Mérédith Le Dez (1973 -) : Ombre penchée
Ombre penchée
I
Entre dans la nuit des chambres mauves
à pas de louve l’ombre penchée
son écharpe froide
en écharpe glissée
au cou des gisants
bat le rappel
penche à pas de louve entrée
l’ombre blanche
des nuits mauves
sa main
flottée en bandeau de rien
au front intranquille
signe encore
Ouvre une bouche lente
à mots de louve
la mauve entrée
sa voix
rêvée en somme
au cœur étranglé
pince la corde
- Dans la nuit blanche des sombres passes
mauve à pas de louve entrée aux chambres
que veux-tu ?
II
Au chevet des vivants
l’ombre qui vient et part
comme elle veut
avec sa cape têtue qui frôle
En suspens rien qu’un souffle
Quelle main de neige imprime
sur la joue sa fleur maligne
qui va courant à demi-nue
semer la question
- Que veux-tu
ombre penchée
que viens-tu boire
aux yeux des endormis ?
III
L’ombre a ramené dans sa cape
le grand panier de nuit
doublé de blanc songe
et penchée aux anses des lits
compte les yeux clos
Quelle araignée jaillies des pupilles
quelles ramures aux tempes fêlées
de quel frisson de cape l’échine parcourue
devant l’horizon du mur
L’ombre est venue aux mille mains
aux pas de corde
coite dans la ruelle
le souffle de sa bouche comme vent de sable
ou geste de mer
- Que viens-tu faire aux inquiets ?
IV
Une fois
louve encore
avec la nuit pour manteau
confondue au mur
du même silence que le lit clos
elle fend de sa silhouette oblique
les songes
Ta présence
figure de proue échouée
aux blanches grèves
du dormeur
Ta présence
veilleuse aux maigres épaules
aux mains de plomb
sur la bouche
Ta présence
statue multiple
aux yeux brillants d’oiseau de proie
lapant d’autres yeux pour quel régal
Et parfois
venue du couloir comme du fond des âges
avec ce pas léger qui rend confiant
elle approche son visage de nourrice
Ton visage d’ombre
rencontre implacable
troué de vide
si près penché
V
D’autres nuits
encore
l’ombre surgie du vent
comme un nuage de sable
crisse au silence
Voici échevelée
qu’elle a suspendu
de son ventre multiple
la guirlande indistincte
aux murs alentour
Mille yeux
qu’on aurait reconnus
et qui dardent
une fièvre de jais
Mille mains
qu’on aurait tenues
et qui paumes à la renverse
ne donnent prises
Et absentes
au grand visage mauve
bouches comme des cratères
à la buée d’énigme
VI
Pour qui de nuit vaque au secret d’un rêve
elle ouvre les chambres
des convalescents murés
soudain tirés
de leur suaire
Elle prend un soir le visage
d’une
qui fut pâle gisante
à l’œil mal clos
aux lèvres entrouvertes
Elle glisse un soir dans le songe
la forme d’un dos
familier
qu’on avait oublié
dans une allée de terre
Elle demande qu’on l’approche
elle fait signe de venir
mais voilà qu’elle s’éclipse au bord du talus
avec ses yeux de jais
et ses paumes verticales
- Que veux-tu patiente au jardin
que viens-tu cueillir
ou refuser ?
VII
Ombre penchée
aux intranquilles au corps lié
de quelle parole es-tu le signe
que dis-tu bouche noire
L’ovale de ton ventre ouvre quelle surprise à l’étreinte
La sollicitude a guidé ton pas de soie
à moins que tu ne viennes louve
aux liens de revanche
rôder aux nuits blanches
avec un goût de mort
Quatre chevaux de hasard
Editions Folle Avoine, Bédée (35137), 2015
Voir aussi :
Pièces pour un piano (30/07/2017)
« Il y a la guerre ... » (29/07/2018)
Souviens-moi (30/07/2019)
« Je veux un champ d’étoiles... » (29/07/2020)
Jardin d’hiver (27/07/2022)
« Maintenant qu’il est disparu... » (25/07/2024)