Pavie Zygas (1949 -) : La petite fille et la mort
La petite fille et la mort
Dans un cimetière
sur une tombe
elle demeure allongée
parfois elle se dresse quand on passe
et s’assied
mais jamais
jamais elle ne pardonne
Passage
sentes ténues
éphémère
extinction de l’être
sanctuaire du soir
la patte crépusculaire se pose sur la branche
les pierres la courbe d’une tige
toutes nous glissons dans l’ombre
Pourtant
j’ai mangé de ta chair
et bu de ton sang, mère
La petite fille et la mort
La mort vient toujours à sa demande
elle reste bouche bée
devant ce qu’elle noie
on s’habitue à tout bouche bée
quand elle tue
et les gemmes du mal qu’elle se fait
elle n’en connaît pas de plus belles
elle penche vers la mort
à désirer toujours elle penche
toute petite déjà elle était dans ses jupes
la faute à l’ange qu’elle n’est pas certes
la faute au méchant qui l’attrapait
dans la cave
elle joue trop à la mort
elle la serre si fort
que l’étoile espérance a éteint la lumière
L’accueil de ce qui vint
m’a soulevé de terre
d’un élan unique
difficile d’aller
au-delà
pour se confondre
- ce consentement
à ce que la fin veut dire
il pleut il fait froid puis la lumière
brille et cela
personne ne peut l’apprendre
sans s’éloigner de tout
sans aller aussi loin
que les guerriers
volant dans les étoiles
Ah si tu ne vis pas, meurs !
mais c’est long de mourir
un tel effort
une telle dépense
d’énergie
Je ne peux pas parler sinon à qui à moi
avec ces mots étouffés dans le sang
sang boue et chair de la douce ténèbre
- ah donne-moi une goutte de ton sang
Beauté matière insécable et rouge de grand vin
je ne peux te parler tu as coupé ma gorge
je tends mon cou
le sang coule dans le sable
il a coulé le sable le boit
l’odeur de la mort qu’elle est douce parfois
je ne peux parler de la Beauté de l’obscurité de la Beauté
Sanctuaire du jour
soleil, récite ta leçon
iris blancs iris mauves
bouquet d’abeilles et de sauges
l’éclat du jour est tel que je vais emmêlée
à l’impériale splendeur
un jardin
un champ clos
pour l’oiseau
qui vole dans le cœur
Je ne peux savoir
ce qu’il en est de vous
mais
le désir approche
de la rive
demeurer
et plus encore étendue
- ce glissement
sous la surface
parfois
ni la musique ni les mots
cathédrales les plus hautes
n’ont d’écho
la rame de bambou toute seule
se balance
et l’oreille impérieuse de Shashou
tournant vers l’avant son tissu précieux
me suffit en tout
ce sont des choses simples
il faut une vie
pour les tenir
Croisement des eaux profondes
de Tsuruga
vers Otaru
écumes de haute mer
prêles de métal bleu
comme s’il y avait
une végétation
dessus le cœur
la solitude des grands fonds
pousse l’esprit vaguant
à prendre compagnon
chez les vivants
Une grande chose
a changé
en lieu et place
du mur du nord
le fauteuil fait face
au mur de l’ouest
au matin
la lumière est nouvelle
et le soir
une branche
sur le ciel qui s’éteint
Le pinson criait
toujours la même phrase la tourterelle
laissait traîner les siennes dans le bruit des voitures
j’ai bien fait de me taire
et j’ai su quelle bête
dévore
ce que je veux dire
hier
en faisant la confiture
j’ai trempé mes deux mains
dans ton sang de cerise
N’est-elle pas
propice
l’heure venue d’hiver le soir
toute justifiée
à la réclusion
comme un bête à l’étable
la rencontre du mot cimetière
dans le cours de la lecture
et encore d’un petit village
finit de faire perdre
l’équilibre
non pas à l’étable la bête
à l’abattoir
Rite barbare pérenne
S’asseoir
appuyer de toutes ses forces sur son sein
faire jaillir le nœud innommable de vipères
on ne peut crier n’est-ce pas
en vomissant
Sous le grand tilleul, l’été, lisant des livres
Toutes ces paroles données
vibrantes et fausses
joignant le flot des nôtres
tombées
ah les désirs du cœur sont les arêtes vives
où les chats souples de nos mots vont se blessant
Loin du corps dissous
comme un chant les mots que tu prononces
ne meurs pas, petite flamme
la chaleur le goût des mots quand tu les dis
restent là
continuent de briller
il n’y a que les dieux
qu’on aime ainsi
In, Revue « Moriturus, N° 3-4, Avril 2004 »
Editions fissile, 09310 Les Cabannes
Voir aussi :
Parler tout seule (24/01/2022)
Berceau de branches vide (24/01/2023)
Le vide continue de creuser (24/02/2024)