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Femmes en Poésie
20 juillet 2023

Florence Pazzottu (1962 -) : Le triangle mérite son sommet

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Le triangle mérite son sommet

 

(poème politique)

Il faut payer ses dettes et contenir les peuples, faut faire

payer le peuple et ceinturer la dette, resserrer les frontières,

déterminer les taxes et s’en tenir au pacte, faut raisonner

le peuple, hisser les calculettes, stabiliser la crise de la

dette, donner du plus au plus et faire entendre aux moindres

qu’ils doivent désormais faire mieux avec moins, si les

nombreux résistent, nous arraisonnerons, si les nombreux

s’entêtent, saturons les écrans, expliquons, restons fermes,

halte aux caprices de la rue, sauvons la zone euro, harro au

déficit, stop aux excès sociaux, place à de sains préceptes :

c’est au nombre à payer la politique du chiffre, le nombre

aspire au chiffre, le nombre c’est le peuple,  et pour qui fit-on

les édifices publics, les hospices, les écoles, les routes...

les prisons, les zones de transit, les centres de rétention ?

expulsons, pressons, enfermons, évaluons, retenons,

poussons, ça urge, faut purger, la solidarité se paye, chacun

compte, c’est un luxe, qu’on se le dise, cotisons, cotisez,

solidaire est un luxe, soyez solidaires du luxe,  le triangle

mérite son sommet, quand le sommet vacille, la base doit

porter, quand les sommités misent, la base participe,

assume les pertes des élites, et la fuite des fortunes privées,

très publiquement approuvées, si-si, nourries, chéries

engraissées, subventionnées même, pour qu’elles grandissent,

s’élargissent, dépassent les frontières, étendent leur belgitude,

leur suissitude, ouvrent des coffres dans les paradis,

enregistrent leurs yachts aux îles Marshall et Montserrat,

prospèrent, bien loin des foyers Sonacotra, des locaux de

la Caf et des agences de Pôle emploi, des files d’attente

des étrangers à l’aube devant les préfectures, on a les élites

qu’on mérite, aucun triangle n’a jamais tenu sur sa pointe,

c’est vrai, mais c’est quand même là-haut qu’on voit le

mieux l’Olympe et qu’on peut espérer lécher un jour le

gros orteil de Goldman Sachs, ou sentir se décourroucer

l’œil sévère de Standard and Poors et en être tout retourné,

tel un élu enfin désigné, et que le divin babil émerveille

ou effraie, AAA, BBB, tandis qu’aux étages les divers

responsables s’affairent autour des traites, les poches

vides d’or mais pleines de reliques de sainte Solvabilité,

préparent leurs éléments de langage, il ne faut pas

confondre recul de l’âge de la retraite et lâcher de parachutes

dorés, dynamisme boursier et livret populaire, mutualisation

des moyens et partage des bénéfices,  plan de soutien aux

banque et assistanat régressif, flexibilité du travail et

mouvements sociaux, gestion de stocks-options et

gesticulations d’inactifs, management par objectifs et

objections des ménages, Tapie arrosé par l’Etat et PSA

essoré sur le tapis, gouvernance des actionnaires et AG

d’agitateurs ouvriers, crises de la foi et promesses à

Gandrange, développement productif et sauvetages des

sites, placements concurrentiels et places en aires

d’accueil, délocalisation horizontale, verticale, itinérante,

et travailleurs illégaux sans papier, on va tout bien vous

expliquer, chacun sa tâche, et c’est bien fait, les agences

de notation orientent, le peuple vote, un peu, c’est assez,

et cotise aussi, mais trop peu, allez, encore un effort s’il

vous plaît.

 

Revue Bacchanales N°56 – octobre 2016

Maison de la poésie Rhônes-Alpes,38400 Saint-Martin -d’Hères, 2016

Voir aussi :

« éteint l’amer rivage... » (19/07/2020)

« de la nuit le noir aiguillon... » (19/07/2021)

« Trop dure, trop sèche, la terre... » (17/07/2022)

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