Adèle Nègre (1965 -) : Résolu par le feu (1)
Résolu par le feu
Tout le temps à mâcher
passe ne passe pas
la couleur mange
les astres
monstres risibles
et les roses la tête dans l’orange
du couchant
passe comestible
comme
le vert de la sauge
passe l’acier de la rue bleue
le nuage amer de l’armoise
grande et royale
plante de feu ou de rêve
d’intense vision
la larme douce couleur tremblée
manger aussi l’armoise
ou la boire
car je ne craindrai plus ni l’eau ni le feu
dit-on
vision verrai
rudérale
les flaches sont gris ardoise gris tant
couleur de temps
comblées de feuilles de tilleul
Tout un jardin au travers
d’une eau tremblée
des notes floues
flouves et autres
herbes donnent
la couleur dominante
Anthoxanthum odoratum
jaunes dans les roses
dernières
tachées
détachées
matin navrant
lame embuée
dans la gorge des roses
nouées
Toute une
profonde encore
voix dans les
branches bleues liquides
en contre-plongée
pluie d’ailes jaunes et de socs
pluie de terre rose
et dans les veines lointaines dendritiques
et jugulaires circule haut débit pourtant une
petite voix
longtemps avilie ténue
tenace au désastre
et monte
tenue au désir
Sinon la pluie éteint ce feu reste
la cendre malléable
et loin au cœur braise
collée au paysage
immense ou bien le vent disperse
ce qui redevient terre
et boit et boit dans la soif
moelle froide de nos os
Le feu sculpte encore ce matin
l’air bosselé
une gomme d’un blanc de lait irisé
comme sel
et piquant
qui finit par prendre la
forme des poumons
Dernier feu
sous la pluie
j’ai respiré des nuages
l’air s’est fait sentir
tout l’âcre aveuglant
au vu des vaches celles
d’en face interdites
Les tiges penchent
les asters noircissent
nuit avant la nuit tire les couleurs sous
le noir est toutes couleurs une couverte visqueuse
étale seules
la sauge la sclarée
chair argentée
et l’absinthe grande
éclaire
amère plante de feu
la percent encore
Ne me lâche pas
cette voix
survit
traverse vient au devant du désastre
te tient avec les choses dans les choses
au plus près de la robe les mains giratoires
voyantes
vives avec les herbes fermentées les roses
blettes asters monstres comme
grande roue
une foire tonitrue l’automne
déjà
dedans
bat son plein
Si je m’assois sur le versant froid
d’une pierre
à regarder un arbre
creuser les mains vides qui sont dans les gants outils
terreuses ongles noircis nervures sont tendons saillants que je connais
je lève une pierre parlante sous l’arbre une forme de quoi est-elle
la forme
les mains ligneuses à l’extrémité de bras vigoureux
elles ont leur propre langage
connaissent les couleurs au toucher
la matière de paysage
texture de lumière
ainsi que celle des ombres et de la nuit
ainsi que celle
venue insaisissable avec la pierre
une forme un désir de forme
monte dans la pierre et dans les mains
conjointement soupèse et rappelle
objet et mémoire un poids
résonne cherche le son d’une figure lucide
dedans lève des métamorphoses consenties
Noir source
des mains
reliefs et arêtes
tendons
accentués nos têtes
heureuse invalides
Des vents
et
la pluie dans les cheveux
vision ravalée
dans le frisson
pensée figée net au seuil
de la sensation aucun son
ne sort plus non plus
il pleut simplement jusque dans la bouche
Les voix tremblent avec le vent
la bâche sur le bois
reflète tous les bleus
la haie tremblée rugit elle seule
et plus massive
la nuit en sort
furtive
avec tous les oiseaux
l’œil émoussé ne la perce plus
le paysage est soudain tout jauni
D’un rêve éveillée
hors de ma robe
mue
c’est une flanelle pour novembre
noir corneille
liserée de cendre
une dépouille
un exutoire une aile
pour l’urgence
elle étrangère
sur le champ qui lévite
Longeant la rive
tu parles folle
la langue du geste
un théâtre à l’envi
elle chante sur le champ
où tu vis tu titubes ou
appelle cela danser
assertive ou tue
ivre remue
en entre
dérive rien
Vent qui retourne les pierres
qui retournent le vent qui rend visible
le qui-vive
la face à vif la vie d’affût
le vent aiguise la haie
lame si je vais au jardin c’est pour sentir
dans les plis de l’air
l’air même qui emplit mon air ouvrir
les dessous de l’œil solaire
les rais pénétrer l’impénétrable
J’ai taillé les sauges
spirales orageuses couleurs bataille
dans l’herbe constrictive
sauges torses à l’image du temps
les tenailles très hautes gris de Payne
un miroir de plus
ses feuilles noir de Mars au revers
Ombres turbulentes dans le vent
une ombre portée pousse
que le vent tourmente
tu attends dessous
le vent apporte
son double
entre deux tu flottes
tu te laisses porter dans ta robe
la bâche sans relâche
dérobe la pile de bois
c’est une forteresse flottante
double encore
posée déposée
le vent soulève les ombres
Arbres dans le vent
ils biffaient l’ombre sur la maison
ignorant la pesanteur
ils crèvent maintenant l’herbe et déchirent les pierres
gisant par terre un grand cri pèse sur la poitrine l’odeur de sève
et la rage enivre
primitive
comment redresser ces géants comme
saisie par une peur archaïque au devant
la peur menuise la lumière
le cri encore
sinon l’écrire
C’est un centre
un poing intérieur
ses propriétés actives qu’on dissèque
à grands coups de pioche de bêche
verticale
la question à la hache
dans la ruine et l’effondrement
des arbres et de la terre sans s’arrêter
on cherche le battement
qui l’entend ?
