van Gogh (12/01/2020)
Renée Vivien (1877 – 1909) : Le toucher
Le toucher
Les arbres ont gardé du soleil dans leurs branches.
Voilé comme une femme, évoquant l’autrefois,
Le crépuscule passe en pleurant... Et mes doigts
Suivent en frémissant la ligne de tes hanches.
Mes doigts ingénieux s’attardent aux frissons
De ta chair sous la robe aux douceurs de pétale...
L’art du toucher, complexe et curieux, égale
Les rêves des parfums, le miracle des sons.
Je suis avec lenteur le contour de tes hanches,
Tes épaules, ton col, tes seins inapaisés.
Mon désir délicat se refuse aux baisers ;
Il effleure et se pâme en des voluptés blanches.
Evocations
Alphonse Lemerre éditeur,1903
Voir aussi :
Victoire (04/02/2017)
Nocturne (15/03/2017)
Devant l’été (18/04/2017)
Vers le nord (10/01/2020)
Alicia Suskin Ostriker (1937 -) : Huitième et treizième / The Eighth and Thirteenth
Huitième et Treizième
La Huitième de Chostakovitch,
Mise en musique du comble
De l’horreur qu’offre l’histoire,
A été rediffusée hier soir
Sur les ondes nationales. Seule
Devant mon vin, j’ai bu
Cette sombre symphonie
Jusqu’à la lie sordide. Le compositeur
Accentue les tierces mineures, l’avalanche
Des cuivres s’abat sur l’ensemble en grumes
Tout juste retranchées de leur forêt, qu’emportent
Courant et chant de bateliers. Comme des corbeaux
Qui sentent venir la viande,
Les hautbois volent en cercle. Les violons de fer
Dégringolent. À Leningrad
Durant les années de siège
Entre bombardement, famine
Et trois hivers en-dessous de zéro,
Trois millions de morts naissent
Du flanc ensanglanté du Christ.
En fœtus de glace. Des mois
Sans pouvoir les enterrer, durs
Qu’ils sont autant que le sol.
Les morts en stères attendent la boue de mai,
Moment qu’attendent les épidémies.
La musique continue, n’a pas d’autre choix.
Scrutez-là jusqu’au fond du possible, elle est toujours
Aussi lugubre. Le compositeur
Ouvre son carnet. Les tyrans aiment jouer
Les mécènes. C’est bien connu. Sauf que les tyrans
N’entendent rien à l’art. Pourquoi ? Parce que la tyrannie
Est perversion. Le tyran, pervers, guette l’occasion
D’écraser, de ridiculiser les gens, d’arpenter des champs
De cadavres… Ses désirs contre nature ainsi satisfaits,
L’homme devient chef et la perversion continue
Parce qu’il faut défendre le pouvoir contre les fous comme
Soi-même. Parce que même si de tels ennemis n’existent pas il faut
Les inventer, sinon il est impossible de rouler toutes ses
Mécaniques, impossible de passer les peuples au pressoir,
De faire gicler le sang. Sans cela, où est le plaisir
Dans le pouvoir ? Le compositeur
À la porte de sa datcha, en avril,
Regarde les jeux des petits paysans,
N’oublie rien. Pour la Treizième ––
Je glisse la cassette dans mon autoradio
–– Ils obligent les Juifs de Kiev à se déshabiller
Après les avoir menés en colonnes dans le faubourg,
Fusillent sur place les hésitants,
Matraquent quelques-uns des estropiés,
Hurlent contre tout le monde.
Les valises emmenées ne serviront
À rien, faites dans une telle
Hâte, sanglées de ficelle
Si élimée. Les soldats en tuent
Encore un peu plus. Les survivants,
Hommes, souris dénichée entre les jambes,
Femmes aux seins ballants
Comme sur un stade, reçoivent l’ordre
De courir à travers un petit bois jusqu’à ce que
La fosse qui salive
Babines ouvertes.
Les tireurs abattent ceux qui restent
Alors, là, par dizaines de milliers.
