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Femmes en Poésie
28 mars 2017

Marie-Noël (1883 – 1967) : Retraite

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Retraite

 

Quand viendra le soir au bout des années

Où, l’épaule basse et les yeux rougis,

Je ne serais plus, traînante et fanée,

Qu’une vieille de trop qui vaque au logis ;

 

Quand la maison mienne à qui je fus douce

Ne me fera plus ni place, ni part ;

Quand le feu qui prend, le jardin qui pousse,

Tous ingrats, tiendront mes mains à l’écart ;

 

Quand j’aurai perdu ma dernière aiguille

Et ne pourrai plus rien qu’aimer tout bas,

Rien que gêner peu mes petites-filles,

Mes belles enfants qui ne m’aiment pas ;

 

Alors j’ouvrirai la porte à voix basse

Comme une pauvresse à jamais qui sort

Pour aller jeter au matin qui passe

Le bout déchiré de son mauvais sort.

 

Alors, quand le jour hésite et décline,

Comme une étrangère à jamais qui part

A jamais…alors, comme une orpheline

Dont le cri n’a plus d’abri nulle part,

 

Je m’en irai seule avec mon pauvre âge

Qui n’a plus ni chant, ni charme, ni fleur,

Je m’en irai seule à la mort sauvage,

Sans faire alentour ni bruit, ni malheur.

 

J’irai retrouver le pré seul au monde

Où je traversais, petite, un bonheur

Que nul autre pré ne sut à la ronde,

Le champ oublié de tous les faneurs ;

 

Le champ égaré depuis mon enfance

Que les bois au fonds de leur secret noir

Ont si loin serré dans un grand silence

Que nul sentier clair n’a su le revoir.

 

Là se tient la fleur qui n’est pas sortie

Pour d’autres que moi de mon prime temps,

Peut-être en ce champ, derrière l’ortie,

Que l’oiseau de l’aube à mi-ciel m’attend ?...

 

J’entrerai dedans sans bouquet ni gerbe,

Alors, en ce champ pris d’une pâleur,

Je commencerai d’une voix qui baisse

A me chanter l’air qui brise le cœur.

 

Là je pleurerai mes petites belles

A qui leurs beaux ans dorés font la cour ;

Là pour les quitter sans qu’on me rappelle,

Je les aimerai de dernier amour.

 

Là je pleurerai pour finir de vivre…

Une tourterelle au soleil couchant

Gémira longtemps sans qu’on la délivre.

Le jour fleur à fleur sortira du champ.

 

Pas à pas le temps faible qui persiste

A battre en mon cœur sans savoir pourquoi

Sortira du monde…Et les feuilles tristes

Qui meurent le soir tomberont sur moi.

 

Chants d’arrière-saison,

Editions Stock,  1961

Voir aussi :

 Crépuscule (23/02/2016)

« Les chansons que je fais… » (09/05/2017)

Attente (06/05/2018)

Connais-moi... (04/05/2019)

Vision (I) (04/052020)

« Quand il est entré dans mon logis clos... » (05/05/2021)
 

 

 

 

 

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