Kikí Dimoulá / Κική Δημουλά (1931 - 2020) : Mégot à la bouche des cheminées
Mégot à la bouche des cheminées
Je progresse vers le moins.
Le bail avec notre naissance expire un jour,
Tant qu’elle vécut notre mère l’a renouvelé,
nous habillant comme des enfants jusque dans son regard,
voués par elle à l’immuable.
Peu à peu je vide ce que j’ai pu – des chiffons,
Pour m’en aller plus légère. Je déchire
le calendrier où s’inscrivait l’issue,
à quoi bon trimballer des pierres ?
Malles pleines de haut-parleurs, brevets de pirate de l’air
petits cadeaux qu’on échange avec son plus cher mensonge
- ce qu’on donne est donné
qui le reprend meurt dans l’année –
vaisselle dans le buffet
des douzaines de piles d’invités
tant pour la viande et tant pour le dessert
pour le thé le café le cafard.
Je ne dois garder qu’une ou deux lettres certifiant
- mon départ doit gagner sa croûte –
que je sais pouponner l’inefficacité
accompagner les oublis vieillards sur les bancs
les places et les points-limite, où précisément
viennent les cars-tunnels
déverser les enfants des écoles.
Que je travaillais volontiers aux côtés de l’aquarelle.
Ma préférence évidemment sera d’embarquer
comme soutier du souvenir
et devenir le temps très lent des bateaux du fleuve
quand nous contemplions leurs parlotes
sous des ponts mordus, rongés
que le brouillard jetait sur les rives.
Je suis prête ? je serre bien ma trousse, que ma décision
ne déborde pas de mots elle aussi.
Je me décroche de mon courage.
Le clou peut bien rester – petite miette
nourrissant ma trace.
J’ai tout pris ? Rendu le mètre-ruban ?
Toutes le choses que j’aimais, m’ont-elles rendu ce tant d’amour ?
Celles que je n’ai pas comprises
dans quel pardon que je ne donne pas tiendront-elles ?
Je dois jeter un coup d’œil récolteur
d’indispensables impardonnables par moi égarés.
Enfin ! Ce que j’ai oublié de vivre
je l’offre à la négligence d’un autre.
Je ne peux tout soulever d’une main.
L’autre tu l’as gardée comme souvenir.
De l’instant où tu l’as éternellement lâchée.
Traduit du grec par Michel Volkovitch
in, Kiki Dimoulá : « Le peu du monde, suivi de Je te salue jamais »
Editions Gallimard (Poésie), 2010
Voir aussi :
Temps allongé / ΑΝΑΣΚΕΛΟΣ ΧΡΟΝΟΣ (29/03/2020)
Oblivion beach (02/03/2021)
Signe de reconnaissance /Σημείο ναγνωρίσεως (03/03/2022)
Choses nouées (Excursion) /Τα δεμένα (Εκδρομή) (02/03/2023)