De la belle ouvrage : les corps basculent
Pas besoin de les traîner. Un officier
Marche sur les morts,
Achève ce qui bouge.
Ça doit faire drôle d’avoir le pied
Si mal assuré, même chaussé de bottes
Douces au mollet, de cuir et de laine d’agneau,
Aux semelles de caoutchouc épais––
C’est ce qu’explore patiemment la musique.
Quelle est donc l’essence du réel ?
Du bon ? L’esprit grille son fusible,
Le cœur avorte, ça sent la cendre humide,
La main monte leur couvrir les yeux,
Il n’y a que la musique pour continuer. On va essayer :
Pour le premier mouvement.
Chorus plein,
Inverse immédiat de Beethoven.
Hache plantée entre les omoplates
De Herr Wagner. Les gens savaient pour Babi Yar
Avant le poème d’Evtouchenko, mais ils se taisaient. Quand
Ils ont lu le poème, le silence a été rompu. L’art brise
Le silence. J’en connais beaucoup qui ne sont pas d’accord avec moi
Et assignent à l’art d’autre buts, plus nobles. Ils parlent de beauté,
De grâce et autres altitudes. Je ne mords pas
À un tel appât. Je suis comme Sobakevitch dans Les âmes mortes : Même si vous
Me trempez un crapaud dans le caramel, je ne le goberai pas.
La plupart de mes symphonies sont des monuments funéraires, disait Chostakovitch.
Les poètes sont juifs, a dit Tsvetaïeva.
Plus jamais ça
Croise le fer
Avec On remet le couvert––
Dans cette musique-là.
Traduit de l’anglais par Jean Migrenne
In, Revue « Temporel, N°14, 22 Septembre 2012
Revue en ligne publiée par l’Atelier GuyAnne, 77144 Chalifert
The Eighth and Thirteenth
The eighth of Shostakovich,
Music about the worst
Horror history offers,
They played on public radio
Again last night. In solitude
I sipped my wine, I drank
That somber symphony
To the vile lees. The composer
Draws out the minor thirds, the brass
Tumbles overhead like virgin logs
Felled from their forest, washing downriver
And the rivermen at song. Like ravens
Who know when meat is in the offing,
Oboes form a ring. An avalanche
Of iron violins. At Leningrad
During the years of siege
Between bombardment, hunger,
And three subfreezing winters,
Three million dead were born
Out of Christ's bloody side. Like icy
Fetuses. For months
One could not bury them, the earth
And they alike were adamant.
The dead were stacked like sticks until May's mud
When, of course, there was pestilence.
But the music continues. it has no other choice.
Peer in as far as you like, it stays
Exactly as bleak as now. The composer
Opens his notebook. Tyrants like to present themselves as
patrons of the arts. That's a well known fact. But tyrants
understand nothing about art. Why? because tyranny is a
perversion and a tyrant is a pervert. He is attracted by the
chance to crush people, to mock them, stepping over
corpses... And so, having satisfied his perverted desires,
the man becomes a leader, and now the perversions continue
because power has to be defended against madmen like
yourself. For even if there are no such enemies, you have
to invent them, because otherwise you can't flex your
muscles completely, you can't oppress the people completely,
making the blood spurt. And without that, what pleasure is
there in power? The composer
Looks out the door of his dacha, it's April,
He watches farm children at play,
He forgets nothing. For the thirteenth –
I slip its cassette into my car
Radio - They made Kiev's jews undress
After a march to the suburb,
Shot the hesitant quickly,
Battered some of the lame,
And screamed at everyone.
Valises were taken, would
Not be needed, packed
So abruptly, tied with such
Frayed rope. Soldiers next
Killed a few more. The living ones,
Penises of the men like string,
Breasts of the women bobbling
As at athletics, were told to run
Through a copse, to where
Wet with saliva
The ravine opened her mouth.
Marksmen shot the remainder
Then, there, by the tens of thousands,
Cleverly, so that bodies toppled
In without lugging. An officer
Strode upon the dead,
Shot what stirred.
