Pavie Zygas (1949 -) : Le vide continue de creuser
Le vide continue de creuser
1
Ce qu’on apprend
la complexité les ruses la lumière
l’impartageable pourtant si banal
on reste là
valeur d’échange réduite au néant
à la fin
les lieux communs affirment de plus en plus
la vérité première
qu’on avait combattue, moquée
on lit les autres
on reste chez soi
attendre l’écho
espèce de chacal qui attend le malheur pour approcher
on suit le cours
toucher l’écorce entourer l’arbre
de ses bras
pleurer quand l’or dévale sur la vitre
quand la fleur appelée
visage du matin
dans toute sa gloire
arrange sa corolle
on se presse
contre la Beauté
on compte les brins d’herbe le vent d’amour qui flue
on regarde le miracle
on s’organise en chat
on s’organise en fleur en cœur en chevelure
en pierre dressée
en eau qui dévale la pente
en dragon des marais
les ailes déployées dans la pleine présence
de la forme au vide à la forme au vide à la forme
on s’en va, carriole sur la route
au fond de la tristesse brûle une pierre brute
2
Ne pas arriver au point
où
tout concorde
rose impudique de l’occident
feuille grise du lotus sur la mare d’automne
on écoute au-dedans quelque signe dressé
le sel le sable poussière dans les mains
ceux
qui ne parlent pas – la pierre
écrase le lézard
il ne crie pas – la fureur la guerre
la plante côté nord tendue
vers la lumière
3
Shiki
Depuis le lit on voit
la lumière tremblante
les changements de la lumière
on vit
le temps est un carambar on regarde tout
aucun oiseau
n’échappe aucune goutte
de pluie
je pense à vous
dans la chambre jusqu’à la fin
4
ô Ishta
tu es la lumière
sur le seuil
tranquille
tu es
l’écorce amère tu es la fleur
tombée à terre
petite
pâle
qui point le coeur au printemps
tu fais mal
et ce mal quand j’y pense
est mon bien
à l’aphélie du grand silence
5
Paroles de l’hippopotame qui marchait
léger sur les fonds marins
et broutait la fleur noire de ma tête
on n’est rien
on descend un degré
on n’est rien
on descend un degré
on n’est vraiment rien
dans une crise d’optimisme débridé
il ente en écho les paroles des autres
inénarrable hippopotame
il a écouté Dylan pour la première fois en 72
connu Dickinson à 47 ans
Artwood en 2006 et ça
lui a donné un bon coup de poing
6
Quand j’étais petite un démon à la griffe facile
je grandissais dans le secret espoir
de rester calme
tranquille avec moi-même
au milieu des choses
aujourd’hui
le crépuscule
tombe
j’écris
avec parcimonie
ni néotruc ni postmachin
j’use des mots j’use
jusqu’à la corde
jusqu’àu ridicule
je leur demande
où est-ce
le pays de la paix
douce comme la chair orange du melon
7
Maintenant loin de la côte plus d’oiseaux mais
derrière nous
la trace immense la route d’eau
sans horizon
court derrière la Terre court seule
au-delà de la perte
et moi innocente sur le pont
je marche sur le poids et la profondeur de l’amour
qui tremble sous mes pieds
8
Présent
doux et profond
tu soulèves la barrière
les gouttes les feuilles brillantes
dans le soleil oblique
ce chant menu de l’eau
ces herbes qu’elle entraîne
cette beauté
c’est toi
beauté irradiante
sans avenir
ascèse aussi longue
que des secondes
9 (*)
Identifier est un mot fade
je voulais tout verser de toi dans moi
il faut partir mon âme il va pleuvoir
je n’ai pas pris de parapluie
le parfum des lys arrive comme
une respiration
souvenir de ton éclat
je pose sur la tombe une carte postale
c’est un tableau et là-dessus un bonbon arlequin tout
ce que je possède
les fleurs séchées je les ai oubliées à l’hôtel
le vide continue
de creuser il gagne du terrain
à grandes pelletées
- chez nous on ne brûle pas les corps
on les enterre
la terre fait un bruit mat quand elle tombe
l’esprit toujours s’efforce de combattre
il trouve des mots
identifier est un mot fade
je dirai plutôt de toi : Beauté
inextricable de ma vie
(*) On retrouve cet extrait, avec quelques modifications, dans le recueil « Berceau de branches vide », Editions fissile, 2007
Revue « Voix d’encre, N°37 »
26200 Montélimar,2007
Voir aussi :
La petite fille et la mort (27/01/2021)
Parler tout seule (24/01/2022)
Berceau de branches vide (24/01/2023)