Sylvia Plath (1932 - 1963) : Lettre d’amour / Love letter
Lettre d’amour
Pas facile de formuler ce que tu as changé pour moi
Si je suis en vie maintenant, j’étais morte alors,
Bien que, comme une pierre, sans que cela ne m’inquiète,
Et je restais là sans bouger selon mon habitude.
Tu ne m’as pas simplement un peu poussée du pied, non –
Ni même laissée régler mon petit œil nu
A nouveau vers le ciel, sans espoir, évidemment,
De pouvoir appréhender le bleu, ou les étoiles.
Ce n’était pas cà. Je dormais, disons : un serpent
Masqué parmi les roches noires telle une roche noire
Se trouvant au milieu du hiatus blanc de l’hiver –
Tout comme mes voisines, ne prenant aucun plaisir
A ce million de joues parfaitement ciselées
Qui se posaient à tout moment afin d’attendrir
Ma joue de basalte. Et elles se transformaient en larmes,
Anges versant des pleurs sur des natures sans relief,
Mais je n’étais pas convaincue. Ces larmes gelaient.
Chaque tête morte avait une visière de glace.
Et je continuais de dormir, repliée sur moi-même.
La première chose que j’ai vue n’était que de l’air
Et ces gouttes prisonnières qui montaient en rosée,
Limpides comme des esprits. Il y avait alentour
Beaucoup de pierres compactes et sans aucune expression.
Je ne savais pas du tout quoi penser de cela.
Je brillais, recouverte d’écailles de mica,
Me déroulais pour me déverser tel un fluide
Parmi les pattes d’oiseau et les tiges des plantes.
Je ne me suis pas trompée. Je t’ai reconnue aussitôt.
L’arbre et la pierre scintillaient, ils n’avaient plus d’ombres.
Je me suis déployée, étincelant comme du verre.
J’ai commencé de bourgeonner tel un rameau de mars :
Un bras et puis une jambe, un bras et encore une jambe.
De la pierre au nuage, ainsi je me suis élevée.
Maintenant je ressemble à une sorte de dieu
Je flotte à travers l’air, mon âme pour vêtement,
Aussi pure qu’un pain de glace. C’est un don.
Traduit de l’anglais par Françoise Morvan et Valérie Rouzeau
In, « Sylvia Plath : Arbres d’hiver précédé de La Traversée »
Editions Gallimard (Poésie), 1999
Love Letter
Not easy to state the change you made.
If I'm alive now, then I was dead,
Though, like a stone, unbothered by it,
Staying put according to habit.
You didn't just tow me an inch, no-
Nor leave me to set my small bald eye
Skyward again, without hope, of course,
Of apprehending blueness, or stars.
That wasn't it. I slept, say: a snake
Masked among black rocks as a black rock
In the white hiatus of winter-
Like my neighbors, taking no pleasure
In the million perfectly-chisled
Cheeks alighting each moment to melt
My cheeks of basalt. They turned to tears,
Angels weeping over dull natures,
But didn't convince me. Those tears froze.
Each dead head had a visor of ice.
And I slept on like a bent finger.
The first thing I was was sheer air
And the locked drops rising in dew
Limpid as spirits. Many stones lay
Dense and expressionless round about.
I didn't know what to make of it.
I shone, mice-scaled, and unfolded
To pour myself out like a fluid
Among bird feet and the stems of plants.
I wasn't fooled. I knew you at once.
Tree and stone glittered, without shadows.
My finger-length grew lucent as glass.
I started to bud like a March twig:
An arm and a leg, and arm, a leg.
From stone to cloud, so I ascended.
Now I resemble a sort of god
Floating through the air in my soul-shift
Pure as a pane of ice. It's a gift.
Crossing the water
Faber and Faber, London, 1971
Voir aussi :
L’agneau de Marie / Mary’s Song (09/03/2017)
Berck plage / Berck-plage (12/11/2017)
Wuthering Heights (11/11/2018)
Traversée / Crossing the water (03/01/2024)