Ananda Devi (1957 -) : Me suis réveillée
© Oumeya El Ouadie/ Éditions Bruno Doucey
Me suis réveillée
Je me suis réveillée un matin
après un rêve d’une violence extrême.
J’ai écrit ceci,
n’ayant ni été violée ni violentée.
Me suis réveillée corps brûlé
Dévêtue de ma peau
Main carnassière
Gouttes de nuit acides
Les chattes ne sortent pas
Me suis réveillée bouche fracassée
Cœur détalant trop battu
Jambes désemparées
Boueuses boiteuses
Sottes ! Fuyez ! Fuyez !
Me suis réveillée à genoux dans mon lit
Il n’y avait personne
Tous étaient là
Par la fenêtre l’oubli riait
Tu ne vivras pas sans peur
Me suis réveillée l’aube était glauque
Le ciel barbouillé couleur de vomi
Le corps pesant paillasse d’insomnies
Où est passé la vie
Ses espaces rieurs
Tous compressés dans un poing fermé
Me suis réveillée poisson bafouillant
Sa prière liquide
Dans le poison de l’air
Chair frétillant sans espoir
Sous le fil du saignoir
Me suis réveillée en pleine stupeur
Blanc trop blanc
Inondant mes yeux
Gueules braillantes
Sanglant ma vision
Me suis réveillée lovée en transparence
Aucun tissu étoffe soie
Livre tout de toi
Pas le droit
Ultime secret de ton ventre
Me suis réveillée agonie
Vécue et crainte
Ca n’arrive
Pas qu’aux autres
Au détour d’une rue griffée de pluie
Un soir d’équinoxe
Me suis réveillée dans les essieux
Métro trop bondé
Facile, si facile
D’abolir la distance
Toucher ce qui n’est pas soi
Formes courbes dissimulées
Audace des possédants
Des conquérants
Des triomphants
Me suis réveillée interrogée
Faire de la poésie
A ce sujet
Pas permis
Jolies tournures
Métaphores
Euphémismes
Me suis réveillée muette
De tous mes silences
Parce que le monde me dit
Désormais de me taire
Mais à quoi alors
Puis-je servir
Me suis réveillée sachant
Ce que toute femme sait
Dans sa chair dans son sang
Ce que les ombres recèlent
D’effroi
Face à l’invasion
Chaque pas vers la solitude
Un pas vers le démantèlement
Me suis réveillée déterminée
A continuer malgré tout
Dire dire dire
Pour ne pas oublier
Pas t’oublier
Femme de nulle part
De partout
Tu as vécu
Je t’offre mes mots
C’est tout ce que j’ai
Le viol est le viol
Je ne l’ai pas vécu
In, « Haute tension. Poésies françaises d’aujourd’hui »
Le Castor Astral, 2022
Voir aussi :
« Je te vois comme un hiver… » (24/02/2017)
« Je ne vous connais pas ... » (21/02/2019)