Elizabeth Barrett Browning (1806 – 1861) : « Si pour toi je quitte tout... » / « If I leave all for thee... »
XXXV
Si pour toi je quitte tout, en échange
Seras-tu tout pour moi ? N’aurais-je point
Regret du baiser que chacun reçoit
A son tour, et ne trouverais-je étrange
Levant la tête de voir de nouveaux murs ?
Comment... une autre maison que celle-ci ?
Combleras-tu cette place auprès de moi
Pleines de trop tendres yeux pour changer ?
C’est le plus dur. Si vaincre l’amour est
Eprouvant, vaincre la peine plus afflige ;
Car la peine est amour et peine aussi.
Las, j’ai souffert et suis rude à aimer.
Mais aime-moi – veux-tu ? Ouvre ton cœur,
Et drape en lui les ailes de ta colombe.
Traduit de l’anglais par Lauraine Jungelson
In, Elizabeth Browning : « Sonnets portugais et autres poèmes »
Editions Gallimard (Poésie), 1994
XXXV
If I leave all for thee, wilt thou exchange
And be all to me? Shall I never miss
Home-talk and blessing and the common kiss
That comes to each in turn, nor count it strange,
When I look up, to drop on a new range
Of walls and floors ... another home than this?
Nay, wilt thou fill that place by me which is
Filled by dead eyes too tender to know change?
That's hardest. If to conquer love, has tried,
To conquer grief, tries more ... as all things prove;
For grief indeed is love and grief beside.
Alas, I have grieved so I am hard to love.
Yet love me—wilt thou? Open thine heart wide,
And fold within, the wet wings of thy dove.
Poems
Chapman and Hal Publishers, London, 1850
Inger Christensen (1935 - 2009) : Le for intérieur
Inger Christensen, le 5 décembre 1969
Le for intérieur
L’obscurité gargouille à travers pays et poumons
le vent rebat les lieux communs
le lieu dans la bouche où les cris font la queue
le lieu où l’espoir refuse de mourir
nous trahissent silencieux et inertes
dans le monde où tout est valeur
nous prêtent des paroles
que rien n’est valable
L’obscurité entre et sort de la tête
rien n’y entre, rien n’en sort
les arbres ramifient chaque branche du sang,
oxygènent l’inquiétude de nuit et de vent
la nuit et le vent du néant
Je dois bien l’avouer dans le for intérieur
assis derrière l’œil tu songes peut-être
à la première rencontre, au soleil, au jamais empêcher
je dois bien l’avouer maintenant
que l’ombre est méchante, que nuit et moi
que nous et que je et je
et demande
L’obscurité se concentre sur la tour supérieure
la porte du cerveau est déjà forcée
qu’avons-nous, que nous manque-t-il,
qu’est-ce, où sommes-nous et que voyons-nous
avec l’angoisse du phare avec l’angoisse du phare
que sommes-nous, nous nous agrippons
Sur la mer deux cœurs allument leur feu de détresse
Traduit du danois par Janine et Karl Poulsen
in, « Lumière »
Les cahiers de Royaumont,1989
Voir aussi :
Lumière (21/03/2021)
Il (21/03/2022)
Li Qingzhao / 李清照 (1084 – vers 1155) : Sur le chemin entre Suzhou et Xiuzhou
encre et couleur sur papier, sur rouleau par Liu Lingcan (1907 - 1989)
Sur le chemin entre Suzhou et Xiuzhou
En une nuit le soleil de plomb s’est changé en incessante pluie,
Me tirant de mes rêves, le froid mouille les pans de mon habit.
Nulle tristesse pourtant de ces toits qui suintent, de ces lits tout humides,
Mais une immense joie que les ruisseaux débordent en des rivières profondes.
Sur mille lis, les épis des rizières auront vives couleurs,
A la cinquième veille, les feuilles des paulownias résonnent bellement.
Si moi qui n’ai nul champ joyeusement je danse,
Que dire de ces cœurs qui, entre les parcelles, espèrent la moisson !
