Marie-Noël (1883 – 1967) : Attente
Attente
J’ai vécu sans le savoir,
Comme l’herbe pousse…
Le matin, le jour, le soir
Tournaient sur la mousse.
Les ans ont fui sous mes yeux
Comme, à tire-d’ailes,
D’un bout à l’autre des cieux
Fuient les hirondelles…
Mais voici que j’ai soudain
Une fleur éclose .
J’ai peur des doigts qui demain
Cueilleront ma rose,
Demain, demain, quand l’Amour
Au brusque visage
S’abattra comme un vautour
Sur mon cœur sauvage.
Dans l’Amour si grand, si grand,
Je me perdrai toute,
Comme un agnelet errant
Dans un bois sans route.
Dans l’Amour, comme un cheveu
Dans la flamme active,
Comme une noix dans le feu,
Je brûlerai vive.
Dans l’Amour, courant amer,
Las ! comme une goutte,
Une larme dans la mer,
Je me noierai toute.
Mon cœur libre, ô mon seul bien,
Au fond de ce gouffre,
Que serai-je ? Un petit rien
Qui souffre, qui souffre !
Quand deux êtres, mal ou bien,
S’y fondront ensemble,
Que serai-je ? Une petit rien
Qui tremble, qui tremble !
J’ai peur de demain, j’ai peur
Du vent qui me ploie,
Mais j’ai plus peur du bonheur,
Plus peur de la joie
Qui surprend à pas de loup,
Si douce, si forte
Qu’à la sentir tout d’un coup
Je tomberai morte,
Demain, demain, quand l’Amour
Au brusque visage
S’abattra comme un vautour
Sur mon cœur sauvage…
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Quand mes veines l’entendront
Sur la route gaie,
Je me cacherai le front
Derrière une haie.
Quand mes cheveux sentiront
Accourir sa fièvre,
Je fuirai d’un saut plus prompt
Que le bond d’un lièvre.
Quand ses prunelles, ô dieux !
Fixeront mon âme,
Je fuirai, fermant les yeux,
Sans voir feu ni flamme.
Quand me suivront ses aveux
Comme des abeilles,
Je fuirai, de mes cheveux
Cachant mes oreilles.
Quand m’atteindra son baiser
Plus qu’à demi-morte,
J’irai sans me reposer
N’importe où, n’importe
Où s’ouvriront des chemins
Béants au passage,
Eperdue et de mes mains
Couvrant mon visage.
Et, quand d’un geste vainqueur,
Toute il m’aura prise,
Me débattant sur son cœur,
Farouche, insoumise,
Je ferai, dans mon effroi
D’une heure nouvelle,
D’un obscur je ne sais quoi,
Je ferai, rebelle,
Quand il croira me tenir
A lui tout entière,
Pour retarder l’avenir,
Vingt pas en arrière !…
S’il allait ne pas venir !…
Les Chansons et les Heures
Sansot éditeur, 1920
Voir aussi :
Crépuscule (23/02/2017)
Retraite (28/03/2017)
« Les chansons que je fais… » (09/05/2017)
Connais-moi... (04/05/2019)
Vision (I) (04/052020)
« Quand il est entré dans mon logis clos... » (05/05/2021)