Denise Le Dantec (1939 -) : mémoire des dunes
mémoire des dunes
à Reinout
Stries
sur le gris arraché
à l’extrême du pays
sous l’œil,
c’est un champ de mémoire,
intact,
qui se retire
les vagues ne viennent plus
l’herbe s’annule
Peut-être,
une membrane
pour écrire
un silence de poisson
Ramures
sur l’étendue du sable,
preuve
par-delà l’oiseau blanc
qu’ici écuma l’océan
le mot humecté de salive
de tout ce qui commence
Vagues sédimentées,
l’étoile vivante du carex
accuse l’état blanc-sombre
de toute lumière
lointaine
remémorée
Matière étale
et sourde,
séparée de son eau
excoriée
la phrase écrit sa phrase
dans la phrase
Le geste simple du pinceau
suspendu avec l’encre
au-dessus de l’étendue natale
qui craint
Intimité
de l’espace :
la pulsation
raye :
la confusion des sables
à la surface
Au noir de l’œil
dans l’épars,
plantation de racines
le sable s’ouvre
pour voir
Pauvres,
les semences de la nuit
à déchiffrer
dans les alphabets
absents des botaniques
Et c’est un peu la pluie,
parmi les joncs,
qui fait briller
dans l’explosion de vent
qui les agite
avec des larmes
les mots
Immense
rosée de mer
dans la vallée des gneiss
les lumières
se raniment
De tertre en tertre,
le chardon
chiffre son bleu mouvant
où cela cingle
Etoile de mer,
posée,
en extase
sur le chemin
A l’instant clair
où l’œil,
ouvert plus haut,
apaise sa soif
dans ce qu’il voit
de l’océan
Semis silencieux
des lilas de mer
pente
d’essences
à demi-chemin
de la grande parole liquide
Rescapé des déluges,
l’oiseau signe
avec la lumière
et l’aile encore humide
vole dans l’air marin
Contrée
du rien et du multiple
avec cette marge de clarté
unique
ouverte sur le limon
Chargé de bleu
et d’indigo
avec la houle,
l’œil
voit
en regardant la mer
Sous l’entrepôt d’étoiles
les caissons
versent
dans la magie
Intempestif
le poisson gît sur le roc
avant l’immersion bleu-nuit
feuilletée de vagues
Ortie de mer
où se dévêt l’écume,
l’à-peine fleurie
détachée de la vague
Rompu au vent
le pétrel
risque le bec
au point brisé
de l’eau
et crie
Stridence finale
de la parole
dans les traverses
vert-océan
... Nous conversons ensemble dans le bleu de l’obscur. D’un côté trop de mer,
trop de sable de l’autre. Les étoiles brillent suspendues aux roseaux poussés
au bord du ciel.
A qui offrir cet abandon si vaste qui tantôt nous altère tantôt nous inonde ?
Il n’y a ici ni stupeur ni espoir.
L’immense s’assemble sous un grain de sable et s’évapore loin là-bas.
Et de ce pays fatal qu’en créant je parcours rien ne reste à donner sinon, ô
lèvres fermées en espérance de sel, ce segment d’océan tombé en déshérence.
mémoire des dunes
Editions Folle Avoine, 35850 Romillé, 1985
Voir aussi :
« Nous ne sommes plus rien… » (29/01/2017)
Les fileuses d’étoupes (I) (18/10/2017)
Mésange (06/10/2018)
Les fileuses d’étoupes (II) (05/09/2020)
Les fileuses d’étoupes (III) (04/04/2021)
Les fileuses d’étoupes (IV) (05/10/2021)
Procné (05/10/2022)
Strophes pour une agapè (05/10/2023)