Traduit du chinois par Stéphane Feuillas
in, « Anthologie de la poésie chinoise »
Editions Gallimard (La Pléiade), 2015
Voir aussi :
Amour et mélancolie (17/03/2021)
Tristesse de la séparation (17/03/2022)
Gabriela Mistral (1889 - 1957) : Pays de l’absence / País de la ausencia
Pays de l’absence
à Ribeiro Couto
Pays de l’absence,
étrange pays,
plus léger qu’un ange
et signe subtil,
couleur algue morte,
couleur faucon gris,
âgé de toujours,
sans âge qui rie.
Ne donne grenade,
ne nourrit jasmin,
et n’a ni cieux
ni mers d’indigo.
Et son nom, son nom,
jamais n’entendis
en pays sans nom
je m’en vais mourir.
Nul pont, nulle barque
me mena ici.
On ne m’en dit rien
comme île ou pays.
Je ne le cherchais
ni le découvris.
Il semble une fable
que j’avais apprise
Un rêve à saisir
et à laisser fuir.
Et c’est ma patrie
où vivre et mourir.
Il m’est né de choses
qui ne sont pays :
de patries, de patries
que j’eus et perdis ;
et des créatures
que je vis mourir ;
de ce qui fut mien
et de moi s’en fut.
Perdues cordillères
où j’avais dormi ;
perdus vergers d’or
suaves pour vivre ;
perdues pour moi, îles
de joncs, d’indigo,
et toutes leurs ombres
ai vu m’entourer
jointes et amantes
se faire pays.
Crinières de brumes
sans dos et sans nuque,
souffles endormis
les ai vus me suivre,
en années errantes
devenir pays.
en pays sans nom
je m’en vais mourir.
Traduit de l’espagnol par Irène Gayraud
In, Gabriela Mistral : « Essart »
Editions Unes, 2021
País de la ausencia
País de la ausencia
extraño país,
más ligero que ángel
y seña sutil,
color de alga muerta,
color de neblí,
con edad de siempre,
sin edad feliz.
No echa granada,
no cría jazmín,
y no tiene cielos
ni mares de añil.
Nombre suyo, nombre,
nunca se lo oí,
y en país sin nombre
me voy a morir.
Ni puente ni barca
me trajo hasta aquí,
no me lo contaron
por isla o país.
Yo no lo buscaba
ni lo descubrí.
Parece una fábula
que yo me aprendí,
sueño de tomar
y de desasir.
Y es mi patria donde
vivir y morir.
Me nació de cosas
que no son país;
de patrias y patrias
que tuve y perdí;
de las criaturas
que yo vi morir;
de lo que era mío
y se fue de mí.
Perdí cordilleras
en donde dormí;
perdí huertos de oro
dulces de vivir;
perdí yo las islas
de caña y añil,
y las sombras de ellos
me las vi ceñir
y juntas y amantes
hacerse país.
Guedejas de nieblas
sin dorso y cerviz,
alientos dormidos
me los vi seguir,
y en años errantes
volverse país,
y en país sin nombre
me voy a morir.
Tala
Ediciones Sur, Buenos Aires,1938
Montserrat Álvarez (1969) : Cette joyeuse nuit de l’Apocalypse
Cette joyeuse nuit de l’Apocalypse
Chantons l’avènement du nouveau monde.
Notre musique est triste, comme l’Apocalypse, et
grandiose.
Dans les ténèbres inhospitalières de la nuit, nous avons
construit
d’énormes fantômes de béton et d’acier, et nous les
avons peuplés
d’une nouvelle race d’êtres solitaires.
Nous apportons avec nous des notes de musique jamais entendues
auparavant,
des fumées bleues et rouges pour envelopper nos
corps dans la nuit,
des lumières dans les cavités de nos yeux.
Cette nuit s’effondre la vieille civilisation au milieu des
feux d’artifice.
Cette joyeuse nuit de l’Apocalypse,
nous n’apportons pas avec nous de vieux codes éthiques,
nous n’apportons pas avec nous des idéaux ou des espoirs :
nous sommes la génération de la fin du monde.
(Dark zone et autres poèmes)
Traduit de l’espagnol
Revue « Conséquence #3 », 2019
Voir aussi :
Icare (11/03/2020)
Elle voit plus loin (11/03/2021)
Argos (15/03/2022)
Selma Meerbaum-Eisinger (1924 – 1942) : Rêves / Träume
Czernowitz, vers 1940 (Yad Vashem)
Rêves
Mes nuits sont tressées de rêves
Doux comme le vin nouveau
J’ai rêvé que les fleurs des arbres tombaient
M’enveloppaient, me recouvraient.
