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Femmes en Poésie
6 mai 2018

Marie-Noël (1883 – 1967) : Attente

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Attente

 

J’ai vécu sans le savoir,

       Comme l’herbe pousse…

Le matin, le jour, le soir

       Tournaient sur la mousse.

Les ans ont fui sous mes yeux

       Comme, à tire-d’ailes,

       D’un bout à l’autre des cieux

Fuient les hirondelles…

Mais voici que j’ai soudain

       Une fleur éclose                .

 

J’ai peur des doigts qui demain

       Cueilleront ma rose,

Demain, demain, quand l’Amour

       Au brusque visage

S’abattra comme un vautour

       Sur mon cœur sauvage.

Dans l’Amour si grand, si grand,

          Je me perdrai toute,

Comme un agnelet errant

       Dans un bois sans route.

Dans l’Amour, comme un cheveu

       Dans la flamme active,

Comme une noix dans le feu,

       Je brûlerai vive.

 

 

Dans l’Amour, courant amer,

       Las ! comme une goutte,

Une larme dans la mer,

       Je me noierai toute.

Mon cœur libre, ô mon seul bien,

       Au fond de ce gouffre,

Que serai-je ? Un petit rien

       Qui souffre, qui souffre !

Quand deux êtres, mal ou bien,

       S’y fondront ensemble,

Que serai-je ? Une petit rien

       Qui tremble, qui tremble !

J’ai peur de demain, j’ai peur

       Du vent qui me ploie,

Mais j’ai plus peur du bonheur,

       Plus peur de la joie

Qui surprend à pas de loup,

       Si douce, si forte

Qu’à la sentir tout d’un coup

       Je tomberai morte,

Demain, demain, quand l’Amour

       Au brusque visage

 

S’abattra comme un vautour

       Sur mon cœur sauvage…


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Quand mes veines l’entendront

       Sur la route gaie,

Je me cacherai le front

       Derrière une haie.

Quand mes cheveux sentiront

       Accourir sa fièvre,

Je fuirai d’un saut plus prompt

       Que le bond d’un lièvre.

 

 

Quand ses prunelles, ô dieux !

       Fixeront mon âme,

Je fuirai, fermant les yeux,

       Sans voir feu ni flamme.

Quand me suivront ses aveux

       Comme des abeilles,

Je fuirai, de mes cheveux

       Cachant mes oreilles.

Quand m’atteindra son baiser

       Plus qu’à demi-morte,

J’irai sans me reposer

       N’importe où, n’importe

Où s’ouvriront des chemins

       Béants au passage,

Eperdue et de mes mains

       Couvrant mon visage.

Et, quand d’un geste vainqueur,

       Toute il m’aura prise,

Me débattant sur son cœur,

       Farouche, insoumise,

Je ferai, dans mon effroi

       D’une heure nouvelle,

D’un obscur je ne sais quoi,

       Je ferai, rebelle,

Quand il croira me tenir

       A lui tout entière,

Pour retarder l’avenir,

       Vingt pas en arrière !…

S’il allait ne pas venir !… 

 

Les Chansons et les Heures

Sansot éditeur, 1920

Voir aussi :

 Crépuscule (23/02/2017)

Retraite (28/03/2017)

« Les chansons que je fais… » (09/05/2017)

Connais-moi... (04/05/2019)

Vision (I) (04/052020)

« Quand il est entré dans mon logis clos... » (05/05/2021)

 

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