Femmes en Poésie

25 mars 2023

Elizabeth Barrett Browning (1806 – 1861) : « Si pour toi je quitte tout... » / « If I leave all for thee... »

Elizabeth_Barrett_Browning[1]

 

XXXV

 

Si pour toi je quitte tout, en échange

Seras-tu tout pour moi ? N’aurais-je point

Regret du baiser que chacun reçoit

A son tour, et ne trouverais-je étrange

Levant la tête de voir de nouveaux murs ?

Comment... une autre maison que celle-ci ?

Combleras-tu cette place auprès de moi

Pleines de trop tendres yeux pour changer ?

C’est le plus dur. Si vaincre l’amour est

Eprouvant, vaincre la peine plus afflige ;

Car la peine est amour et peine aussi.

Las, j’ai souffert et suis rude à aimer.

Mais aime-moi – veux-tu ? Ouvre ton cœur,

Et drape en lui les ailes de ta colombe.

 

Traduit de l’anglais par Lauraine Jungelson

In, Elizabeth Browning : « Sonnets portugais et autres poèmes »

Editions Gallimard (Poésie), 1994

 

XXXV

If I leave all for thee, wilt thou exchange

And be all to me? Shall I never miss

Home-talk and blessing and the common kiss

That comes to each in turn, nor count it strange,

When I look up, to drop on a new range

Of walls and floors ... another home than this?

Nay, wilt thou fill that place by me which is

Filled by dead eyes too tender to know change?

That's hardest. If to conquer love, has tried,

To conquer grief, tries more ... as all things prove;

For grief indeed is love and grief beside.

Alas, I have grieved so I am hard to love.

Yet love me—wilt thou? Open thine heart wide,

And fold within, the wet wings of thy dove.

 

Poems

Chapman and Hal Publishers, London, 1850

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21 mars 2023

Inger Christensen (1935 - 2009) : Le for intérieur

 

 

artworks-000582823268-m7rfet-t500x500[1] Inger Christensen, le 5 décembre 1969

 

Le for intérieur

 

L’obscurité gargouille à travers pays et poumons

le vent rebat les lieux communs

le lieu dans la bouche où les cris font la queue

le lieu où l’espoir refuse de mourir

nous trahissent silencieux et inertes

dans le monde où tout est valeur

nous prêtent des paroles

que rien n’est valable

 

L’obscurité entre et sort de la tête

rien n’y entre, rien n’en sort

les arbres ramifient chaque branche du sang,

oxygènent l’inquiétude de nuit et de vent

la nuit et le vent du néant

 

Je dois bien l’avouer dans le for intérieur

assis derrière l’œil tu songes peut-être

à la première rencontre, au soleil, au jamais empêcher

je dois bien l’avouer maintenant

que l’ombre est méchante, que nuit et moi

que nous et que je et je

et demande

 

L’obscurité se concentre sur la tour supérieure

la porte du cerveau est déjà forcée

qu’avons-nous, que nous manque-t-il,

qu’est-ce, où sommes-nous et que voyons-nous

avec l’angoisse du phare avec l’angoisse du phare

que sommes-nous, nous nous agrippons

Sur la mer deux cœurs allument leur feu de détresse

 

Traduit du danois par Janine et Karl Poulsen

in, « Lumière »

Les cahiers de Royaumont,1989

Voir aussi :

Lumière (21/03/2021)

Il (21/03/2022)

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16 mars 2023

Li Qingzhao / 李清照 (1084 – vers 1155) : Sur le chemin entre Suzhou et Xiuzhou

 

 

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encre et couleur sur papier, sur rouleau par Liu Lingcan (1907 - 1989) 

 

Sur le chemin entre Suzhou et Xiuzhou

 

En une nuit le soleil de plomb s’est changé en incessante pluie,

Me tirant de mes rêves, le froid mouille les pans de mon habit.

Nulle tristesse pourtant de ces toits qui suintent, de ces lits tout humides,

Mais une immense joie que les ruisseaux débordent en des rivières profondes.

Sur mille lis, les épis des rizières auront vives couleurs,

A la cinquième veille, les feuilles des paulownias résonnent bellement.

Si moi qui n’ai nul champ joyeusement je danse,

Que dire de ces cœurs qui, entre les parcelles, espèrent la moisson !

