Adèle Nègre (1965 -) : Parler avec le sphinx (extraits)
Crédits photographiques : Bruno Guattari, éditeur
Parler avec le sphinx
(extraits)
Le doigt montre
la lune à portée d’œil
j’explore les partis
entre doigt et lune
dans l’épreuve de leur distance
dans l’épreuve de la durée et de l’étendue
où je nais
en regard
Tout s’accorde
pourvu que j’aille en reconnaissance
longue lente
j’entends dans l’herbe
merveille une avec profonde
déférence
toute la terre dessous
et son fer est aussi dans
mon sang
Ce qu’il y a d’animal halète encore jusque dans les phrases
chant pour respirer sur cette natte sur cette herbe
sous ce tilleul couvrant la couleur
sombre voûte pour mes ombres mes
frissons
Le possible
morsure ou coup de bec
un coup porté à la lèvre
ou
offerte
un don de chair
à la sensation
le goût du sang
J’entends que
frotte un grillon
au ras des herbes
l’archet térébrant
dans les tissus pénètre
noirs lais
de nuit profond
l’arbre qui est aussi grand qu’elle
une ombre dans l’ombre
les ténèbres sans cesse rebrousse
revient secouer
s’ébrouer
s’écroule
couvre ce qu’on commençait à voir
entrevoir le refrain
puis la nuit découvre
la couleur oscille avec
Seule la nuit
grande toute une
seule s’approfondit
j’entends une mouche et c’est tout
en surface
s’ébroue une ombre
dans l’ombre d’un arbre une roue
Qu’une masse
une forme d’arbre
que vive
en moi aussi
et hors de moi
dans la nuit
habitée
tressaille fricative
et ainsi s’emplit
le mystère
où je suis assise
ne finit pas
ici seul rythme
entre masse spirante
et ce noir jusqu’au petit matin
Je ne fais rien bien sûr j’attends
de poser mes mains mêmes
sur ce sein
le cœur s’ébroue avec
double mouvant
roué tout le ciel
vire
la lune aussi
parfois
giratoire
et c’est toutes les formes
dans la persistance de l’œil
poussée dépassée
la respiration profondément
enracinée
la nuit tient lieu de peau
Voici l’heure où
s’éveille
un peu
ma pulmonaire livide
alvéole
s’ouvre grande
ainsi qu’oreilles
aux sons-secousses
secs spirants
du vent
dans les branches
où
arbre être n’a plus que son pour
être
tout simplement
avant de voir le jour
Tu comptes les buissons
dans la nuit
très proches
la réponse est frôlée
tu nages loin avec les floches
l’eau brille de doutes
et de cheveux
d’absence aussi
comme l’air
comme l’eau flotte
mouvement nocturne sauf
sauve incertain une lune
que tu approches
que tu crois
Profondément une
et sans cadre
nuit où gésir et s’enfoncer
nulle vraisemblance nulle
narration ne te peut tenir
encore que texture
de rêve de lumière
laiteuse lune l’une
et l’autre comme un fromage dans l’eau
C’est très tard la roue débridée d’un insecte autour de l’ampoule
rayonne
grossie bien des fois projetée le mur festoie
et tourne une étoile
étonne
au son de cristal des filaments
Rien ne s’écrit sans rien
tout se parle
faire dire est un métier on dirait
de bouche
de bouche et d’oreille de boucle
de corde de nuit de son résonné
de corde et d’écho d’oreiller
d’or à point
de lampe bée
d’oreilles d’élytres
d’ouvert cousu décousu d’open œil
dans la nuit
Les grillons aiguisent la nuit
quelque morse scansion ainsi joue dans les oreilles de mes poumons
m’essouffle
oppresse
malmène la langue de ma langue
collée au rythme collée décollée
je regarde la lune
régulière son grand O dans l’eau
je vois
son grand
lunaire
de rien son
son
m’apaise
ou c’est le mot
va savoir
In, revue « Babel heureuse, N° 3 printemps 2018 »
Gwen Catalá Éditeur, 31000 Toulouse
Voir aussi :
« Tu ne tonitrueras pas... » (08/10/2020)
Résolu par le feu (1) (06/10/2022)
Résolu par le feu (2) (06/10/2023)
Résolu par le feu (3) (17/09/2024)