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Femmes en Poésie
4 juin 2025

Anise Koltz (1928 - 2023) : Le cirque du soleil

 

 (photos François Aussems)

 

 

Le cirque du soleil


SOIR I

 

Enterrer le jour

 

dans une taupinière

 

et oublier

 

dans laquelle

 

    ------

 

TU ES L’AUTOUR

 

Fonds sur moi dans l’herbe

 

tu es l’autour

 

qui emporte mon sang

 

 

plus haut que la forêt


entends-tu les plaintes

 

de ma joie

 

entre tes serres

 


A MA DROITE

 

Nous croyons tous

 

en un Dieu

 

mais ce qui arrive

 

n’a pas de nom

 


Nous sommes comme des ivrognes

 

devant la nuit -

 

l’un de nous

 

fixe trop longtemps son rêve

 

et devient aveugle

 

un autre

 

 

panse sa vie blessée

 

un troisième protège

 

la forme de cire d’une morte contre le matin

 

qui roule par-dessus les toits 

 

dans un tonneau en feu

 


C’est un nouveau jour

 

assourdissant

 

qui excite la cruauté

 


Un ange déchu 

 

veille à ma droite

 

avec des pierres

 

er des oiseaux morts

 

Parfois la loi se trompe

 

la mort tombe dans le piège

 

dupée comme un gibier

 


ouvrez le brayon

 

rendez la liberté

 

à ce renard enragé

 


nous avons besoin de ses dents

 

de la douceur de son pelage

 

pour aimer

 


AUTOMNE

 

En route avec les oiseaux

 

pour suivre le cirque du soleil

 

où la lumière mugit

 

en sautant dans sa cage

 


en route avec les jongleurs

 

les saltimbanques

 

et les géants de l’ombre

 


en route avec le vent

 

crieur du cirque

 

et cornac qui offre ses tresses d’or

 

et suspend des lampions

 

aux arbres

 


en route

 

avant que les dernières affiches

 

programmes

 

et billets d’entées

 

ne soient piétinés

 

dans les rues

 

 

« UBER ALLEN GIPFELN IST RUH »

 

La lune s’envase

 

jusqu’aux yeux

 

elle est à peine visible

 


je veux la guetter 

 

écorcher son ventre blanc

 

et la préparer

 


sa viande a la saveur

 

du poisson de mer

 

    ------

 

REJOINS-MOI

 

Rejoins-moi

 

dans mon lit de feuillage

 


jamais plus 

 

je ne me redresserai

 


nul autre ne verra la clairière

 

qui reste de moi

 


arrache mon écorce

 

je vivrai toujours

 


l’été est l’évangile selon saint Marc

 


MER

 

Je sais claquer de la langue

 

mer

 

je suis un marchand de chevaux

 

tes coups de sabots m’assourdissent

 

mais je te monterai

 

jusqu’à ce que tu t’écroules dans le sable 

 

tu me lécheras les peids 

 

en mourant

 

    ------

 

PLUIE II

 

La pluie 

 

est un grand chien brun

 

 


on le fouette on le chasse

 

à travers les villages

 


mais dans les champs

 

il s’arrête et lèche ses blessures

 


J’AI BESOIN D’’N AUTRE ÂGE

 

J’ai besoin

 

d’un autre âge

 

pour me remettre de toutes mes morts

 

et d’un avenir

 

 

si vieux

 

qu’aucun prophète

 

ne s’en souviendra

 


j’ai fait des adieux

 

à ma mère

 

avant de venir au monde

 

je devais la faire naître

 

cent fois

 

avec un pied bot

 

et un escalier tournant

 

dans le dos

 


SI JE N’IMPLORE AUCUN DIEU

 

Si je n’implore aucun dieu

 

et que mes veines deviennent plus foncées

 

par la plus secrète jouissance

 

qui existait déjà en moi

 

avant de naître

 

si la nuit venue

 

je me débarrasse de mon corps

 

pour interrompre les cours d’eau

 

et si j’invente des rimes

 

pour compter les grains de sable

 


est-ce cela vivre

 


si je possède une muselière

 

pour ma mort

 

et une flûte

 

comme les charmeurs de serpents

 

et que tout reste caché

 

avec le feu d’artifice

 

au-dessus de mes genoux

 


est-ce là mourir

 


TOUT PERDRE

 

Aimer 

 

c’est être mortel

 

et lutter contre

 

avec toi

 


pénétrer dans ta chair

 

en nageant

 

m’y mordre

 

et me posséder

 

tout perdre

 

pour continuer

 

à vivre

 

dans une peau 

 

humide et calme

 

comme une grotte

 


TIRE TA BARQUE

 

Tire ta barque

 

à mon rivage

 

ma bouche est enfouie

 

sous les roseaux

 

dans midi brûlant

 


chaque parole s’abat

 

comme un oiseau mort

 

    ------

 

Si tard qu’il se faisait

 

il n’ y avait pas de mort

 

ton corps brûlait

 

comme une lampe

 

et le mien

 

restait ouvert

 

longtemps encore

 


c’était comme en été

 

quand les seuils des portes

 

refroidissent lentement

 

 

QUESTION

 

Les gens qui peuplent mes rêves

 

d’où viennent-ils

 

et le cheval aveugle

 

sous le pommier 

 

auquel je donne le pain de la charité

 


si ses yeux voyaient

 

qui me reconnaîtrait

 

au bruit de mes pas

 

    ------

 

LE SOLEIL

 

Le soleil est un vieil animal domestique

 

le matin il traîne ses membres engourdis

 

à travers la cour

 

et grimpe péniblement dans l’acacia

 


il y est assis pendant des heures

 

et se chauffe

 

au plumage des oiseaux

 


12 6 28

 

Ma naissance

 

n’existe pas

 

c’est un nombre

 

qui ouvre le ventre de ma mère

 

comme un coffre-fort

 

ma mort

 

n’existe pas

 

c’est un mirage

 

en moi il y a une cité déserte

 

avec des puits comblés

 

ne vous y fiez pas

 

 


Traduit de l’allemand par Andrée Sodenkamp

 

In, Anise Koltz : « Le cirque du soleil »

 

Editions Seghers, 1966


Voir aussi : 


Un monde de pierres (I) (08/12/2021)


Un monde de pierres (II) (08/06/2022)


Galaxies intérieures (I) (08/12/2022)


Galaxies intérieures (II) (07/06/2023)


Soleils chauves (08/12/2023)


Je renaîtrai (1) (23/05/2024)


Je renaîtrai (2) (01/12/2024)
 

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