 

Traduit du chinois par Stéphane Feuillas

in, « Anthologie de la poésie chinoise »

Editions Gallimard (La Pléiade), 2015

Voir aussi :

Amour et mélancolie (17/03/2021)

Tristesse de la séparation (17/03/2022)

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14 mars 2023

Gabriela Mistral (1889 - 1957) : Pays de l’absence / País de la ausencia

mistralweb[1]

 

Pays de l’absence

à Ribeiro Couto

 

Pays de l’absence,

étrange pays,

plus léger qu’un ange

et signe subtil,

couleur algue morte,

couleur faucon gris,

âgé de toujours,

sans âge qui rie.

 

Ne donne grenade,

ne nourrit jasmin,

et n’a ni cieux

ni mers d’indigo.

Et son nom, son nom,

jamais n’entendis

en pays sans nom

je m’en vais mourir.

 

Nul pont, nulle barque

me mena ici.

On ne m’en dit rien

comme île ou pays.

Je ne le cherchais

ni le découvris.

 

Il semble une fable

que j’avais apprise

Un rêve à saisir

et à laisser fuir.

Et c’est ma patrie

où vivre et mourir.

 

Il m’est né de choses

qui ne sont pays :

de patries, de patries

que j’eus et perdis ;

et des créatures

que je vis mourir ;

de ce qui fut mien

et de moi s’en fut.

 

Perdues cordillères

où j’avais dormi ;

perdus vergers d’or

suaves pour vivre ;

perdues pour moi, îles

de joncs, d’indigo,

et toutes leurs ombres

ai vu m’entourer

jointes et amantes

se faire pays.

 

Crinières de brumes

sans dos et sans nuque,

souffles endormis

les ai vus me suivre,

en années errantes

devenir pays.

en pays sans nom

je m’en vais mourir.

 

Traduit de l’espagnol par Irène Gayraud

In, Gabriela Mistral : « Essart »

Editions Unes, 2021

País de la ausencia

 

País de la ausencia

extraño país,

más ligero que ángel

y seña sutil,

color de alga muerta,

color de neblí,

con edad de siempre,

sin edad feliz.

 

No echa granada,

no cría jazmín,

y no tiene cielos

ni mares de añil.

Nombre suyo, nombre,

nunca se lo oí,

y en país sin nombre

me voy a morir.

 

Ni puente ni barca

me trajo hasta aquí,

no me lo contaron

por isla o país.

Yo no lo buscaba

ni lo descubrí.

 

Parece una fábula

que yo me aprendí,

sueño de tomar

y de desasir.

Y es mi patria donde

vivir y morir.

 

Me nació de cosas

que no son país;

de patrias y patrias

que tuve y perdí;

de las criaturas

que yo vi morir;

de lo que era mío

y se fue de mí.

 

Perdí cordilleras

en donde dormí;

perdí huertos de oro

dulces de vivir;

perdí yo las islas

de caña y añil,

y las sombras de ellos

me las vi ceñir

y juntas y amantes

hacerse país.

 

Guedejas de nieblas

sin dorso y cerviz,

alientos dormidos

me los vi seguir,

y en años errantes

volverse país,

y en país sin nombre

me voy a morir.

 

Tala

Ediciones Sur, Buenos Aires,1938

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11 mars 2023

Montserrat Álvarez (1969) : Cette joyeuse nuit de l’Apocalypse

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Cette joyeuse nuit de l’Apocalypse

 

Chantons l’avènement du nouveau monde.

Notre musique est triste, comme l’Apocalypse, et

     grandiose.

Dans les ténèbres inhospitalières de la nuit, nous avons

     construit

d’énormes fantômes de béton et d’acier, et nous les

     avons peuplés

d’une nouvelle race d’êtres solitaires.

Nous apportons avec nous des notes de musique jamais entendues

     auparavant,

des fumées bleues et rouges pour envelopper nos

corps dans la  nuit,

des lumières dans les cavités de nos yeux.

Cette nuit s’effondre la vieille civilisation au milieu des

     feux d’artifice.

Cette joyeuse nuit de l’Apocalypse,

nous n’apportons pas avec nous de vieux codes éthiques,

nous n’apportons pas avec nous des idéaux ou des espoirs :

nous sommes la génération de la fin du monde.

 

(Dark zone et autres poèmes)

 

Traduit de l’espagnol

Revue « Conséquence #3 », 2019

Voir aussi :

 Icare (11/03/2020)

Elle voit plus loin (11/03/2021)

Argos (15/03/2022)

 

 

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09 mars 2023

Selma Meerbaum-Eisinger (1924 – 1942) : Rêves / Träume

03s[1]Czernowitz, vers 1940 (Yad Vashem)

 

Rêves

 

Mes nuits sont tressées de rêves

Doux comme le vin nouveau

J’ai rêvé que les fleurs des arbres tombaient

M’enveloppaient, me recouvraient.

