Emily Jane Brontë (1818 - 1848) : - « Comme elle brille clair ... » / « How clear she shines... »
Portrait d'Emily Brontë, par André Masson, 1944
Comme elle brille clair ! Avec quelle quiétude
Je repose, baignée de sa lueur d’argent,
Tandis que le Ciel et la terre me chuchotent :
« Réveille-toi demain, mais pour cette nuit rêve. »
Viens-t’en, Imagination, ma fée chérie !
A ces tempes qui battent, donne un doux baiser,
Et puis te penche sur ma couche solitaire
Pourvoyeuse de paix et de félicité.
Le monde se retire... Sombre monde, adieu !
Lugubre monde, cache-toi jusqu’à l’aurore :
Le cœur que tu ne peux soumettre tout entier,
Si tu tardes, devras te résister encore !
A ton amour, non, non, je ne veux point de part ;
Ta haine ne saurait éveiller qu’un sourire ;
Tes chagrins peuvent déchirer, tes torts meurtrir
Mais tes ruses mensongères sont dérisoires !
Tandis que je contemple au-dessus de ma tête
Les étoiles de cette mer mer libre d’orages,
Je veux nourrir l’espoir que toute la détresse
De la Création est contenue en toi !
Et voici quel sera mon rêve cette nuit :
Je croirai que le ciel des sphères radieuses
Poursuit à l’infini sa course lumineuse,
Toujours jouissant d’une infinie félicité ;
Je croirai qu’il n’est pas un seul monde là-haut,
Aussi loin que ma vue se porte avec effort,
Où jamais la Sagesse ait pu railler l’Amour
Et la Vertu ramper aux pieds de l’Infamie ;
Oh, sous les coups du Sort se tordant de souffrance,
Le malheureux couvert de plaies ait dû sourire
Pour déjouer la haine par sa patience
Alors qu’en lui, sans cesse, se cabrait son cœur ;
Où le Plaisir fatalement conduise au mal,
Où la Raison s’épuise en vain à mettre en garde,
Où la Candeur soit faible et la Trahison forte,
Et la Joie le plus court chemin de la Douleur.
Où la Paix soit l’engourdissement de la Peine,
L’Espoir un fantôme de l’âme,
La Vie, un labeur vide qui ne dure point,
Et la Mort, sur eux tous, un Tyran souverain !
13 Avril 1843
Traduit de l’anglais par Pierre Leyris,
In, Emily Bronte : Poèmes (1836 – 1846)
Editions Gallimard, 1963
How clear she shines! How quietly
I lie beneath her guardian light;
While heaven and earth are whispering me,
“ Tomorrow, wake, but, dream to—night.”
Yes, Fancy, come, my Fairy love!
These throbbing temples softly kiss;
And bend my lonely couch above
And bring me rest, and bring me bliss.
The world is going; dark world, adieu!
Grim world, conceal thee till the day;
The heart, thou canst not all subdue,
Must still resist, if thou delay!
Thy love I will not, will not share;
Thy hatred only wakes a smile;
Thy griefs may wound —thy wrongs may tear,
But, oh, thy lies shall ne’er beguile!
While gazing on the stars that glow
Above me, in that stormless sea,
I long to hope that all the woe
Creation knows, is held in thee!
And, this shall be my dream to—night;
I’ll think the heaven of glorious spheres
Is rolling on its course of light
In endless bliss, through endless years;
I’ll think, there’s not one world above,
Far as these straining eyes can see,
Where Wisdom ever laughed at Love,
Or Virtue crouched to Infamy;
Where, writhing ‘neath the strokes of Fate,
The mangled wretch was forced to smile;
To match his patience ’gainst her hate,
His heart rebellious all the while.
Where Pleasure still will lead to wrong,
And helpless Reason warn in vain;
And Truth is weak, and Treachery strong;
And Joy the surest path to Pain;
And Peace, the lethargy of Grief;
And Hope, a phantom of the soul;
And Life, a labour, void and brief;
And Death, the despot of the whole!