Et toutes ces fleurs devenaient des baisers
Brûlants comme le vin rouge
Et tristes comme des papillons de nuit qui savent
Qu’ils devront s’éteindre dans le faux-semblant de la mort
Mes nuits sont tressées de rêves
Lourds comme le sable fatigué
J’ai rêvé que, des arbres mourants,
Les feuilles tombaient dans ma main.
Et toutes ces feuilles devenaient des mains
Qui caressaient comme un sable mouvant
Et étaient fatiguées comme des papillons qui savent
Qu’ils finiront avant le rayon du soleil
Mes nuits sont tressées de rêves
Bleus comme le mal d’amour
J’ai rêvé que de tous les arbres tombaient
Des flocons de neige qui tintinabulaient
Et tous ces flocons devenaient des larmes
Que j’ai pleurées chaudement –
Comprends mes rêves, mon amant,
Ils sont tous pleins de désir pour toi.
8 novembre 1941
Traduit de l’allemand par Marc Sagnol
In, Revue « Temporel, N°20, 23 Septembre 2015 »
Revue en ligne publiée par l’Atelier GuyAnne, 77144 Chalifert
Träume
Es sind meine Nächte
durchflochten von Träumen,
die süß sind wie junger Wein.
Ich träume, es fallen die Blüten von Bäumen
und hüllen und decken mich ein.
Und alle diese Blüten,
sie werden zu Küssen,
die heiß sind wie roter Wein
und traurig wie Falter, die wissen: sie müssen
verlöschen im sterbenden Schein.
Es sind meine Nächte
durchflochten von Träumen,
die schwer sind wie müder Sand.
Ich träume, es fallen von sterbenden Bäumen
die Blätter in meine Hand.
Und all diese Blätter,
sie werden zu Händen,
die zärteln wie rollender Sand
und müd sind wie Falter, die wissen: sie enden
noch eh' sie ein Sonnenstrahl fand.
Es sind meine Nächte
durchflochten von Träumen,
die blau sind wie Sehnsuchtsweh.
Ich träume, es fallen von allen Bäumen
Flocken von klingendem Schnee.
Und all diese Flocken
sie werden zu Tränen.
Ich weinte sie heiß und wirr –
begreif meine Träume, Geliebter, sie sehnen
sich alle nur ewig nach dir.
Ich bin in Sehnsucht eingehüllt
Hoffmann und Campe Verlag, Hamburg, 1980
Voir aussi :
Chant de désir / Sehnsuchtslied (09/03/2021)
« Ô toi, sais-tu comment crie un corbeau ?... » / « Du, weißt du, wie ein Rabe schreit...» (09/03/2022)
Heather Dohollau (1925 – 2013) : Fleurs
Fleurs
ROTHKO ET LES IRIS
De l’un à l’autre
les yeux repassent
le tableau et les fleurs
comme un écoute
les couleurs ont à dire
elles sont de force égale
leurs mots font mal
car quelque part
mais où
chacun est l’autre
IPOMEE
UNE FLEUR BLEUE
Le matin tôt les teintes de rose
s’innervent de bleu un entonnoir délicat
à gorge de neige boit le ciel et brûle
d’une flamme miroir pour vers le soir
se cueillir en ses braises
LILAS
Sur la table le lilas crée son chemin
là où son parfum a envahi l’air
ces fleurs minuscules en forme de croix
ont fait une bénédiction de l’espace
nos mouvements sont ralentis comme par l’eau
et cependant nous touchons à l’autre rive
LYS DE LA VALLEE
Parfum inviolé ces clochettes blanches
emportées perdues dans de verts fourreaux
qui comme la rame d’Ulysse évoquent l’eau
où trempent les longues tiges dans de la terre étroite
POIS DE SENTEUR
Ici le papillon se fait pétale
et tremble au bord de soi
où seul le parfum suit les voies de l’air
PIVOINE
C’est encore l’avant-naissance
l’intra monde les courbes serrées
de pétales entre soi mais là où les fils d’ombre
supposent un chemin attendent en labyrinthe
les plis du jour
SERINGA
Tourelle de loin
de colombes de près
de billets dépliés
d’une blancheur froissée
odorante une poussière
d’or
IRIS
Les hautes fleurs qui semblent annoncer
des nouvelles par la terre dont les mots
s’arrêtent au regard
PERSONNAGES DANS DES INTERIEURS
(un domaine enchanté)
Dans les quatre grands panneaux peints pour la bibliothèque de Docteur
Vasquez – miroirs qui gardent les présences - Vuillard a couvert toutes les
surfaces d’une même densité de motifs. Ce vêtement à mille-fleurs rapiécé
par les espaces suggère une perméabilité à l’intérieur d’une clôture, car une
seule respiration parcourt ces correspondances qui perdurent. Et aucune main
ne déborde ces abris magiques pour questionner le temps au dehors, là où la vie
tressaille aux carrefours devant les chemins frais.