 

Et toutes ces fleurs devenaient des baisers

Brûlants comme le vin rouge

Et tristes comme des papillons de nuit qui savent

Qu’ils devront s’éteindre dans le faux-semblant de la mort

 

Mes nuits sont tressées de rêves

Lourds comme le sable fatigué

J’ai rêvé que, des arbres mourants,

Les feuilles tombaient dans ma main.

 

Et toutes ces feuilles devenaient des mains

Qui caressaient comme un sable mouvant

Et étaient fatiguées comme des papillons qui savent

Qu’ils finiront avant le rayon du soleil

 

Mes nuits sont tressées de rêves

Bleus comme le mal d’amour

J’ai rêvé que de tous les arbres tombaient

Des flocons de neige qui tintinabulaient

 

Et tous ces flocons devenaient des larmes

Que j’ai pleurées chaudement –

Comprends mes rêves, mon amant,

Ils sont tous pleins de désir pour toi.

8 novembre 1941

 

 

Traduit de l’allemand par Marc Sagnol

In, Revue « Temporel, N°20, 23 Septembre 2015 »

Revue en ligne publiée par l’Atelier GuyAnne, 77144 Chalifert

 

Träume

 

Es sind meine Nächte

durchflochten von Träumen,

die süß sind wie junger Wein.

Ich träume, es fallen die Blüten von Bäumen

und hüllen und decken mich ein. 

 

Und alle diese Blüten,

sie werden zu Küssen,

die heiß sind wie roter Wein

und traurig wie Falter, die wissen: sie müssen

verlöschen im sterbenden Schein.

 

Es sind meine Nächte

durchflochten von Träumen,

die schwer sind wie müder Sand.

Ich träume, es fallen von sterbenden Bäumen

die Blätter in meine Hand.

 

Und all diese Blätter,

sie werden zu Händen,

die zärteln wie rollender Sand

und müd sind wie Falter, die wissen: sie enden

noch eh' sie ein Sonnenstrahl fand.

 

Es sind meine Nächte

durchflochten von Träumen,

die blau sind wie Sehnsuchtsweh.

Ich träume, es fallen von allen Bäumen

Flocken von klingendem Schnee. 

 

Und all diese Flocken

sie werden zu Tränen.

Ich weinte sie heiß und wirr –

begreif meine Träume, Geliebter, sie sehnen

sich alle nur ewig nach dir.

 

Ich bin in Sehnsucht eingehüllt

Hoffmann und Campe Verlag, Hamburg, 1980

Voir aussi :

Chant de désir / Sehnsuchtslied (09/03/2021)

« Ô toi, sais-tu comment crie un corbeau ?... » / « Du, weißt du, wie ein Rabe schreit...» (09/03/2022)

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05 mars 2023

Heather Dohollau (1925 – 2013) : Fleurs

moton275[1]

 

Fleurs

 

ROTHKO ET LES IRIS

     De l’un à l’autre

     les yeux repassent

     le tableau et les fleurs

 

     comme un écoute

     les couleurs ont à dire

     elles sont de force égale

     leurs mots font mal

 

     car quelque part

     mais où

     chacun est l’autre

 

IPOMEE

UNE FLEUR BLEUE

 

Le matin tôt        les teintes de rose

s’innervent de bleu       un entonnoir délicat

à gorge de neige       boit le ciel et brûle

d’une flamme miroir      pour vers le soir

se cueillir       en ses braises

 

 LILAS

 

     Sur la table le lilas crée son chemin

     là où son parfum a envahi l’air

     ces fleurs minuscules en forme de croix

     ont fait une bénédiction de l’espace

     nos mouvements sont ralentis comme par l’eau

     et cependant nous touchons à l’autre rive

 

LYS DE LA VALLEE

 

     Parfum inviolé       ces clochettes blanches

     emportées perdues dans de verts fourreaux

     qui       comme la rame d’Ulysse    évoquent l’eau

     où trempent les longues tiges dans de la terre étroite

 

POIS DE SENTEUR

 

Ici le papillon se fait pétale

et tremble au bord de soi

où seul le parfum suit les voies de l’air

 

PIVOINE

 

C’est encore l’avant-naissance

l’intra monde        les courbes serrées

de pétales entre soi        mais là où les fils d’ombre

supposent un chemin        attendent en labyrinthe

les plis du jour

 