How it would feel, such uneasy
Footing, even wearing boots
that caressed one's calves, leather
and lambswool, the soles thick rubber –
Such the music's patient inquiry.
What then is the essence of reality?
of the good? The mind's fuse sputters,
The heart aborts, it smells like wet ashes,
The hands lift to cover their eyes,
Only the music continues. We'll try,
For the first movement,
A full chorus.
The immediate reverse of Beethoven.
An axe between the shoulder blades
Of Herr Wagner. People knew about Babi Yar
before Yevtushenko's poem, but they were silent. And when
they read the poem, the silence was broken. Art destroys
silence. I know that many will not agree with me, and will
point out other, more noble aims of art. They'll talk about beauty,
grace, and other high qualities. But you won't catch
me with that bait. I'm like Sobakevich in Dead Souls: you can
sugarcoat a toad and I still won't put it in my mouth.
Most of my symphonies are tombstones, said Shostakovich.
All poets are Yids, said Tsvetaeva.
The words never again
Clashing against the words
Again and again —
That music.
The Little Space : Poems Selected and New, 1968–1998.
University of Pittsburgh Press, Pittsburgh (USA),1998
Joyce Mansour (1928 – 1986) : La cuirasse
La cuirasse
Quand la guerre pleuvra sur la houle et sur les plages
J’irai à sa rencontre armée de mon visage
Coiffée d’un lourd sanglot
Je m’étendrai à plat ventre
Sur l’aile d’un bombardier
Et j’attendrai
Quand le ciment brûlera sur les trottoirs
Je suivrai l’itinéraire des bombes parmi les grimaces de la foule
Je me collerai aux décombres
Comme une touffe de poils sur un nu
Mon œil escortera les contours allongés de la désolation
Des morts brasillants de soleil et de sang
Se tairont à mes côtés
Des infirmières gantées de peau
Pataugeront dans le doux liquide de la vie humaine
Et les moribonds flamberont
Comme des châteaux de paille
Les colonnades s’enliseront
Les astres bêleront
Mme les pantalons de flanelle s’engloutiront
Dans l’espace géant de la peur
Et je ricanerai dents découvertes violette d’extase dithyrambique
Hystérique généreuse
Quand la guerre pleuvra sur la houle et sur les plages
J’irai à sa rencontre armée de mon visage
Coiffée d’un lourd sanglot
Rapaces
Editions Seghers, 1960
Voir aussi :
Bleu comme le désert (15/01/2017)
Le téléphone sonne (18/02/2017)
Chant arabe (22/03/2017)
Pericoloso sporgersi (29/04/2017)
Trous noirs (22/03/2018)
« Les vices des hommes... » (18/12/2019)
Leanne O’Sullivan (1983 -) : Enfants du Cillínach / Children of the Cillínach
Enfants du Cillínach (*)
Viens à nous avec des lis et des reines des prés,
viens à nous de cœur et non de vue,
cette palpitation d’amour toute douleur encore,
dans le cercueil de sombre terreau de ton ventre.
Maman, j’ai reconnu ton poids
et la longueur de tes mains douces
alors que tu t’inclinais sur ce sol rude, à l’abandon.
Je t’ai reconnue aux pâquerettes d’oubli
liées avec de la ficelle bleu et rouge.
J’ouvre les yeux ; tu me regardes.
Si jamais on m’autorise une voix
tu me reconnaîtras quand je parlerai :
si j’étais privé d’ailes dans le néant,
je te rapporterais toute une réminiscence de plumes.
La faux qui sape la vie, je m’en souviens,
et au-dessus, un chœur d’oiseaux, les pétales
des pâquerettes se soulevant. Ecoute-moi :
je te reconnaîtrai encore parmi les grillons
et les arbres ondoyants. Nous survivrons à la terre.
N’es-tu pas ma mère ?
N’est-ce pas toi que j’ai entendue dans le tumulte de l’ombre ?
Celle dont j’ai senti
que m’exhumaient les mains pour baptiser mon âme
sous un surgissement de larmes ?
(*) Lieu où sont inhumés les enfants morts non encore baptisés, destinés à séjourner dans les limbes,
selon la religion catholique.