C. W. Hatfield : « The Complete Poems of Emily Jane Bronte,
Revised from Manuscripts »
Columbia University Press, New-York, 1941
Voir aussi :
Il devrait n’être point de désespoir pour toi / There should be no despair for you (02/03/2017)
Le soleil est couché / The sun has set (05/04/2017)
« Autour de moi des tombes grises... / « I see around me tombstones grey… » (01/08/2018)
« Mon plus grand bonheur... » / « I’m appiest… » (30/06/2019)
« Je viendrai quand ... » / « I’ll come when … » (02/08/2019)
Viens-t’en avec moi / Come, walk with me (02/08/2020)
« Dis-moi, dis, souriante enfant... » / « Tell me, tell me, smiling child... » (01/08/2021)
Brouillard léger sur la colline / Mild the mist upon the hill (06/02/2022)
Louise Labé (1526 – 1566) : « Je fuis la ville... »
Un portrait, tardif et imaginaire, de Louise Labé © PHOTO JOSSE / LA COLLECTION
Je fuis la ville, et temples, et tous lieux
Esquels, prenant plaisir à t'ouïr plaindre,
Tu pus, et non sans force, me contraindre
De te donner ce qu'estimais le mieux.
Masques, tournois, jeux me sont ennuyeux,
Et rien sans toi de beau ne me puis peindre ;
Tant que, tâchant à ce désir éteindre,
Et un nouvel objet faire à mes yeux,
Et des pensers amoureux me distraire,
Des bois épais suis le plus solitaire.
Mais j'aperçois, ayant erré maint tour,
Que si je veux de toi être délivre
Il me convient hors de moi-même vivre ;
Ou fais encor que loin sois en séjour.
Voir aussi :
« Baise m’encor, … » (16/01/2017)
« Je vis, je meurs… » (12/02/2017)
« Tant que mes yeux… » (24/04/2017)
« Ne reprenez, Dames… » (05/02/2018)
« Telle j’ai vu... » (03/02/2019)
« Ô doux regards... » (03/02/20)
Oh ! si j’étais en ce beau sein ravie (03/02/2021)
« Depuis qu’Amour cruel... » (03/02/2022)
Pavie Zygas (1949 -) : Berceau de branches vide
Berceau de branches vide
Rose impudique de l’occident
feuille grise du lotus sur la marée d’automne
ne pas écrire au point
où
tout concorde
la terre dans la main
on écoute au-dedans quelque signe dressé
ceux
qui ne parlent pas – la pierre
écrase le lézard
il ne crie pas – la fureur de la guerre
la plante côté nord
tendue
vers la lumière
Vivre ici
et maintenant
parmi nos bombes
à fragmentation
porter haut
le cliquetis des mots
de nos cent fleurs épanouies
pol pot aum bhopal clonage et guernica
tchernobyl charonne columbine hiroshima
wounded knee tian an men erika et kkk
mac carthy tigres tamouls vih et tchetchénie
hutus tutsis petit grégory berlusconi
aulnay-sous-bois piazza fontana bagdad et ben
barka treblinka sabra et chatila al kaïda
golfe persique pinochet perche du nil et kolyma
ah sentier lumineux sur la planète bleue
pauvre ghetto plein de gros sous de sdf
d’intox de moulinex et de textos tolérance zéro
Sous le grand tilleul, l’été, lisant des livres
toutes ces paroles données
vibrantes et fausses
joignant le flot des nôtres
tombées
ah les désirs du cœur sont les arêtes vives
où les chats souples de nos mots vont se blessant
En mémoire de Tao Yuan Ming
Les siècles passent une foison de mots passe barque légère
pareille à la source aux fleurs de pêchers
dans quel hier a-t-elle fui, cette lumière
et ces yeux cette langue
ces doigts – la pierre même sur la tombe
poussière
rendue à notre mère aux beaux seins
mais
aux dent longues
Velléités
pareilles à des parques
à des déesses
à des vellédas mais plus piquantes
fuir
dans l’ordre mystérieux des mots
jouer
incapable
d’être
tranquille
devant les innommables
Rouges camélias
les mots flottent ce sont des fleurs
têtes coupées qu’on voit passer dans le courant
ce sont des fleurs
sur les marches de pierre
dans le printemps à Shishigatani
discipline des mots
pétales de l’être
ou
déréliction
Identifier est un mot fade
jadis je voulais tout verser de toi dans moi
le parfum des lys arrive comme
une respiration
souvenir
de ton éclat
il faut partit mon âme il va pleuvoir