SERINGA

 

     Tourelle      de loin

     de colombes       de près

     de billets dépliés

     d’une blancheur froissée

     odorante        une poussière

     d’or

 

IRIS

 

     Les hautes fleurs qui semblent annoncer

     des nouvelles par la terre         dont les mots

     s’arrêtent au regard

 

PERSONNAGES DANS DES INTERIEURS

(un domaine enchanté)

 

     Dans les quatre grands panneaux peints pour la bibliothèque de Docteur

Vasquez – miroirs qui gardent les présences - Vuillard a couvert toutes les

surfaces d’une même densité de motifs.  Ce vêtement à mille-fleurs rapiécé

par les espaces suggère une perméabilité à l’intérieur d’une clôture, car une

seule respiration parcourt ces correspondances qui perdurent. Et aucune main

ne déborde ces abris magiques pour questionner le temps au dehors, là où la vie

tressaille aux carrefours devant les chemins frais.

 

LA ROSE

 

     Seule en elle-même

     tenue de verre

     sur sa longue tige

     sans souffle

     elle brûle le temps

 

LE MIMOSA EN HIVER

 

     Le jaune très pâle      comme un appel de neige

    avec les teints de vert que garde le froid

     des perles infimes se tenant sur des fils

     à peine visible contre le rideau clair

     et toute cette splendeur pour le peu du temps.

 

SUR UNE GRAVURE DE ROBIN TANNER

 

     Ici les jonquilles

     font une haie de grâce

     un chant silencieux

     là où chaque fleur

     partage sa seule présence

     en gamme de l’être

     et si ces tendres voix

     aux tons solaires

     pénètrent au paradis

     par tracements sombres

     un temps serein

     découvre en cheminant

     leur face de gloire

 

 

Devant la fenêtre    le pommier est en fleur

à la hauteur de la chambre        les pas des yeux

pour tenir contre soi      cette robe brodée

au sombre du temps     avec pour lumière

la passion de cette fête       ce superflu

sans mesure de regard      un amour d’ange

 

ou est-ce la Chine ?       Si pour un Fils du ciel

un corbeau freux         fait tomber de son noir

des pétales blancs          et de ces nœuds défaits

éclaire le chemin

 

LE NOM DE LA ROSE

 

Un jardin dans une île

en clos oblique       y pénétrer

pour être défait de soi

ici dans le royaume de la rose

 

les parfums ont des voix

chacune unique     un concert

pour les aveugles      prêtant vue

 

les sons révèlent le multiple

d’un monde       son infini

où tout se trouve          si l’absence

est une porte

 

THE DAISY GIRL

 

Une salle de classe

et sur un mur        toi

petite fille pensive

dans une robe blanche

qui chante les couleurs

tenant dans ta main lasse

les fleurs fraîchement peintes

 

l’image écran de l’adulte

de l’enfant

qui devient plus tard

ta vision propre

quand sur une vielle carte postale

un soleil tardif

fait lever les brumes du pré

 

Un regard d’ambre

Editions Folle Avoine, 35137 Bédée, 2008 

Voir aussi :

 « Matière de lumière les murs… » (14/01/2017) 

« Si pour vivre il suffit de toucher la terre… » (11/02/2017)

La terre âgée (21/03/2017)

L’après-midi à Bréhat (28/04/2017)

Mère bleue (05/03/2018)

L’ombre au soleil (05/03/19)

Le tertre blanc (05/03/20)

Paulina à Orta (05/03/2021)

Lieux (06/03/2022)

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02 mars 2023

Kiki Dimoulá / Κική Δημουλά (1931 - 2020) : Choses nouées (Excursion) / Τα δεμένα (Εκδρομή)

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Choses nouées

 

Excursion

 

La mer à Skaramangas est nouée,

compacte. Les pétroliers dégagent

une fumée noire d’immobilité.

Mettons que tu existes.

 

Le parcours se dilate suspendu au regard.

Un nuage sale tache les routes là-haut,

en bas l’âme pure est reportée encore.

Mettons que tu existes.

 

La bride du cheval restera nouée à l’arbre.

Dans ma cervelle, beaucoup de pareils nœuds,

beaucoup de pareils liens.

Mettons que tu existes.

 

Dans le rétroviseur se regarde

un puits à sec.

La terre ici et là fraîchement creusée.

Le même soin

pour les morts et les graines.

La terre frémit.