Traduit de l’anglais par Anne Mounic
In, Revue « Temporel, N°9, 26 Avril 2010
Revue en ligne publiée par l’Atelier GuyAnne
77144 Chalifert
Children of the Cillínach
Come to us with lilies and meadowsweet,
come to us by heart and not by sight,
that heaving of love which aches still,
coffined in your belly’s darkening loam.
Mother, I’ve known your weight
and the length of your soft hands
bent over this rugged, unworked soil.
I’ve known you by the forgetful daisies
strung with blue and red twine.
I open my eyes ; you are watching me.
If ever I am allowed a voice
you will know me when I speak :
if I was unwinged in nothingnesss I would
bring home to you a memory of wings.
The scythe which undercuts life I remember,
and above, a chorus of birds, the petals
of daisies lifting. Hear me ;
I will know you again among the crickets
and billowing trees. We will survive the earth.
Are you not my mother ?
Was it not you I heard in the thrashing dark ?
The one whose hands
I felt unbury me and baptise my soul
in a fountaining of tears ?
Anne-José Lemonnier (1958 -) : « Le vent déchirent les feuilles mortes... »
Le vent déchirent les feuilles mortes
et les vagues déferlent remontent
sur la plage emportant les pensées
échouées sans suite sur le sable
Demeure la table
l’appui fidèle du bois
son passé d’arbres et de racines
force taillée dans la patience
et dans la gravité des forêts
Demeure le chat
coquillage de sagesse
enroulé sur la page blanche
Le vent déchire les années
déchire aussi
les déchirements de tout ce temps
La main d’aujourd’hui rature
les mots douleur et joie
et les remplace
par le seul mot lumière
qui les réconcilie
Ainsi n‘est-ce pas
le mot amour
qui dit le mieux l’amour
mais plus simplement
le mot herbe
Les Portes de la presqu’île
Editions Rougerie, 1990
Voir aussi :
« Au lieu de pleurer… » (08/12/2017)
Marina Tsvétaïeva / Марина Ивановна Цветаева (1892 – 1941) ) : Ah ! les vains regrets de ma terre
Ah ! les vains regrets de ma terre
M’ont révélé tous leurs secrets !
Je suis, en tout lieu, solitaire,
Peu m’import où je dois errer...
Portant mon sac, je rentre encore
Du marché le long des bâtisses,
Vers une maison qui m’ignore
Comme une caserne, un hospice...
Mais peu m’importe de connaître,
Pauvre lionne hérissée,
Tous les milieux d’où je vais être
Infailliblement évincée.
N’étant plus de ma langue éprise,
Et sourde à son appel lacté,
Ne pouvant plus être comprise,
Je vois des mots la vanité.
Ma voix montant du fond des âges,
Tu ne liras pas mes feuillets,
Lecteur de pages et de pages,
Lecteur de tonnes de papier !
L’arbre qui, seul, pousse à l’écart
Ne rejoindra l’allée jamais,
Et rien ne peut plus m’émouvoir
De ce que j’ai le plus aimé.
.................................................
Sur une feuille vide et lisse
Les lieux, les noms, tous les indices,
Même les dates disparaissent.
Mon âme est née, où donc était-ce ?
Toute maison m’est étrangère,
Pour moi tous les temples son vides,
Tout m’est égal, me désespère,
Sauf le sorbier d’un sol aride...