LA ROSE
Seule en elle-même
tenue de verre
sur sa longue tige
sans souffle
elle brûle le temps
LE MIMOSA EN HIVER
Le jaune très pâle comme un appel de neige
avec les teints de vert que garde le froid
des perles infimes se tenant sur des fils
à peine visible contre le rideau clair
et toute cette splendeur pour le peu du temps.
SUR UNE GRAVURE DE ROBIN TANNER
Ici les jonquilles
font une haie de grâce
un chant silencieux
là où chaque fleur
partage sa seule présence
en gamme de l’être
et si ces tendres voix
aux tons solaires
pénètrent au paradis
par tracements sombres
un temps serein
découvre en cheminant
leur face de gloire
Devant la fenêtre le pommier est en fleur
à la hauteur de la chambre les pas des yeux
pour tenir contre soi cette robe brodée
au sombre du temps avec pour lumière
la passion de cette fête ce superflu
sans mesure de regard un amour d’ange
ou est-ce la Chine ? Si pour un Fils du ciel
un corbeau freux fait tomber de son noir
des pétales blancs et de ces nœuds défaits
éclaire le chemin
LE NOM DE LA ROSE
Un jardin dans une île
en clos oblique y pénétrer
pour être défait de soi
ici dans le royaume de la rose
les parfums ont des voix
chacune unique un concert
pour les aveugles prêtant vue
les sons révèlent le multiple
d’un monde son infini
où tout se trouve si l’absence
est une porte
THE DAISY GIRL
Une salle de classe
et sur un mur toi
petite fille pensive
dans une robe blanche
qui chante les couleurs
tenant dans ta main lasse
les fleurs fraîchement peintes
l’image écran de l’adulte
de l’enfant
qui devient plus tard
ta vision propre
quand sur une vielle carte postale
un soleil tardif
fait lever les brumes du pré
Un regard d’ambre
Editions Folle Avoine, 35137 Bédée, 2008
Voir aussi :
« Matière de lumière les murs… » (14/01/2017)
« Si pour vivre il suffit de toucher la terre… » (11/02/2017)
La terre âgée (21/03/2017)
L’après-midi à Bréhat (28/04/2017)
Mère bleue (05/03/2018)
L’ombre au soleil (05/03/19)
Le tertre blanc (05/03/20)
Paulina à Orta (05/03/2021)
Lieux (06/03/2022)
Kiki Dimoulá / Κική Δημουλά (1931 - 2020) : Choses nouées (Excursion) / Τα δεμένα (Εκδρομή)
Choses nouées
Excursion
La mer à Skaramangas est nouée,
compacte. Les pétroliers dégagent
une fumée noire d’immobilité.
Mettons que tu existes.
Le parcours se dilate suspendu au regard.
Un nuage sale tache les routes là-haut,
en bas l’âme pure est reportée encore.
Mettons que tu existes.
La bride du cheval restera nouée à l’arbre.
Dans ma cervelle, beaucoup de pareils nœuds,
beaucoup de pareils liens.
Mettons que tu existes.
Dans le rétroviseur se regarde
un puits à sec.
La terre ici et là fraîchement creusée.
Le même soin
pour les morts et les graines.
La terre frémit.
Mettons que tu existes.
A Mycènes exclamations et tombeaux.
Pierre tourmentée par la célébrité.
Passions de bonne famille, dignes de mémoire.