Mettons que tu existes.

 

A Mycènes exclamations et tombeaux.

Pierre tourmentée par la célébrité.

Passions de bonne famille, dignes de mémoire.

Nos passions à nous

n’auront pas le moindre visiteur,

l’oubli les attend, affamé toujours.

Mettons que tu existes.

 

A Nauplie encore un bateau blanc.

Pas tout à fait bateau et pas tout à fait blanc.

Mettons que tu existes.

 

Laissant les équivoques

nous sommes entrés dans les roseaux

les citronniers les cyprès.

Image fruitière – je t’arrose.

Mettons que tu existes.

 

Au loin dans la montée

halète un petit train noir.

Come une délivrance à bout de forces.

Mettons que tu existes.

Comme l’eau coulant dans des régions désertes,

comme une balle dans le cœur d’un oiseau empaillé.

Superflus.

 

Traduit du grec par Michel Volkovitch

in, Kiki Dimoulá : « Le peu du monde, suivi de Je te salue jamais »

Editions Gallimard (Poésie), 2010

 

 

Τα δεμένα 

  

Εκδρομή 

 

Ἡ θάλασσα τοῦ Σκαραμαγκᾶ εἶναι δεμένη,

πηχτή. Ἀπό τὰ πετρελαιοφόρα

βγαίνει μαῦρος καπνός ἀκινησίας.

Ἂς ποῦμε πὼς ὑπάρχεις.



Ἡ διαδρομή ξεχειλώνει κρεμασμένη στὸ βλέμμα.

Λερώνει τοὺς ἀπάνω δρόμους ἕνα βρώμικο σύννεφο,

ἡ καθαρή ψυχή κάτω ᾀναβάλλεται πάλι.

Ἂς ποῦμε πὼς ὑπάρχεις.



Τὸ ἄλογο θὰ μείνει δεμένο στὸ δέντρο.

Στὸ μυαλό μου πολλοί τέτοιοι κόμποι,

πολλά τέτοια δεσίματα.

Ἂς ποῦμε πὼς ὑπάρχεις.



Στοῦ αὐτοκινήτου τὸν καθρέφτη

κοιτάζεται ἕνα ξεροπήγαδο.

Στὴ γῆ εδῶ – εκεῖ κάτι φρεσκοσκαμμένο.

Ἡ ἴδια φροντίδα

γιὰ τοὺς νεκρούς καὶ γιὰ τοὺς σπόρους.

Ἡ γῆ αναρριγεῖ.

Ἂς ποῦμε πὼς ὑπάρχεις.

 


Στὶς Μυκῆνες ἐπιφωνήματα καὶτάφοι.

Πέτρα βασανισμένη ἀπὸτὴφὴμη.

Πάθη ἀπὸτζάκι καὶγι' αὐτὸἀξιοθύμητα.

Στὰδικά μας τὰπάθη

δὲν θὰ' ρθεὶκανεὶς ἐπισκέπης,

τὰπεριμένει ἡλήθη, πεινασμένη πάντα.

Ἂς ποῦμε πὼς ὑπάρχεις.

 


Στὸ Ναύπλιο ἄλλο ἕνα πλοῖο λευκό.

Ὄχι ἀπόλυτα πλοῖο κι ὄχι ἀπόλυτα λευκό.

Ἂς ποῦμε πὼς ὑπάρχεις.



Ἀφήσαμε τὰδιφορούμενα

καὶμπήκαμε σὲκαλαμιές,

σὲλεμονιὲς καὶκυπαρίσσια.

Εἰκόνα ὀπωροφόρα – σὲποτίζω.

Ἂς ποῦμε πὼς ὑπάρχεις.



Μακριὰ στὴν ἀνηφόρα

κοντανασαίνει ἕνας μαῦρος σιδηρόδρομος.

Σὰν γλιτωμὸς ποὺξεκουρδίστηκε.

Ἂς ποῦμε πὼς ὑπάρχεις

Ὅπως τὸπολὺνερὸσὲμέρη ἀκατοίκητα,

ὅπως τὸκαλὸσημάδι σὲπουλιὰβαλσαμωμένα.

Περιττά.

 

Τό λίγο τοῦ κόσμου, 1971

Voir aussi :

Temps allongé / ΑΝΑΣΚΕΛΟΣ ΧΡΟΝΟΣ (29/03/2020)

Oblivion beach (02/03/2021)

Signe de reconnaissance /Σημείο ναγνωρίσεως (03/03/2022)

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16 février 2023

Zu Shuzhen / 朱淑真 (1135 – 1180) : Nuit automnale

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Nuit automnale

 

Longue nuit d’insomnie, l’air automnal est pur,

Plusieurs fois j’ai coupé les fleurs des lampes, bientôt minuit.