je n’ai pas pris de parapluie
je pose sur la tombe
une carte postale c’est un tableau
et là-dessus un bonbon arlequin tout ce que je possède
les fleurs séchées je les ai oubliées à l’hôtel
le vide continue
de creuser il gagne du terrain
à grandes pelletées
chez nous on ne brûle pas les corps
on les enterre
la terre fait un bruit mat quand elle tombe
l’esprit continue
de battre la campagne
il trouve les mots
identifier est un mot fade
je dirai plutôt de toi : Beauté
inextricable de ma vie
Entre temps
dans quelque creux du temps
je peux étendre mes bras droit devant
- l’eau s’ouvre et se referme –
à l’infini au devant de moi
ou me dresser
sur la pointe des pieds
au centre de l’humaine
désolation
souvent je cherche du temps pour cela
cela je ne sais ce que c’est cela
- les animaux il me semble vivent bien dans cela –
si je pouvais parler l’absent que te dirais-je
ce que je dis là se désintègre aussitôt
explose
dans l’inanité le doute
la douleur piquée d’épingles
je suis tombé dans ton vide j’ai senti
les dessous de ton déguisement
intempestif ton vide est ma prière ma leçon
intempestif quel mot
bizarre quand je le dis il ne s’accorde pas
avec ce cri ténu cette indolence
dans un geste
léger
Berceau de branches vide
dans la brume de mars
un compte secret rassemble
l’espace d’un instant
tout un printemps d’étoiles blanches
l’espace d’un instant
prunier sauvage
la forme de l’énigme
aussitôt consumée
enfouissement
trop court pour être inscrit
si ce n’est
bien en deçà ces mots
l’espace
d’un instant
Berceau de branches vide
Editions fissile, 09310 Les Cabannes
Voir aussi :
La petite fille et la mort (27/01/2021)
Parler tout seule (24/01/2022)
Izanne (19? -) : Lilith. Chant IV
Lilith (Chant IV)
Je suis
l’étoile de la bergère
la louve qui sort de sa tanière
la salive de la rage
la plume dans le goudron
le sable sous les pavés
la foudre sans le tonnerre
la main d’Inanna
l’enfant de la cité d’Akkad
la poussière de Ninsikila
le sein de Marie Magdalène
la reine de Zmargad
la promesse de la moisson
pas la moisson
l’annonce de la mousson
pas la mousson
l’élixir, le poison
et l’antidote
à ma guise
la pâmoison
le mirage de l’extase
la passion de Caïn
et le sang d’Abel
l’égérie des infidèles
le pustule de vos remords
le poison melliflu
les délices démoniaques
le baiser vénéneux
le coït expiatoire
l’épectase des vieillards
l’idole des sybarites
l’opprobre de sa caste
la pythie de l’orgasme
l’incantation des secrets
le vacarme des non-dits
le cratère qui crache la lave
comme le vagin
de l’infertile verse
des larmes de sang
et je défie Moïse
de s’y frayer un chemin
et j’invite à boire
au calice de la création
de la récréation
de la procrastination
à se donner du plaisir
Je suis
l’étrangère impie
qui erre en tenue d’Eve
du côté de la mort
la profanatrice
des alcôves
à la tombée
de la nuit de noces
Dieu a sept noms
moi je suis sept femmes
une pour chacun
de leurs péchés
une pour chacune
des merveilles des sept mondes
et plus encore
Rien n’arrête ce qui n’a pas commencé
rien ne commencera si l’on n’arrête pas
tout continuera juste de recommencer
à proclamer
la victoire par chaos
à venger
les âmes bafouées
à soumettre
les faibles
bannir
les renégats
renier
les bâtards
jeter
les résidus de fausse couche
dans la fulgurance universelle
des béatitudes
des supplices
pour les siècles des siècles
et tandis que chaque parcelle de leur peau
sera fripée, flétrie
attendant le suaire ou la chaux
leur mont de vénus
un terrain vague déserté
je ne prendrai pas une ride
avec un diadème de sperme
sur mes cheveux épars
mes seins pointant vers l’infini
de la jouissance
de la souffrance
et de l’errance entre les deux
Alors dans un dernier souffle
en brisant les miroirs
kaléidoscopes des illusions
et de la vanité
c’est mon nom
qui brûlera vos lèvres
dans l’élan fébrile
d’un dernier baise
Lilith !