Nos passions à nous
n’auront pas le moindre visiteur,
l’oubli les attend, affamé toujours.
Mettons que tu existes.
A Nauplie encore un bateau blanc.
Pas tout à fait bateau et pas tout à fait blanc.
Mettons que tu existes.
Laissant les équivoques
nous sommes entrés dans les roseaux
les citronniers les cyprès.
Image fruitière – je t’arrose.
Mettons que tu existes.
Au loin dans la montée
halète un petit train noir.
Come une délivrance à bout de forces.
Mettons que tu existes.
Comme l’eau coulant dans des régions désertes,
comme une balle dans le cœur d’un oiseau empaillé.
Superflus.
Traduit du grec par Michel Volkovitch
in, Kiki Dimoulá : « Le peu du monde, suivi de Je te salue jamais »
Editions Gallimard (Poésie), 2010
Τα δεμένα
Εκδρομή
Ἡ θάλασσα τοῦ Σκαραμαγκᾶ εἶναι δεμένη,
πηχτή. Ἀπό τὰ πετρελαιοφόρα
βγαίνει μαῦρος καπνός ἀκινησίας.
Ἂς ποῦμε πὼς ὑπάρχεις.
Ἡ διαδρομή ξεχειλώνει κρεμασμένη στὸ βλέμμα.
Λερώνει τοὺς ἀπάνω δρόμους ἕνα βρώμικο σύννεφο,
ἡ καθαρή ψυχή κάτω ᾀναβάλλεται πάλι.
Ἂς ποῦμε πὼς ὑπάρχεις.
Τὸ ἄλογο θὰ μείνει δεμένο στὸ δέντρο.
Στὸ μυαλό μου πολλοί τέτοιοι κόμποι,
πολλά τέτοια δεσίματα.
Ἂς ποῦμε πὼς ὑπάρχεις.
Στοῦ αὐτοκινήτου τὸν καθρέφτη
κοιτάζεται ἕνα ξεροπήγαδο.
Στὴ γῆ εδῶ – εκεῖ κάτι φρεσκοσκαμμένο.
Ἡ ἴδια φροντίδα
γιὰ τοὺς νεκρούς καὶ γιὰ τοὺς σπόρους.
Ἡ γῆ αναρριγεῖ.
Ἂς ποῦμε πὼς ὑπάρχεις.
Στὶς Μυκῆνες ἐπιφωνήματα καὶτάφοι.
Πέτρα βασανισμένη ἀπὸτὴφὴμη.
Πάθη ἀπὸτζάκι καὶγι' αὐτὸἀξιοθύμητα.
Στὰδικά μας τὰπάθη
δὲν θὰ' ρθεὶκανεὶς ἐπισκέπης,
τὰπεριμένει ἡλήθη, πεινασμένη πάντα.
Ἂς ποῦμε πὼς ὑπάρχεις.
Στὸ Ναύπλιο ἄλλο ἕνα πλοῖο λευκό.
Ὄχι ἀπόλυτα πλοῖο κι ὄχι ἀπόλυτα λευκό.
Ἂς ποῦμε πὼς ὑπάρχεις.
Ἀφήσαμε τὰδιφορούμενα
καὶμπήκαμε σὲκαλαμιές,
σὲλεμονιὲς καὶκυπαρίσσια.
Εἰκόνα ὀπωροφόρα – σὲποτίζω.
Ἂς ποῦμε πὼς ὑπάρχεις.
Μακριὰ στὴν ἀνηφόρα
κοντανασαίνει ἕνας μαῦρος σιδηρόδρομος.
Σὰν γλιτωμὸς ποὺξεκουρδίστηκε.
Ἂς ποῦμε πὼς ὑπάρχεις
Ὅπως τὸπολὺνερὸσὲμέρη ἀκατοίκητα,
ὅπως τὸκαλὸσημάδι σὲπουλιὰβαλσαμωμένα.
Περιττά.
Τό λίγο τοῦ κόσμου, 1971
Voir aussi :
Temps allongé / ΑΝΑΣΚΕΛΟΣ ΧΡΟΝΟΣ (29/03/2020)
Oblivion beach (02/03/2021)
Signe de reconnaissance /Σημείο ναγνωρίσεως (03/03/2022)
Zu Shuzhen / 朱淑真 (1135 – 1180) : Nuit automnale
Nuit automnale
Longue nuit d’insomnie, l’air automnal est pur,
Plusieurs fois j’ai coupé les fleurs des lampes, bientôt minuit.