Herbe soleil terre se soulèvent
les reins sont le point d’appui pour le levier
de mots que j’embrasse
penchée
chacun est un puits
que j’embrasse dans la chute
des mots courbés que de mots
se disloquent dans le râle avec l’arc des reins
comme les mottes
s’émiettent
Le fond du champ
s’enfonce
à la surface du miroir
sombre
entre écailles et constellation
des taches blanches
neige au front du miroir au sombre front
le champ s’étend dans les gris
l’angle s’ouvre l’espace grandit
l’étoile remonte rose sur cette plage embuée
que rien ne heurte
des pas : pas mes pas
des flous :
les foulées du regard
Rien au-dessus de la neige
qu’un cercle de fagots immobiles
referme
coupes cassantes des chemins
sonnailles étouffées dans le feutre scintillant
frises de givre
partout des alliances discrètes et blanches
tout est si grand
et étriqué
comme les oiseaux il faut trouver
sous la neige matière à vivre
Cendres soupesées ciel examinés
arbre
mesure de perplexité
je suis ses fourches avale des échardes
mes doigts connaissent sa rugosité
filent ce que je file et
tissent des racines devant la lune
dans un bouche à bouche avec l’ombre
Tu te dresses avec le feu
tu prononces des noms liés aux racines
le dessin expansif de tes vaisseaux
irrigue jusqu’aux doigts
et croit avec la couleur
entre deux feux tu resserres tes os
ton pas boit la neige expulse l’air
et glace
le feu est presque éteint
plus rien ne tremble
dans ta main la charge de toute les distances
Des main volent
rêches sur le fil rêche
de la nuit
la compréhension travaille
et la lampe veille sur le doute qui tourne
en bouche
par désastre c’est la nuit que brillent les ombres
Je regarde de profil la corneille mantelée
statique
son aile noire est une échancrure dans la neige à la bordure du taillis
et son œil fixe me dévisage
mais peut-être ne perçoit-elle qu’un rectangle aveugle
la fenêtre fond fonce tout est noir ou blanc
le merle lui sautille mécaniquement
Il y a un puits de cendres
mauves au centre du jardin blanc
où viennent des mains pour attendre le feu pour atteindre
l’image au centre du feu
où je soulage les gerçures
l’image est là
ce sont les vieux lilas et les ronciers qui sont ainsi résolus
l’épervier de très haute tenue
et qui perdure
ne se soucie pas de voler ni d’éclore
d’ailleurs qui se soucie
Résolus par le feu
tapi maintenant au-dessous
plus pâles et froids
tous les lilas
plus pâles plus absents que tous les
pourquoi
ensevelis
bien sûr je rêve aussi
de questions chaudes
Je passe ente les toits
couverts de givre
couleur de ciel
des nuages plats vacillent
un peu
quand on perfore le corps
de la lumière
je prépare mon appareil
pour noter cette cape courte
de brillance livide
sur la chair noire de la terre
il y a des feux dans les vignes
épars et réguliers
feux dans la plaine
toutes ces fumées blanches
empressées belle
effusion de voiles
dansent dans la trame
de la plaine
éraillée
rouges travées sous le givre
vers Mâcon
les câbles
les pylônes
et les trompes de brique
des cheminées
font un bâti repérable
et nervé
Dans le miroir
l’œil abdique mais pas la peau
laiteuse labile
humeur
presque aile épanchée
ou fleur ou odeur
tout un jardin
possible jardin
...............................
Résolu par le feu
Bruno Guattari, Editeur, 41250 Tour en Sologne,2018
Voir aussi :
« Tu ne tonitrueras pas... » (08/10/2020)
Parler avec le sphinx (extraits) (07/10/2021)
Résolu par le feu (2) (06/10/2023)
Résolu par le feu (3) (17/09/2024)