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Femmes en Poésie
11 novembre 2018

Sylvia Plath (1932 -1963) : Wuthering Heights

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Wuthering Heights

 

Les horizons m'encerclent comme des fagots

Qui penchent, disparates, et pour toujours instables.

Il suffirait d'une allumette pour qu'ils me réchauffent

Et que leurs lignes fines

Rougissent l'air

Lestant le ciel pâle d'une couleur plus sûre,

Avant que les lointains qu'elles fixent ne s'évaporent.

Mais ils ne font que dissoudre et se dissoudre

Comme une succession de promesses, à mesure que j'avance.

 

Nulle vie ne s'élève au-dessus de l'herbe

Ou du cœur des moutons, et le vent

Vient se déverser comme la destinée, courbant

Chaque chose dans une seule direction.

Je sens bien qu'il s'efforce

D'aspirer ma chaleur pour l'emporter.

Si j'accorde aux racines de la bruyère

Une trop grande attention, elles finiront par m'inviter

À blanchir mes os parmi elles.

 

Les moutons eux savent où ils sont,

Ils paissent dans leurs nuages de laine sale,

Aussi gris que le temps.

Les fentes noires de leurs pupilles m’absorbent.

C’est comme d’être expédiée dans l’espace par la poste,

Message stupide, insignifiant.

Ils restent là dans leur costume de grand-mère,

Boucles postiches et dents jaunes

Et bêlements de marbre, durs.

 

Je rencontre des ornières, et de l’eau

Limpide comme les solitudes

Qui fuient entre mes doigts.

Des seuils creux tour à tour apparaissent dans l’herbe ;

Linteaux et perrons se sont désassemblés.

Des gens, l’air ne se souvient que

De quelques étranges syllabes.

Il les répète en gémissant :

Pierre noire, pierre noire.

 

Le ciel s’appuie sur moi, moi, la seule à être debout

Parmi toutes les horizontales.

Les herbes affolées battent et se cognent.

Elles sont trop délicates

Pour vivre en telle compagnie ;

L’obscurité les terrifie.

Maintenant, dans des vallées aussi étroites

Et sombres que des poches, les lumières des maisons

Luisent comme de la petite monnaie.

 

Traduit de l’anglais par Valérie Rouzeau

In, « Sylvia Plath : Arbres d’hiver précédé de La Traversée »

Editions Gallimard (Poésie), 1999

 

Hauts de Hurlevent

 

Les horizons me cernent comme des fagots,

Basculés et disparates, et toujours instables.

Touchés d’une allumette, ils pourraient me réchauffer

Et leur fines lignes flammer

L’air à l’orange

Avant que les distances q u’ils pointent ne s’évaporent ,

Soutenant le ciel pâle d’une couleur plus solide.

Mais se dissoudre ils ne font que se dissoudre

Comme une série de promesses, à chacun de mes pas.

 

Il n ’y a pas de vie plus haute que les cimes d’herbe

Ou les cœurs des moutons, et le vent

Se déverse alentour comme la destinée, courbant

Tout dans une seule direction.

Je peux le sentir essayant

De drainer ma chaleur au loin.

Si j’accorde aux racines de la bruyère

Une attention trop grande, elles vont m’inviter

A blanchir mes os parmi elles.

 

Les moutons savent où ils sont,

Paissant dans leurs laineux nuages sales,

Gris comme le temps.

La fente noire de leurs pupilles me capte.

C’est comme d’être acheminé dans l’espace,

Un petit, un stupide message.

Ils sont là autour déguisés en grands-mères,

Tout perruques bouclées et dents jaunes

Et durs bêlements de marbre.

 

J ’arrive  à des ornières, au bord de l’eau

Limpide comme les solitudes

Qui me filent entre les doigts.

Des seuils creux s’étendent d’herbe en herbe;

Linteau et marche se sont démantelés eux-mêmes.

Des gens l’air seulement

Rappelle quelques bizarres syllabes.

Il les ressasse en gémissant :

Pierre noire, pierre noire.

 

Le ciel s’appuie sur moi, moi, celle qui est droite

Parmi toutes les horizontales.

L’herbe lui fouette la tête distraitement.

Il est trop délicat

P o u r vivre en telle compagnie ;

Le noir le terrifie.

Maintenant, dans des vallées étroites

Et noires comme des bourses, les lumières des maisons

Luisent comme de la petite monnaie.

 

Traduit de l’anglais par Robert Devreu

In, Revue « Po&sie N°11 »

Editions Belin, 1979

 

Wuthering Heights

 

The horizons ring me like faggots,

Tilted and disparate, and always unstable.

Touched by a match, they might warm me,

And their fine lines singe

The air to orange

Before the distances they pin evaporate,

Weighting the pale sky with a soldier color.

But they only dissolve and dissolve

Like a series of promises, as I step forward. 

 

There is no life higher than the grasstops

Or the hearts of sheep, and the wind

Pours by like destiny, bending

Everything in one direction.

I can feel it trying

To funnel my heat away.

If I pay the roots of the heather

Too close attention, they will invite me

To whiten my bones among them.

 

The sheep know where they are,

Browsing in their dirty wool-clouds,

Gray as the weather.

The black slots of their pupils take me in.

It is like being mailed into space,

A thin, silly message.

They stand about in grandmotherly disguise,

All wig curls and yellow teeth

And hard, marbly baas.

 

I come to wheel ruts, and water

Limpid as the solitudes

That flee through my fingers.

Hollow doorsteps go from grass to grass;

Lintel and sill have unhinged themselves.

Of people and the air only

Remembers a few odd syllables.

It rehearses them moaningly:

Black stone, black stone.

 

The sky leans on me, me, the one upright

Among all horizontals.

The grass is beating its head distractedly.

It is too delicate

For a life in such company;

Darkness terrifies it.

Now, in valleys narrow

And black as purses, the house lights

Gleam like small change.

Voir aussi :

L’agneau de Marie / Mary’s Song (09/03/2017)  

Lettre d’amour / Love letter (16/04/2017)

Berck plage / Berck-plage (12/11/2017)

Traversée / Crossing the water (03/01/2024)

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