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Femmes en Poésie
12 février 2024

Jane Albert-Hesse (19 ? -) : Res angusta domi

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Res angusta domi

 

I

A la cheminée qu’ont bâtie vos pères,

Haute pierre, pâle proue, j’ai adossé

Ce peu de jours dont j’ai voulu partage.

L’épine et le buisson liés encombrent.

Pareillement et le crêt et la pente

Qui me furent ciel et bel entendement.

Au bord du communal et du champ clos,

Mille ans défrichés vous ont donné peur,

Vous êtes partis.

Des élans déprécatoires, il ne reste

Guère : l’oiseau de pluie qu’amuse d’un avril

Le nuage, en vain crevé car nulle orge,

Picore le ver des poutres mâchées d’ennui,

Témoins obsolètes de la provision

Sur vos murs d’est, à frire le long hiver ;

Encore un prunier tors parmi les berces,

Et le lent racontage de la fontaine

Qui coule, pour personne, Vos routes, elles, s’effacent,

Cause et droit, appelant l’aube dérobée

A dessiner vos biens et vos parcours,

Un instant, déjà flou, ornière ressemée

De nard et qui demain ne sera plus.

L’horreur sylvaine est tapie au tournant.

Tant vous l’avez fuie qu’elle revient, superbe.

Elle escalade le dernier pré et tend

Ses phalanges pour harper sans coup férir

Ni perdre le galop du dernier cheval,

Alors mes diables ricanent de leur présent

Eversif. Te souvient-il, maître d’ost,

D’avoir mené d’assaut la troupe, et pris

Ce lieu suave nullement remparé

Où plane était la roche dormant ses temps ?

Si oui, détourne-toi. Le bois me mange.

 

II

     Pas besoin de s’échiner pour des mesures : la neige a taille d’homme. Les

corbeaux rentrent au dortoir, suivant le croassement du chef. La faim va

tourmenter leurs tripes. Tout à l’heure, il sera l’an prochain et jamais ne tomba

clarté si mirifique : mon œil qui flanche y trouve un peu de braise dans les

épaisseurs basses. La neige encore descendra. Le juste niveau qu’elle seule

dispense, tu n’en jugeras pas, toi que je ne puis débucher ; seule la falaise du

nord, carrée sur son éboulis, reste pareille à ce qu’elle fut, depuis toujours

impudente. Elle ne souffre pas d’égalité et clame très haut la douleur d’une

absence, mais quelle ?

 

III

          Tu ris des soins de mon petit ménage.

          Le blanc copeau qui saute sous la varlope

          De l’heure n’est que débris qui ne t’agrée.

          Tu te veux exempt, affranchi du geste

          Qui t’oblige et te tient, et puis te rêve,

          Raille donc à loisir. Ma cruche attend,

          Qu’ébrèche ce temps d’attendre et de nulle fin,

          Le peu d’eau, peu, à la dernière source

          Où s’évase le soir parmi le cresson.

          Laisse-moi ma peine, laquelle te fait peur,

          Si peur que tu maudis ma soupe épaisse

          Trois fois recuite et qui me plaît encore.

 

IV

                    L’herbe craquait sous ses pas

                    Tant, il avait gelé dur.

                    La pâture au communal

                    De longtemps ne se faisait :

                    Il y avait des rejoints

                    Cà et là, de tiges, de bois,

                    De pierre, si solides qu’enfin

                    Ce pied martelait la nuit

                    Sèche, fermée comme un tambour.

 

                    Sans recours, il fallait ouïr

                    Cet aller, que nul début

                    N’avait marqué, et si droit

                    Que la tranchée qu’il taillait

                    Vers l’horizon réduisait

                    A sa plane cadence vaux

                    Et monts, et ne savoir qui

                    Prenait à la traverse, seul,

                    Né d’ailleurs, certain, vivant.

 

V

     La feuille se dédoubla, éclat d’une violence considérable. Le silence n’avait

pas une ride. Dans la cour de bise, au plus creux d’une encoignure, une

araignée descendit sa soie. Jamais n’existerait d’autre théâtre : les portants ne

portaient rien, ne soutenaient pas la plus exsangue toile. De part et d’autre, les

hauts pignons chassaient l’un l’autre leur ombre froide « nam ul hiemali

asperitale loca ipsa non solum sunt niuibus obruta... » mais si dure place qu’à

plaisir l’août fait meurtre comme décembre ; et guise changée, demain comme

hier la pluie d’emporter jachère et labour. Ita, sur un tronc rompu d’hiver et

recuit d’été, le rameau détachait la feuille issue. On l’avait dû dire quelque part

et qu’il n’est vie que choix, que de sagesse métrée ou réfléchie il n’est signe

que oui ou non. D’ailleurs personne ne parlait. L’araignée tirait son fil. Un

quarantième pied de mélisse se dégageait. Le lien de deux pierres se rompit,

du mortier de chaux coula. Tout juste si se glissa de toute son ondulante

longueur ce qu’on appelait un réveil en ce lieu dépopulé.

 

VI

 

                         Et ne point sortir de son fort.

                         Attendre

                         Derrière l’épine une aide pas sûre

                         Du nuage qui monte, de la saute

                         Du vent qui semble et se parfaire

                         Et tromper la poursuite, trembler

                         Quand tombe une baie de genièvre

                         Bleue de gel, mais tenir encore

                         La ténèbre, et délier la jambe

                         Par l’herbe haute et la voiture

                         Oscillant entre rien et sol,

                         Fuir vite. 

 

VII

          Pousse l’échine, pariétaire. Qu’à la tâche

          Tu ne dormes convient, et ruine encore

          Mieux que je n’ai démoli en hâte,

          Patrouille et perce, et rogne sous ta bure.

          Verte, fait que l’éboulé resplendisse

          A tromper le passant. Pour sourire.

          Tu m’as appris dès longtemps à feindre,

          Alors soi belle. Que ta cape recouvre

          Ce que tu ne peux nommer, tant sage,

          Ni moi, qui te copie ; multiplie

          Tes bienfaits qui tous les autres leurrent,

          Ô la seule éponyme, et je garde

          Nos secrets d’abandon, et mes larmes.

 

 

Les jurassiques

In, « Cahiers de poésie, I »

Editions Gallimard, 1973

 

Voir aussi :

Les Dits (12/02/2023)

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