Une femme donc volubile
Quand je parle de son talon
Il vient pleurer dans mon giron
Alors je dis qu’il est balaise
Pour le mettre bien à son aise
Il n’a pas une vie facile.
Depuis que l’homme est homme
A lui-même il fait allégeance
Il voit ce qu’il veut dans les runes
La gloire, l’amour et la thune
Depuis que Rome n’est plus Rome
Et pour retrouver sa confiance
Qu’il fume un’ blonde, boiv’ une brune
Sa féminité l’importune.
Parole d’Evangelle
Sans Crispations éditions
22000 Saint-Brieuc, 2022
Andrée Chedid (1920 – 2011) : Jeunesse
Jeunesse
Jeunesse qui s’élance
Dans le fatras des mondes
Ne te défais pas à chaque ombre
Ne te courbe pas sous chaque fardeau
Que tes larmes irriguent
plutôt qu’elles ne te rongent
Garde-toi des mots qui se dégradent
Garde-toi du feu qui pâlit
Ne te laisse pas découdre tes songes
Ni réduire ton regard
Jeunesse entends-moi
Tu ne rêves pas en vain
Poèmes pour un texte
Editions Flammarion, 1991
Voir aussi :
Le cœur naviguant (26/01/2017)
L’escapade des saisons (06/03/2017)
Je t’aime, hostile oiseau (13/04/2017)
Par-delà les mots… (12/10/2017)
Voix multiples (13/10/2018)
Regarder l’enfance (12/10/2019)
Démarche (16/01/2021)
A quatre temps (16/01/2022)
Gilberte H. Dallas (1918 – 1960) : « Je vous envoie... »
U
Je vous envoie, enveloppant ce poème froissé, cette mappemonde de cristal.
Ma gorge est close comme une boîte rouillée
Des cyclamens blancs à tête d’ocelots me veillent,
arrachant à mon sommeil des lambeaux de chair
Oh ! pulpes des grenades éclatées, seins béants.
Où es-tu Marie ?
Petite sœur, reflet.
Des rais de chaleur perforent la cage de l’ascenseur délivrant le camphre du désir.
Je suis riche, riche comme un kaléidoscope
Plongez vos mains dans mon ventre,
retirez-en l’arc-en-ciel qui me dévore.
Alphabets de Soleils
Editions Seghers, 1952
Voir aussi :
« Des soleils noirs… » (19/04/2017)
« J’ai plongé mon avide soif… » (12/01/2018)
« Les ancolies d’ébène... » (12/01/2019)
A Vincent Van Gogh (12/01/2020)
« La bannière de mon corps... » (12/01/2021)
« Je vois au creux des paumes... » (12/01/2022)
Ananda Devi (1957 -) : Me suis réveillée
© Oumeya El Ouadie/ Éditions Bruno Doucey
Me suis réveillée
Je me suis réveillée un matin
après un rêve d’une violence extrême.
J’ai écrit ceci,
n’ayant ni été violée ni violentée.
Me suis réveillée corps brûlé
Dévêtue de ma peau
Main carnassière
Gouttes de nuit acides
Les chattes ne sortent pas
Me suis réveillée bouche fracassée
Cœur détalant trop battu
Jambes désemparées
Boueuses boiteuses
Sottes ! Fuyez ! Fuyez !
