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Femmes en Poésie
8 décembre 2023

Anise Koltz (1928 – 2023) : Soleils chauves

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Photo : Philippe Matsas

 

Soleils chauves

 

Je ne possède rien –

 

Je suis pleine de néant

vide comme le ciel

 

Ne m’appelez pas

 

Chaque fois

que mon  nom est prononcé

il perd

de sa substance

        _____

 

J’existe –

le monde me traverse

je le traverse

 

Constellations

et glaise

s’affrontent en moi

 

Mon sang se jette

dans la mer

d’où jadis je suis sortie

unicellulaire

 

 

Un mot

peut signifier le monde

sans être le monde

 

Il n’est que signe

sonorité

 

le mot n’éclaircit pas

ne signifie rien en soi

 

Le poème le fait exister

        _____

 

Mon cerveau est agile

dangereux comme un guépard

 

Est-il mon assassin

ou suis-je le sien ?

 

L’un tremble

devant l’autre

 

 

Sept fois sept marches

descendent

jusqu’à mon subconscient

 

Les couloirs

sont à peine éclairés

 

Des paroles jamais prononcées

sont suspendues au plafond

comme des chauves-souris

 

Le silence pèse

devant sept portes

verrouillées

 

 

Qui me dit

que mon destin

m’était destiné ?

 

Je tournais jour par jour

dans l’univers

comme une planète inconnue

 

Chaque fois

le soleil me massacrait

alors j’ai fait alliance

avec la terre

        _____

Je voyage en moi

la terre m’est trop étroite

 

Tout me ressemble

et je ne ressemble à rien

 

Enfant d’Eve

damnée comme elle

je crache mes poèmes

avec le feu de l’enfer

 

 

Le temps a perdu

son présent

 

Je suis née

il y a mille ans

 

Mon sang me fait mal

il a coulé dans les veines

de mes ancêtres

 

Il est usé

comme les os

de ma carcasse

 

Une couche épaisse

de culture m’enveloppe

et ternit ma vie

 

 

Un vide infranchissable

enveloppe ma voix

 

Vie et mort sont contenues

dans ma parole

 

Je la crache

comme un cracheur de feu

jusqu’à ce que ma salive

tourne au noir

        _____

J’avance dans le désert

ouvert à tous les chemins

de l’errance

 

Je ne connais pas

le code des constellations

 

Je me confonds

dans cet univers

de silence de cette éternité

qui ne s’ennuie pas

 

 

Mes rêves conspirent

contre moi

 

Je n’échappe pas

à leur pillage

 

Ils brûlent

les mêmes terres

que la vie

        _____

Poussant le langage

à l’extrême

 

Nous perdons les questions

à travers nos réponses

 

Comment savoir

ce que nous oublions ?

 

 

Chaque création

chaque reproduction

demande son tribut :

 

La mort de son auteur

        _____

 

Je rappelle ma voix

des quatre points cardinaux

pour proclamer :

 

Aujourd’hui le destin de Dieu

dépend des hommes

 

Celui des hommes

ne dépend plus de Lui

 

 

Que suis-je venue faire

en ce monde

dont j’ignore

l’origine et le sens

 

Quelle réalité se dissimule

derrière les apparences

 

Personne ne trouve refuge

en l’autre

        _____

Mes poèmes

végètent parmi vous

sans antennes visibles

mais avec des tentacules

souterrains

qui creusent dans vos terres

de multiples galeries

 

 

Un mot venu

de je ne sais où

résonne en moi

comme un coup de canon

 

Un mot bloqué

emmuré

qui soudainement

s’écroule

comme la tour de Babel

        _____

Ma parole est un entrepôt

où j’ai engrangé

mes pensées

 

Qui a provoqué ma naissance

prescrit mon chemin ?

 

D’où suis-je venue

pour supporter l’obscurité

sans être armée, ?

 

 

Dans chacune de mes paroles

traîne le silence

 

Je vis caché

sous ma langue

 

En mentant

je dis la vérité

 

En disant la vérité

je mens

        _____

Nous évoluons

dans un géographie

que nous ne saisissons pas

la lumière règne la nuit

les ténèbres obscurcissent le jour

 

Aveugles au réveil

nous voyons en dormant

 

Tout est faux

dans sa vérité

 

 

Je me détourne du possible

j’interroge le possible

 

Tout est dans tout –

comme la fin

dans le commencement

        _____

Est-ce que je sais

qui je suis ?

 

Ou suis-je

celle que je ne suis pas ?

 

J’ai contourné le soleil

plus de 83 fois

 

Je connais la route

sans la connaître

faisant partie

de ce labyrinthe

 

 

A René

 

Je t’aime toujours

même si tu es mort

 

Je te bats

avec les battements

de mon cœur

pour te réveiller

 

 

Je rentre de plus en plus profondément

dans le paysage des autres

 

Je possède en moi

toutes les directions

 

Je marche sur la terre sèche

 

Au loin j’entends des paroles

prononcées des siècles plus tôt

 

Leurs échos ayant traîné

dans l’univers

avant de m’atteindre

 

 

J’ai traversé ton amour

comme une mauvaise saison

 

Nous ne nous complétions

que lorsque nous étions séparés

 

        _____

Tandis que les migrateurs

s’envolent vers le sud

les corbeaux répètent

la noirceur

de leurs plumes

 

Les nuages s’émiettent

le soleil devient chauve

 

 

 

A René

 

Je me pose sur ta tombe comme un rapace

dépliant mes ailes noircies

je t’apporte ma proie

comme une pitance

 

Soleils chauves

Editions Arfuyen, 2012

Voir aussi :

Un monde de pierres (I) (08/12/2021)

Un monde de pierres (II) (08/06/2022)

Galaxies intérieures (I) (08/12/2022)

Galaxies intérieures (II) (07/06/2023)

Je renaîtrai (1) (23/05/2024)

Je renaîtrai (2) (01/12/2024)

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