Je fais le lit qui s’emplit de fraîcheur, lune

Dans les sterculiers qui luit là où ils manquent.

 

*

 

Un ciel frais comme une eau, nuit pure et nouvelle,

Les fleurs des canneliers dans le vent limpide, tendres, chassent le sommeil.

Mille mercis à Chang’e qui sait mon envie :

Avant la mi-automne, la lune est déjà pleine.

 

 

Traduit du chinois par Stéphane Feuillas

in, « Anthologie de la poésie chinoise »

Editions Gallimard (La Pléiade), 2015

Voir aussi :

Sur l’air « Sheng tsa tse » (23/04/2017)

Touchée par les paroles d’un fermier pendant les chaleurs sèches (19/02/2018)

En regardant voler les couples d’hirondelles (16/02/2019)

 Plainte vernale (15/02/2020)

Promenade au lac un jour d’été (15/02/2021)

La pure clarté (17/02/2022)

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13 février 2023

Carol Ann Duffy (1955 -) : Nu féminin posant debout / Standing Female Nude

7e39393c99a2c3b9f3235629c4b6894ab2a8c35d[1]Murdo Macleod for the Guardian

 

Nu féminin posant debout

 

Six heures comme çà pour quelques francs.

Ventre tétons cul dans la lumière de la fenêtre,

il tire de moi la couleur. Un peu plus à droite,

Madame. Et puis essayer de ne pas bouger.

Je serai représentée analytiquement et accrochée

dans les grands musées. Les bourgeois roucouleront

devant cette image  d’une putain des bords de l’eau. On appelle cela de l’Art.

 

Peut-être. Il se préoccupe des volumes, de l’espace.

Moi, du prochain repas. Vous devenez maigre,

Madame, ce n’est pas bon. Mes seins tombent

un peu bas, l’atelier est froid. Dans le marc de café

Je vois la reine d’Angleterre qui contemple

mes formes. Splendides, murmure-t-elle,

en poursuivant son chemin. Cela me fait rire. Son nom

 

est Georges.. On me dit que c’est un génie.

Il y a des moments où il ne se concentre pas

et se raidit pour capter ma chaleur.

Il me possède sur la toile quand il trempe son pinceau

plusieurs fois dans les couleurs. Petit homme,

tu n’as pas l’argent qu’il faut pour les arts que je vends.

Pauvres tous deux, nous gagnons notre vie comme nous pouvons.

 

Je lui demande Pourquoi faites-vous ceci ? Parce que

j’y suis obligé. Je n’ai pas le choix. Ne parlez pas.

Mon sourire le trouble. Ces artistes

se prennent trop au sérieux. La nuit je me gorge

de vin et je danse dans les bars. Quand le tableau est fini

il me le montre avec fierté, allume un cigarette. Je dis

Douze francs et prend mon châle. Ca ne me ressemble pas.

 

Traduit de l’anglais par Bernard Brugière

In, « Anthologie bilingue de la poésie anglaise »

Editions Gallimard (La Pléiade), 2005

 

Standing Female Nude



Six hours like this for a few francs.

Belly nipple arse in the window light,

he drains the color from me. Further to the right,

Madame. And do try to be still.

I shall be represented analytically and hung

in great museums. The bourgeoisie will coo

at such an image of a river-whore. They call it Art.



Maybe. He is concerned with volume, space.

I with the next meal. You're getting thin,

Madame, this is not good. My breasts hang

slightly low, the studio is cold. In the tea-leaves

I can see the Queen of England gazing

on my shape. Magnificent, she murmurs,

moving on. It makes me laugh. His name



is Georges. They tell me he's a genius.

There are times he does not concentrate

and stiffens for my warmth.

He possesses me on canvas as he dips the brush

repeatedly into the paint. Little man,

you've not the money for the arts I sell.

Both poor, we make our living how we can.

 


I ask him Why do you do this? Because

I have to. There's no choice. Don't talk.

My smile confuses him. These artists

take themselves too seriously. At night I fill myself

with wine and dance around the bars. When it's finished

he shows me proudly, lights a cigarette. I say

Twelve francs and get my shawl. It does not look like me.

 

Standing Female Nude

Anvil Press Poetry, London, 1985

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