Me suis réveillée à genoux dans mon lit
Il n’y avait personne
Tous étaient là
Par la fenêtre l’oubli riait
Tu ne vivras pas sans peur
Me suis réveillée l’aube était glauque
Le ciel barbouillé couleur de vomi
Le corps pesant paillasse d’insomnies
Où est passé la vie
Ses espaces rieurs
Tous compressés dans un poing fermé
Me suis réveillée poisson bafouillant
Sa prière liquide
Dans le poison de l’air
Chair frétillant sans espoir
Sous le fil du saignoir
Me suis réveillée en pleine stupeur
Blanc trop blanc
Inondant mes yeux
Gueules braillantes
Sanglant ma vision
Me suis réveillée lovée en transparence
Aucun tissu étoffe soie
Livre tout de toi
Pas le droit
Ultime secret de ton ventre
Me suis réveillée agonie
Vécue et crainte
Ca n’arrive
Pas qu’aux autres
Au détour d’une rue griffée de pluie
Un soir d’équinoxe
Me suis réveillée dans les essieux
Métro trop bondé
Facile, si facile
D’abolir la distance
Toucher ce qui n’est pas soi
Formes courbes dissimulées
Audace des possédants
Des conquérants
Des triomphants
Me suis réveillée interrogée
Faire de la poésie
A ce sujet
Pas permis
Jolies tournures
Métaphores
Euphémismes
Me suis réveillée muette
De tous mes silences
Parce que le monde me dit
Désormais de me taire
Mais à quoi alors
Puis-je servir
Me suis réveillée sachant
Ce que toute femme sait
Dans sa chair dans son sang
Ce que les ombres recèlent
D’effroi
Face à l’invasion
Chaque pas vers la solitude
Un pas vers le démantèlement
Me suis réveillée déterminée
A continuer malgré tout
Dire dire dire
Pour ne pas oublier
Pas t’oublier
Femme de nulle part
De partout
Tu as vécu
Je t’offre mes mots
C’est tout ce que j’ai
Le viol est le viol
Je ne l’ai pas vécu
In, « Haute tension. Poésies françaises d’aujourd’hui »
Le Castor Astral, 2022
Voir aussi :
« Je te vois comme un hiver… » (24/02/2017)
« Je ne vous connais pas ... » (21/02/2019)
Louise Glück (1943 -) : Le passé / The past
Le passé
Une petite lumière dans le ciel apparaissant
soudain entre
deux branches de pin, leurs aiguilles fines
gravées maintenant sur la surface éclatante
et au-dessus de ce
ciel haut et plumeux –
Respire l’air. C’est l’odeur du pin blanc,
très puissante quand le vent souffle à travers
et le bruit que cela fait est tout aussi étrange,
comme le bruit du vent dans un film –
Des ombres qui bougent. Les cordes
qui font le bruit qu’elles font. Ce que tu entends maintenant
c’est sans doute le bruit du rossignol, chordata,
l’oiseau mâle courtisant la femelle –
Les cordes bougent. Le hamac
se balance dans le vent, attaché
fermement entre deux pins.
Respire l’air. C’est l’odeur du pin blanc.
C’est la voix de ma mère que vous entendez
ou est-ce seulement le bruit que font les arbres
quand l’air passe à travers
car quel bruit cela ferait-il
s’il ne passait à travers rien ?
Traduit de l’anglais par Rober Benini
in, Louis Glück : « Nuit de foi et de vertu. Edition bilingue »
Editions Gallimard, 2021
The past
Small light in the sky appearing
suddenly between
two pine boughs, their fine needles
now etched onto the radiant surface
and above this
high, feathery heaven—
Smell the air. That is the smell of the white pine,
most intense when the wind blows through it
and the sound it makes equally strange,
like the sound of the wind in a movie—
Shadows moving. The ropes
making the sound they make. What you hear now
will be the sound of the nightingale, chordata,
the male bird courting the female—
The ropes shift. The hammock
sways in the wind, tied
firmly between two pine trees.