Paris
Traduit du russe par Katia Granoff,
In, « Anthologie de la poésie russe »
Editions Gallimard (Poésie),1993
Voir aussi :
« Il me plaît que vous ne soyez pas fou de moi… » / Мне нравится, что вы больны не мной (09/02/2017)
Tentative de jalousie / Попытка ревности (07/04/2017)
« Une fleur est accrochée à ma poitrine… » / « Кто приколол - не помню... » (26/08/2017)
« De pierre sont les uns... » (28/08/2018)
Déwé Gorodey (1949 -) : Nuits blanches
Nuits blanches
à la mémoire de mon grand-père
et au souvenir de ma mère
Nuits pures
Filles si libres
Brillants réverbères
de l’ivresse sans mal
Pâle
subite lumière
dans les nuits pures
Les grains de sable en bas du tertre ancestral où s’écoulent et demeurent
parfois
les eaux de la bouche de rivière des requins lézards
les grains de sable n’entendent plus les cris des pleureuses endeuillées quand
meurt le chef
et le caméléon des bambous
dès lors ne gémit plus et a disparu
Elle s’en est allée à jamais la femme qui crée
la vie et le sang du clan se sont éteints
La femme source de vie suivit l’idole dans les tortueux dédales de la ville
fut chouette et roussettes nocturnes chantant et chuintant
l’espérance de la divinité si enviée à l’idole plus puissante
que les totems de tous les clans
Lumière de ce dieu qui te fascina
alors que tu cherchais ta sœur qu’il a déjà
Tu désirais être à ce lumineux soleil
Elle ne se soucie plus des caresses passées des souffles du récif coralien
Elle n’offrira plus son visage aux vagues des marées
qui submergeaient une enfance salée d’illusions criardes et d’étoiles nacrées
Toutes les nuits ma sœur ne dort plus
Il est mort le temps du feu dans la case
du profond sommeil qui nous unit aux totems
Et depuis ma sœur ne connaît que des nuits blanches
Songes fous
lèvres sans mots
tu revois l’idole
le sommeil te fuit
Rêve
Intense instant
dans les songes fous
(Montpellier, 27 Février 1972)
Revue « Poésie 1, N° 116, Mars-Avril 1984 »
Le Cherche-Midi éditeur, 1984
Voir aussi :
Fille perdue (25/10/2017)
Et les prospectus (25/10/2018)
Nuits nues (25/10/2019)
Nelly Sachs (1891 - 1970) : « C’est l’heure planétaire des fugitifs... « / « Das ist der Flüchtlinge Planetenstunde... »
C’est l’heure planétaire des fugitifs.
C’est la fuite arracheuse des fugitifs
vers le haut mal, vers la mort !
C’est la chute astrale hors de l’arrestation magique
du seuil, du foyer, du pain.
C’est la pomme noire de la connaissance,
la peur ! Soleil d’amour éteint
qui fume ! C’est la fleur de la hâte,
aspergée de sueur ! Ce sont les chasseurs
issus de rien, rien que de fuite.
Ce sont des pourchassés, qui portent dans les tombes
leurs cachettes mortelles.
C’est le sable, effrayé
de guirlandes d’adieu.
C’est la percée de la terre vers l’espace libre,
son souffle court,
dans l’humidité de l’air.
Traduit de l’allemand par Jean-Pierre Lefebvre
In, « Anthologie bilingue de la poésie allemande »
Editions Gallimard (La Pléiade), 1995
Voir aussi :
« Ici où dans le sel… » (05/03/2017)
« Des langues de mer salées… » (12/04/2017)
« Rêve surcroît du dormeur… / « Traum der den Schlafenden… » (16/10/2017)
« Vous mes morts... » / « Ihr meine Toten... » (17/10/2018)
Papillon / Schmetterling (16/10/2019)
Das ist der Flüchtlinge Planetenstunde.
Das ist der Flüchtlinge reißende Flucht
In die Fallsucht, den Tod !
Das ist der Sternfall aus magister Verhaftung
Der Schwelle, der Herdes, des Brots.
Das it der schwarze Apfel der Erkenntnis,
die Angst ! Erloschene Liebessonne
die raucht ! Das ist die Blume der Eile,
schweißbetropft ! Das sind die Jäger
aus Nichts, nur aus Flucht.
Das sind Gejagte, die ihre tödlichen Verstecke
in die Gräber tragen.
Das ist der Sand, erschrocken
mit Girlanden des Abschieds.
Das ist der Erde Vorstoß ins Freie,
ihr stockender Atem
in der Demut der Luft.
Und niemand weiß weiter,
Ellerman verlag, Hambourg-Munich, 1957