Denise Le Dantec (1939 -) : Les fileuses d’étoupes (III)
Les fileuses d’étoupe (III)
Si tu veux m’appeler ou recevoir de moi quelques
nouvelles,
Ne perds pas ton temps à te tirer la barbe face
aux nœuds terribles de l’éternité
Ne chante ni les refrains du sommeil ni ceux des
pleurs ni ceux de la gaieté
Car dans ce temps de famine
Tu es mon ennemi
Et je suis le tien
Du haut de l’escarpement de la nuit
J’essaie d’entrevoir entre nous ce qui fut :
Parmi les épieux des frondaisons d’épines
Je vois les vents basculer nos amours
Et tout ce qui nous semblait magnitude
Sous le grand silence du ciel
Perdure avec les oiseaux d’en-bas qui les dévorent
Leur assurant par les éclairs solides de leurs vols
Leur part d’enfer
Nous ne sommes plus rien
Quand nous plongeons nos yeux dans nos miroirs
Et peignons nos cheveux du côté où nous ne
sommes pas
Enroulée dans les draps de ténèbres
Visible et invisible
Dans la douceur d’ordures de notre terre
Car au moment de l’ouragan, Saint-Ange,
Tu n’es plus que l’oiseau des colères
Excitant la démence
Entre les grilles du ciel
Les cris de Blodeuwedd
Et sur la terre, les bogues pourrissantes
L’échec du cri sur la berme
* * * * *
Si haut que soit mon blason
Le soc de la vague
A l’invite de l’amour ou à l’appel de la mort
Il a fallu se battre sur les mers
Eriger les cierges des Prières
Il a fallu se battre
Contre les glaçons à coups de glaçons
Résister à l’empoisonnement des baies
Dans le repli des roches
Le soir
Quand perdue dans les champs
Les grillages se referment
O oiseaux de Rhiannon
Qui endormez les vivants et réveillez les morts
Plongez vos chants au fond de mes viscères
Dénouez les nœuds de mes silences
Pénétrez mes seins, mes flancs
Prenez l’ardeur giclante de mes yeux
Enfoncez-les, verts et nouveaux, aux plus intimes
de mes parts
Démembrez tout mon corps
Dissipez-les dans les ajoncs, les frênes et les troënes
Er chantez
O oiseaux noirs de Gwendollen
Cachés dans l’océan immense
Couvrez le monde des neiges de vos cris
Afin qu’ouvrant les yeux
Il pleure
O corbeaux d’Orwein
Dans les champs de la brume et le noir des arrées
La terre durcit entre les doigts gelés des herbes
Le vent fait tournoyer nos corps
Cris et clameurs sortent des rocs
O oiseau de Perceval
En ce creux de la roche au milieu de la nuit
O oiseau de Drutwas
Les Cochons du Sud ont ravagé la terre des
Promesses
Là où croissaient les reines-des-prés
Et les airelles parmi la mousse
La porte du champ s’ouvre sur un chêne noir
O Saint Ange des liesses et des bruyères en fleurs
J’ai toute l’ardeur qu’il faut dans ce champ
de Décembre
Où tu me quittes
Au grand large, la lune vient coucher avec la mer
Au fond du silence, comme un baquet,
Remuent quelques flots
Au loin,
Ardent les pointes glacées du jour
* * * * *
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Les fileuses d’étoupe
Editions Folle Avoine, 35850 Romillé, 1985
Voir aussi :
« Nous ne sommes plus rien… » (29/01/2017)
Les fileuses d’étoupes (I) (18/10/2017)
Mésange (06/10/2018)
Mémoire des dunes (06/10/2019)
Les fileuses d’étoupes (II) (06/10/2020)
Les fileuses d’étoupes (IV) (05/10/2021)
Procné (05/10/2022)
Strophes pour une agapè (05/10/2023)