Anise Koltz (1928 - 2023) : Je renaîtrai (1)
Anise Koltz en 1964 Photo: collection CNL/Willem Enzinck
Je renaîtrai
MON OMBRE I
J’ai escorté mon nom
jusqu’à l’oubli
Demain je renaîtrai
surgissant de l’argile
Mon ombre gravite déjà
autour d’une nouvelle effigie
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UNE APPARENCE
Je ne suis pas moi
je ne suis qu’une apparence
Mon image me couvre
telle une vieille couverture
J’erre comme un point d’interrogation
un verbe sans sujet
LE JOUR ET LA NUIT
Le jour
ton effigie change
avec la lumière
La nuit
ta chair blanche
brille dans l’obscurité
comme un glacier
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A LA FENÊTRE
La lune pleine
recouvre les mendiants
de sa lumière empruntée
Tandis que l’odeur du sang
court les rues
une femme suspend
son hymen à la fenêtre
pour le faire sécher
A TÂTONS
Dans ce corps ou je loge
la chair est barbare
le sang navigable
J’avance à tâtons
sur ma ligne de vie
vers tous les possibles
Les dix commandements
s’élèvent devant moi
à quoi bon les suivre
J’avance vers une autre naissance
vers le moment décisif
d’un nouveau salto mortale
LES ETOILES
Le ciel est devenu
un abîme de clarté
Toutes les étoiles
des juifs gazés
sont épinglés au firmament
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SUR LES FLOTS
Je n’échangerais pas ma vie
contre celle du Christ
vendue au rabais
pour trente deniers
Il fut une proie facile
à la crucifixion
Mais j’aimerais apprendre de lui
comment déambuler sur les flots
sans me noyer
A MES ENFANTS
En lisant les lignes de vos mains
je retrouve la géographie antique
que je porte en moi
La douleur de mourir
la douleur de vivre
avec mon sang
vous les avez héritées
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MON DOUBLE
Mon double dégringole
je ne le comprends pas
Il ne parle pas ma langue
il n’a pas mes habitudes
Il a déchiré le traité de paix
qui existait entre nous
AU MATIN
Mes rêves sont véridiques
car ils existent
Chaque nuit
je reconstruit l’arche
je lâche la colombe
Mais au matin
un avion revient
porteur de la bombe atomique
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LE VENT
Le vent
rôde parmi les arbres
Il déplace le temps
en sifflant
UN LIEU SÛR
Je n’aime pas retourner
d’où je viens
Mais à chaque fin de vie
je rends l’âme à ma mère
Après avoir cherché
un lieu sûr
pour abriter mon ombre
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SUR MON CORPS
Sur mon corps
des marques d’anciennes civilisations
des débris de langage
Un homme se plante dans ma chair
comme un arbre tourmenté
par la tempête
EN LOCATION
Je ne suis qu’un vieux hangar
où est stocké ma vie
Je l’occupe en location
payant de ma personne
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L’INVISIBLE
Lorsque j’écris
pour rendre visible
l’invisible
Le visible
devient l’invisible
MON OMBRE II
Liée à vie
à mon ombre
qui s’écroule par terre
je suis prise de vertige
trébuchant
sur ce bassin de sang noir
sur ce mirage de moi-même
JE SUIS
Je n’existe pas
pourtant je suis –
De mon destin
je traverse les couches successives
comme un archéologue
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SANS QUE JE M’EN SOUVIENNE
Tout ce qui doit arriver
est arrivé depuis longtemps
Sans mon consentement
sans que je m’en souvienne
Ma mémoire
est un frigidaire en panne
QUESTION
Je me suis habituée
aux loups
qui rôdent en moi
A l’ange gardien
qui leur montre les dents
Sous quelle lune
continuerai-je mon périple ?
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LE CORBILLARD
Mes souliers
sont troués
Mes béquilles
souillées de boue
Je regarde passer le corbillard
qui emporte
tout ce que je n’ai pas vécu
A LA FOIS
Je suis à la fois
Caïn et Abel
Lorsque je meurs
je rêve d’être assassin
Lorsque je tue
je rêve d’être victime
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LE VENT
Le vent passe
par des endroits mal famés
en sifflant
Ses femmes folles l’accompagnent
elles secouent les jours
avec les arbres
L’océan est un fauve féroce
qui marque de son odeur
son territoire liquide
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SOUS LE LIT
Je serai seule
à mourir
avec sous le lit
mes souliers déroutés
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Je renaîtrai
Editions Arfuyen, 2011
Voir aussi :
Un monde de pierres (I) (08/12/2021)
Un monde de pierres (II) (08/06/2022)
Galaxies intérieures (I) (08/12/2022)
Galaxies intérieures (II) (07/06/2023)
Soleils chauves (08/12/2023)