Je fais le lit qui s’emplit de fraîcheur, lune
Dans les sterculiers qui luit là où ils manquent.
*
Un ciel frais comme une eau, nuit pure et nouvelle,
Les fleurs des canneliers dans le vent limpide, tendres, chassent le sommeil.
Mille mercis à Chang’e qui sait mon envie :
Avant la mi-automne, la lune est déjà pleine.
Traduit du chinois par Stéphane Feuillas
in, « Anthologie de la poésie chinoise »
Editions Gallimard (La Pléiade), 2015
Voir aussi :
Sur l’air « Sheng tsa tse » (23/04/2017)
Touchée par les paroles d’un fermier pendant les chaleurs sèches (19/02/2018)
En regardant voler les couples d’hirondelles (16/02/2019)
Plainte vernale (15/02/2020)
Promenade au lac un jour d’été (15/02/2021)
La pure clarté (17/02/2022)
Carol Ann Duffy (1955 -) : Nu féminin posant debout / Standing Female Nude
Murdo Macleod for the Guardian
Nu féminin posant debout
Six heures comme çà pour quelques francs.
Ventre tétons cul dans la lumière de la fenêtre,
il tire de moi la couleur. Un peu plus à droite,
Madame. Et puis essayer de ne pas bouger.
Je serai représentée analytiquement et accrochée
dans les grands musées. Les bourgeois roucouleront
devant cette image d’une putain des bords de l’eau. On appelle cela de l’Art.
Peut-être. Il se préoccupe des volumes, de l’espace.
Moi, du prochain repas. Vous devenez maigre,
Madame, ce n’est pas bon. Mes seins tombent
un peu bas, l’atelier est froid. Dans le marc de café
Je vois la reine d’Angleterre qui contemple
mes formes. Splendides, murmure-t-elle,
en poursuivant son chemin. Cela me fait rire. Son nom
est Georges.. On me dit que c’est un génie.
Il y a des moments où il ne se concentre pas
et se raidit pour capter ma chaleur.
Il me possède sur la toile quand il trempe son pinceau
plusieurs fois dans les couleurs. Petit homme,
tu n’as pas l’argent qu’il faut pour les arts que je vends.
Pauvres tous deux, nous gagnons notre vie comme nous pouvons.
Je lui demande Pourquoi faites-vous ceci ? Parce que
j’y suis obligé. Je n’ai pas le choix. Ne parlez pas.
Mon sourire le trouble. Ces artistes
se prennent trop au sérieux. La nuit je me gorge
de vin et je danse dans les bars. Quand le tableau est fini
il me le montre avec fierté, allume un cigarette. Je dis
Douze francs et prend mon châle. Ca ne me ressemble pas.
Traduit de l’anglais par Bernard Brugière
In, « Anthologie bilingue de la poésie anglaise »
Editions Gallimard (La Pléiade), 2005
Standing Female Nude
Six hours like this for a few francs.
Belly nipple arse in the window light,
he drains the color from me. Further to the right,
Madame. And do try to be still.
I shall be represented analytically and hung
in great museums. The bourgeoisie will coo
at such an image of a river-whore. They call it Art.
Maybe. He is concerned with volume, space.
I with the next meal. You're getting thin,
Madame, this is not good. My breasts hang
slightly low, the studio is cold. In the tea-leaves
I can see the Queen of England gazing
on my shape. Magnificent, she murmurs,
moving on. It makes me laugh. His name
is Georges. They tell me he's a genius.
There are times he does not concentrate
and stiffens for my warmth.
He possesses me on canvas as he dips the brush
repeatedly into the paint. Little man,
you've not the money for the arts I sell.
Both poor, we make our living how we can.
I ask him Why do you do this? Because
I have to. There's no choice. Don't talk.
My smile confuses him. These artists
take themselves too seriously. At night I fill myself
with wine and dance around the bars. When it's finished
he shows me proudly, lights a cigarette. I say
Twelve francs and get my shawl. It does not look like me.
Standing Female Nude
Anvil Press Poetry, London, 1985