Anise Koltz (1928 -) : Un monde de pierres (I)
Un monde de pierres (I)
Je ne connais qu’un seul devoir,
c’est celui d’aimer.
ALBERT CAMUS
Tombe la neige
les couches blanches
de mutisme
recouvrent vie et mort
Un vent glacial
balaie présent et passé
- - - -
Nous ne voyons pas
ce qui échappe aux yeux
Chaque mensonge
porte les blessures
de la vérité
La vie travestie
en liberté
invente les mirages
de notre quotidien
Comment établir les règles
en ce monde virtuel
Comment déchiffrer le langage
de l’univers
Les astres tracent des signes illisibles
sur l’ardoise du ciel
- - - -
Je marche à l’intérieur
de moi-même
comme à travers une forêt vierge
envahie par ses ombres
mon sang tourne
comme un fauve encagé
Je vis dans une cage de liberté
me cognant
à des barreaux invisibles
J’empile paroles et jours
dans ma tête
Le temps demeure
une succession de présents
- - - -
Mon sommeil
approfondit la nuit
il la peuple de fantômes
Derrière leurs visages de rêve
il n’y a personne
leurs ombres exaspèrent ma solitude
Ils ne vivent leurs destins
qu’à travers mes rêves
sans savoir qui ils sont
ni d’où ils viennent
Nous restons orphelins
malgré la mère
et le père
Sans fin
ni commencement
nous errons
dans un monde de pierre
- - - -
Les jours passent
pour s’établir
dans l’aujourd’hui
Chaque matin
je ressuscite
d’une mort passagère
Réinventant
la fiction de mon existence
Je ne connais
pas mon ombre
Qui est cette étrangère
frappée d’aphasie
qui s’associe à moi
- - - -
La montagne
ne mène que vers ses hauteurs
Arrivés à sa cime
elle se transforme en précipice
J’ai vécu plusieurs vies
plusieurs morts
la mélodie qui m’endort
réveille les activités
d’un passé d’antan
Je me perds en moi-même
sombrant
dans mes identités multiples
- - - -
Je rêve
dans une langue
qui n’est pas la mienne
D’antiques rumeurs de la Bible
la traversent
Derrière moi
le temps s’est fermé
comme la mer Rouge
Le monde se fait et se défait
Les paroles caillent
dans ma bouche
Mon nom
tombe en poussière
J’existe dans cette chair pensive
comme si je n’existais pas
- - - -
A René
Le matin se dévoile
et me regarde
avec les yeux de l’aimé
parti pour l’éternité
Il est mon jour
il est ma nuit
A René
A ma mort
je mélangerai mon corps d’argile
avec celui de l’aimé
décédé avant moi
Nous fusionnerons
une dernière fois
pour affronter
l’éternité barbare
Comment vivre
sans prendre conscience
de la mort ?
Des galaxies nous traversent
Nous portons l’univers
sous nos peaux
Jamais nous ne vivons
là où nous existons
A chaque nouvelle naissance
Nos antennes ont été brisées
Mère
qui m’as fait naître
avec ton lait
tu m’as ingurgité
la mort qui me guette
l’apprentissage des péchés
le retour à la terre
d’où je suis sortie
Et cette folie
de ton éternelle transhumance
L’univers se construit
et se déconstruit
Le siècle respire difficilemnt
la pesanteur
nous cloue par terre
Des antiques rumeurs
de la Bible
traversent notre désert intérieur
J’enregistre
des signes désespérés
d’une éternité séquestrée
A chaque pas
je vieillis
dans mes souliers
Mon aura change
- - - -
Le Nil
connaît son parcours
Nous aussi suivons la voie
inscrite en nous
La source de nos paroles
est dans le murmure de l’eau
Comme le fleuve
nous passons
tout en demeurant
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Un monde de pierres
Editions Arfuyen, 2015
Voir aussi :
Un monde de pierres (II) (08/06/2022)
Galaxies intérieures (I)(08/12/2022)
Galaxies intérieures (II) (07/06/2023)
Soleils chauves (08/12/2023)
Je renaîtrai (1) (23/05/2024)
Je renaîtrai (2) (01/12/2024)