Smell the air. That is the smell of the white pine.
It is my mother’s voice you hear
or is it only the sound the trees make
when the air passes through them
because what sound would it make,
passing through nothing?
Faithful and virtuous night
Farrar, Straus, Giroux, New-York, 2014
Voir aussi :
Parabole / Parable (07/01/2022)
Alicia Suskin Ostriker (1937 -) : Quatrième Rue Ouest / West Fourth Street
Quatrième Rue Ouest
À Jerry Stern
Les platanes perdent leurs feuilles
Quatrième Rue Ouest et l’âge me rend bizarre
Heureuse pourtant de les voir pâles et iridescents
Au sortir du métro dans la circulation
Les détritus et bouffées de patchouli ––maintenant que je sais lire
Entre les lignes du brouillon de ma vie
Le plaisir me rend souvent visite–– il y a moins d’interférences
Quand je regarde quelque chose aujourd’hui
Ce que je vois je le vois clairement
Avec moins de chagrin et de colère qu’auparavant
Et moins de désir : non pas que j’aie vaincu ces passions
Elles se sont estompées
Et si je souris d’admiration devant quatre Brésiliens
Qui jouent à la pelote sur un carré de béton ensoleillé
Et crient en portugais
Mains gantées de chevreau car la pelote cingle
Dos comme enracinés de muscles éclairs d’or autour du cou
Si je les regarde danser la samba avec leur ombre
Comme se contorsionnait mon père il y a cinquante ans
Lorsque les fils de Juifs immigrés
Jouaient des parties acharnées sur les terrains de Manhattan
––Si je me dis que ces hommes sont l’essence de la ville
C’est à cause de leur beauté
Puisque j’ai appris à m’enticher de la beauté.
Traduit de l’anglais par Jean Migrenne
In, Revue « Temporel, N°13, 29 Avril 2012
Revue en ligne publiée par l’Atelier GuyAnne, 77144 Chalifert
West Fourth Street
À Jerry Stern
The sycamores are leafing out
on West Fourth Street and I am weirdly old
yet their pale iridescence pleases me
as I emerge from the subway into traffic
and trash and patchouli gusts—now that I can read
between the lines of my tangled life
pleasure frequently visits me—I have less
interfering with my gaze now
what I see I see clearly
and with less grievance and anger than before
and less desire: not that I have conquered these passions
they have worn themselves out
and if I smile admiring four Brazilian men
playing handball on a sunny concrete court
shouting in Portuguese
goatskin protecting their hands from the sting of the flying ball
their backs like sinewy roots, gold flashing on their necks
if I watch them samba with their shadows
torqued like my father fifty years ago
when sons of immigrant Jews
played fierce handball in Manhattan playgrounds
—if I think these men are the essence of the city
it is because of their beauty
since I have learned to be a fool for beauty
The Little Space : Poems Selected and New, 1968–1998.
University of Pittsburgh Press, Pittsburgh (USA),1998
Voir aussi :
Huitième et treizième / The Eighth and Thirteenth (03/01/2021)
Au restaurant Révélation (03/01/2022)
Reizl Zychlinski / Rajzla Żychlińska (1910 – 2001) : Au soir
Au soir
à Itsik Manguer
Au soir chaque feuille
Devrait être oiseau
Et moi je tourne en tenant une cruche
Pour y recueillir leurs larmes.
Sur les fleuves déjà les ombres
Des arbres se sont enlacées
Nouant leurs têtes calmement,
Les chiens bientôt vont aboyer,
Découper le silence
Avec de longs couteaux, jusqu’au ciel.
Les chiens bientôt vont aboyer
Et la cruche tremble à ma main.
Traduit du yiddish par Charles Dobzynski
In, « Anthologie de la poésie yiddish. Le miroir d’un peuple »
Editions Gallimard (Poésie), 2000
Voir aussi :
Avril (29/12/2021)